Dans le Saint-Quentinois, les séniors aux revenus les plus faibles, bénéficient d'un habitat typique du nord de la France et des Flandres au Moyen Âge : les béguinages. Des logements collectifs à bas loyers, une alternative à la vie en Ehpad.
Quelques mots d'histoire s'imposent : les premiers béguinages sont fondés au XIIe siècle dans la ville de Liège, en Belgique. Il s'agit, pour des femmes veuves ou célibataires sans revenus, très pieuses, de se regrouper dans un même lieu de vie. L'objectif est de s'apporter mutuellement aide et soutien. Les béguines sont revêtues d'une longue robe noire et portent un voile blanc, couramment appelé "le béguin".
Des Flandres, l'idée fait son chemin jusque dans le nord de la France. Et en 1235, un premier béguinage est fondé à Saint-Quentin, dans l'Aisne. D'autres suivront au XVe et XVIe siècle. La ville comptera jusqu’à 236 logements au sein de béguinages avant la Grande Guerre. En 700 ans, une vingtaine de béguinages seront ainsi fondés dans la cité.
En 1986, la ville rénove ce parc immobilier parfois vétuste et l'équipe de tout le confort moderne. C'est une des dernières villes en France, où se perpétue cette façon de vivre en collectivité dans des maisons mitoyennes, à étage, disposées en rectangle ou carré autour d'un espace vert ou d'un jardin.
"Nous sommes très fiers que ce patrimoine subsiste encore sur notre territoire", explique Freddy Grzeziczak, vice-président du centre communal d'action social, le CCAS, et par ailleurs 1er adjoint en charge de la sécurité et la solidarité.
Les béguinages : des logements pour les séniors les plus modestes
"Il reste huit béguinages aujourd'hui à Saint-Quentin. La plupart datent des années 1840-1880, à une période où Saint-Quentin connaissait un important essor industriel. D'autres sont plus anciens encore. Et ils sont disséminés un peu partout à travers les quartiers de la ville, Faubourg d'Isle, Remicourt, Saint-Jean...", précise Freddy Grzeziczak .
Saint-Lazare, Saint-Augustin : les béguinages ont souvent gardé de leur passé religieux une dénomination tirée du nom d'un saint. "Nous sommes la seule ville en Picardie à être dotée de ce type si particulier d'habitats au sein desquels 185 personnes sont actuellement hébergées", ajoute Freddy Grzeziczak.
L'âge moyen des résidents est de 73 ans et la surface moyenne occupée est de 48 m². "Il faut être âgé de plus de 60 ans pour y accéder, et vivre à Saint-Quentin ou avoir de la famille dans notre ville", poursuit Freddy Grzeziczak.
Les huit béguinages de Saint-Quentin sont ouverts uniquement aux séniors dont les revenus ne dépassent pas 12 759 € par an. Ce plafond de ressources restreint ainsi l'accès aux plus modestes d'entre eux.
Et dans une ville où 25 % de la population est âgée de plus de 60 ans, les béguinages offrent une alternative économique appréciée pour ceux dont les retraites sont modestes. "Nous sommes donc sur du logement social. Les attributions sont décidées par une commission du bailleur social 'Partenord', qui a racheté notre parc de logements en béguinages il y a quelques années, et qui se réunit tous les quinze jours", nous explique le vice-président du CCAS.
Quelques logements sont toujours vacants : il s'agit de pouvoir y réaliser des travaux ou de garder une disponibilité en cas de sinistre grave, type incendie ou inondation dans la ville. "Ce peut être aussi des personnes âgées en situation critique qu'il faut reloger en urgence", note Freddy Grzeziczak.
"Derrière les briques il y a des gens"
Les béguinages de Saint-Quentin répondent à un principe de solidarité hérité du Moyen Âge. Ainsi, les personnes âgées occupant un T1, s'acquittent d'un loyer de 275 €, 309 € pour un T2. Un loyer raisonnable, très loin des tarifs pratiqués en Ehpad. "Ces logements sont en général équipés d'une cuisine, une petite salle à manger, une salle d'eau et une chambre à coucher. Souvent, il y a un étage. Certaines personnes âgées préfèrent d'ailleurs aménager leur chambre à coucher au rez-de-chaussée pour ne pas avoir à monter l'escalier", complète Freddy Grzeziczak.
Des logements modestes certes, mais qui offrent bien des avantages : les maisons sont mitoyennes, accolées les unes aux autres autour d'un parc, d'un espace vert. "Résultat, d'une porte à l'autre, il y a deux mètres au maximum et tout le monde se connaît. On s'interpelle, on discute, on prend des nouvelles, on s'entraide, explique Freddy Grzeziczak, et à la moindre absence prolongée de l'un d'entre eux, les locataires avertissent le CCAS".
Dans un béguinage, tout le monde se connaît, et des bancs, installés dans le jardin central, permettent une proximité plus forte encore. "Dans ce type d'habitat, on est à la fois indépendant, chez soi, et en même temps, on se voit, on se parle".
Un espace à la fois clos, concentré autour d'un espace commun, tout en étant ouvert sur la ville : une proximité bien commode pour les résidents qui souhaitent aller faire une course ou utiliser les transports en commun pour se déplacer.
Au cœur du béguinage, une salle dédiée aux animations
Un béguinage est un lieu de vie. "Il y a des allées et venues en permanence au sein de la structure car certains pensionnaires ont besoin de soins à domicile, de soins infirmiers, de kiné. D'autres font aussi le choix du portage de repas à domicile", poursuit Freddy Grzeziczak.
À Saint-Quentin, les béguinages sont tous dotés d'une salle commune pour les animations. "Ce sont les animateurs du Centre Communal d'Action Sociale qui en ont la charge", explique son vice-président. "Il n'y a pas une semaine sans que des jeux de société, des travaux manuels, un repas à thème ou un miniconcert, d'accordéon par exemple, ne soient organisés. D'ailleurs, certains résidents font ainsi le tour des béguinages pour retrouver leurs amis dans d'autres salles et ne manquer aucune occasion de s'amuser et échanger", s'amuse Freddy Grzeziczak.
En 2024, 234 animations de tous types ont ainsi été proposées aux résidents des béguinages Saint-Quentinois. "Mais vous savez, pour nos séniors, il existe aussi des tarifs préférentiels pour de nombreuses activités en ville, type gymnastique douce ou yoga par exemple". Les occasions de sortir sont donc nombreuses pour les résidents.
Un béguinage est un lieu qui favorise le bien vieillir
Freddy Grzeziczak / Vice-président du CCAS de St Quentin
Selon les statistiques de la ville, la durée de séjour moyen est de huit ans en béguinage. "Notre ville, au grand passé industriel, dans le textile notamment, a beaucoup souffert économiquement. On n’est pas sur la Côte d'Azur et nos aînés, même s'ils ont travaillé toute leur vie, ont des petites retraites", explique Freddy Grzeziczak.
Moins cher qu'une maison de retraite classique, les résidents ont de surcroît toute liberté pour recevoir des amis chez eux.
Un modèle qui inspire de plus en plus de promoteurs immobiliers. "Plutôt sous la forme de petites résidences, composées d'appartements organisés autour d'une salle commune", précise Freddy Grzeziczak.
"Je trouve ce lieu parfait pour le bien vieillir, éviter la solitude, grâce au voisinage, à la proximité", complète le premier adjoint au maire en charge de la solidarité. Freddy Grzeziczak, qui conclut avec cette anecdote en forme de clin d'œil : "certains séniors font même de belles rencontres au sein des béguinages et il nous est arrivé plus d'une fois d'accorder un logement pour un couple qui venait de se former. Je ne dis pas qu'on fait mieux que 'Tournez Manège', mais avouez, à 70 ans, c'est beau non ?"