Les retards dans le vote du budget 2025 de l'État retardent l'attribution des aides à la rénovation, comme MaPrimeRénov'. Par conséquent, les carnets de commande des artisans du bâtiment sont fortement ralentis et les particuliers préfèrent attendre avant de se lancer dans des travaux.
Les artisans du bâtiment sont dans le brouillard. Les retards dans le vote du budget de l'État reportent ou bloquent l'attribution des aides à la rénovation pour les particuliers... et donc le lancement des travaux.
Parmi ces aides, on retrouve MaPrimeRénov', qui permet de faire d'importantes économies dans les chantiers de rénovation énergétique. Par crainte de ne pas la recevoir, de nombreux clients préfèrent attendre. Et cela se ressent dans les carnets de commande des entreprises.
"Quatre mois de devis qui sont bloqués"
C'est le cas pour Sébastien Licette, entrepreneur en rénovation à Bertaucourt-Epourdon (Aisne), dont de nombreux devis sont en attente. "Les dossiers sont bloqués en attendant du vote du PLF (projet de loi de finances)", lance-t-il. Cela concerne "tous les dossiers qui n'ont pas été instruits avant le 31 décembre et validés".
Il espère que la situation s'arrangera rapidement "afin de débloquer les chantiers parce qu'on a quand même quatre mois de devis qui sont bloqués". Cela représente pour lui 300 000 à 350 000 € de travaux l'année : "aujourd'hui, on est à quasiment 300 000 € de dossiers bloqués au niveau de l'Anah (Agence nationale de l'habitat)".
On est dans l'incertitude. En plus, on commence à nous dire qu'il va y avoir moins d'aides. Est-ce que c'est moins de dossiers ? Est-ce que c'est moins de subventions pour les gens ? On est dans le flou complet, on ne sait pas où on s'en va.
Sébastien Licette, entrepreneur en rénovation
Actuellement, il table sur un déblocage au mois de mars, "mais on est à l'abri de rien", comme d'une nouvelle censure du gouvernement. "Si on se prend une censure au mois de mars, au moment du PLF, on repart pour au minimum trois mois, on arrive à juin, ce sont les vacances. Il n'y a rien qui va se passer en juillet et en août, et on arrive à septembre", craint-il.
Si lui est relativement épargné, ce n'est pas le cas d'autres artisans "qui sont plus impactés que [lui]. Dans le malheur de la situation, on a quand même de la chance, on a du boulot d'avance, mais ce n'est pas le cas de tout le monde". Il n'en reste pas moins que ni lui, ni aucune autre entreprise ne peut continuer de travailler dans l'incertitude : "quand les dossiers continuent [d'affluer], on sait que ça va, mais quand on a un blocage au niveau du gouvernement, c'est compliqué".
"On est dans le flou"
Autre problème : l'enveloppe annuelle allouée chaque année. Sébastien Licette note que celle-ci risque de diminuer. D'après plusieurs journaux spécialisés dans le bâtiment, l'enveloppe aurait été réduite de 700 millions, "donc elle serait portée à 1,8 milliard", contre 4 milliards en 2024. "On ne sait pas comment ça va être dispatché, est-ce qu'il y aura moins de chantiers, moins d'aides, le problème est là. S'il y a moins d'aide pour nos clients, forcément, ça va générer moins de chantiers parce que les gens n'auront pas forcément le budget pour mettre le supplément", souligne-t-il.
En effet, la majorité des personnes qui décident d'effectuer des travaux d'économie d'énergie ne se voient pas les faire sans aide. Les aides comme MaPrimeRénov' sont décisives pour de nombreux clients. "Les gens ont peur d'investir, souligne Francisco Lopez, plombier-chauffagiste. Du coup, ça se retourne contre nous, on a moins de demande". Qu'il s'agisse d'une pompe à chaleur, de fenêtre ou d'isolation, "tout coûte de plus en plus cher. Donc s'ils peuvent récupérer, 5 000, 10 000 ou 15 000, voire plus, c'est toujours ça en moins qu'ils ont déboursé".
Il y a des gens qui, aujourd'hui, ne peuvent pas mettre ne serait-ce que 5000 € de leur poche.
Sébastien Licette, entrepreneur en rénovation
Une autre problématique pourrait bientôt se poser pour les artisans : "il y a eu une annonce faite la semaine dernière et a priori, le gouvernement voudrait greffer MaPrimeRénov’ et le C2E", explique Sébastien Licette. Par exemple, dans le cas des travaux monogestes, qui consistent à faire les rénovations étape par étape pour les budgets serrés, "on leur propose MaPrimeRénov’ et le C2E, le certificat d'économie d'énergie". Le budget va-t-il aussi baisser ? Encore une fois, lui et ses confrères restent dans le flou : "on a plein de petites informations qui descendent comme ça, mais on ne sait pas".
Au-delà des artisans et des particuliers, tous les "corps d'état" sont touchés. "Nous, on l'est directement parce qu'on fait des travaux d'économie d'énergie, mais indirectement, ça touche l'électricien, même s'il ne bénéficie pas d'aide. Le peintre, derrière, aussi. Si on ne fait pas ces chantiers-là, les peintres n'auront pas de travaux à faire. En fait, c'est un engrenage et c'est toute la filière du bâtiment qui est impactée", observe-t-il.
Les élus doivent "prendre leurs responsabilités"
José Faucheux, président de la CAPEB Aisne (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment), tire la sonnette d'alarme. Il demande à l'État, au nouveau gouvernement et aux élus nationaux d'arrêter "la guéguerre qu'il peut y avoir" et d'être "un peu raisonnables pour notre pays, pour son économie. Je pense qu'il est inutile de rappeler que si on demande d'être raisonnable, c'est aussi pour l'emploi, pour l'apprentissage, la pérennité de nos entreprises".
Lors d'un déjeuner récent avec "trois, quatre" entreprises, un confrère confiait que les rénovations énergétiques représentaient 70 % de son chiffre d'affaires. Un autre, quant à lui, "disait que c'est 30, on en a un qui disait que c'est 50 % bien tassés. Bien sûr, ça dépend de l'activité, du secteur géographique, mais je peux, sans trop me tromper, dire que c'est presque la moitié de l'activité des artisans du bâtiment, c'est important".
Face au risque de réduction de l'enveloppe budgétaire, José Faucheux constate être revenu "à ce qui s'était passé fin 2023 et début 2024", quand le ministre de l'Économie de l'époque, Bruno Le Maire, a annoncé "un rabotage d'un milliard sur l'enveloppe générale, si mes souvenirs sont bons". Le président de la CAPEB craint que pour 2025, ce soit pareil. "On va nous raboter, pour d'autres raisons, peut-être, quoique, ce sont toujours des raisons économiques, mais si l'année démarre dans trois mois, ce n'est pas difficile de raboter l'enveloppe", conclut-il.
Avec Rémi Vivenot / FTV