50 ans de la loi Veil sur l'IVG : "c'est toujours une lutte, la question de l'avortement", récit d'un combat encore actuel

Il y a 50 ans, la loi autorisant l'interruption volontaire de grossesse (IVG) était promulguée en France. Depuis, beaucoup de chemin a été effectué : formation, centres IVG, constitutionnalisation... Malgré tout, de nombreux défis persistent aussi bien à l'échelle nationale que dans les Hauts-de-France.

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Le 17 janvier 1975, la loi autorisant l'interruption volontaire (IVG) de grossesse était promulguée en France. 49 ans plus tard, la "liberté de recourir à l'avortement" entrait dans la Constitution française, une première mondiale.

Malgré d'importants progrès sociaux au cours de ces dernières décennies, le droit à l'IVG connaît encore de nombreuses entraves aussi bien sur le terrain que dans l'opinion publique (qui y reste généralement favorable).

Plusieurs expertes sur le sujet dressent le bilan de 50 ans de légalisation de l'avortement en France, dans les Hauts-de-France et retracent le parcours d'un combat qui a mobilisé des millions de femmes dans l'hexagone.

Un "soulagement" pour des millions de femmes

Véronique Séhier, administratrice du planning familial du Nord, est une féministe aguerrie qui s'est battue aux côtés de nombreuses autres femmes pour permettre l'accès légal à l'IVG aux femmes. Il était "important" que ce droit soit enfin reconnu aux femmes, d'autant plus qu'elle a eu des amies "étudiantes et plein de femmes qui ont souffert de la non-possibilité d'avorter dans des conditions qui soient favorables pour elles". Elle s'est dit "absolument écœurée" de la façon dont les femmes étaient traitées quand elles avortaient de façon clandestine.

C'est d'ailleurs l'expérience d'une amie qui l'a plongée dans le combat pour la légalisation de l'IVG, au début des années 1970. Elle "avait avorté sur une table de cuisine en formica dans un quartier populaire de Lille" et s'était retrouvée au CHU, "traitée comme un chien dans un jeu de quilles par des médecins qui l'ont accueilli en lui faisant bien comprendre qu'elle allait souffrir pendant le curetage à vif". Véronique Séhier rappelle qu'à cette période, les femmes risquaient leur vie, leur santé et la stérilité.

Aujourd'hui, lorsqu'elle entend le discours de Simone Veil en 1974, affirmant que l'avortement "est toujours un drame, cela restera toujours un drame", elle se dit qu'il s'agit également d'un "soulagement" pour toutes les femmes qui peuvent y avoir recours. "Forcer une femme à poursuivre une grossesse dont elle ne veut pas est une énorme violence pour toutes les concernées", souligne-t-elle.

Claudine Monteil, diplomate, historienne et écrivaine derrière la biographie de Simone de Beauvoir abonde dans le sens de Véronique Séhier : "c'est la raison pour laquelle j'ai participé, chez Michelle Vian, la première femme de Boris Vian, à des avortements clandestins, où j'ai vu des femmes être totalement soulagées au bout de quelques minutes quand cela avait lieu dans des conditions décentes".

Elle cite notamment la méthode de Karman, autrement dit l'IVG par aspiration, plus sécurisante. Elle a été importée en France et pratiquée durant les avortements clandestins chez Michelle Vian - auxquels participait Claudine Monteil - dès 1971. Cette méthode a aussi été adoptée par le Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception (MLAC), créé en 1973, après le procès de Bobigny et l'occupation des jeunes filles enceintes au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine). "C'est une méthode que le MLAC a réussi à rendre beaucoup plus efficace à travers toute la France et nous en sommes très reconnaissantes", ajoute la diplomate.

Le manifeste des 343

Claudine Monteil était d'ailleurs à l'extérieur de l'Assemblée nationale lorsque le fameux discours de Simone Veil a été prononcé. À cette époque, elle était encore étudiante et venait de passer quatre ans à militer "dans des conditions épuisantes pour le droit à l'IVG".

Elle a fait partie des femmes qui ont signé le "manifeste des 343", publié le 5 avril 1971 dans Le Nouvel Observateur, qui appelait à la légalisation de l'IVG en France. "Quand nous avions signé le manifeste, nous risquions trois ans de prison et nous avons voulu qu'il n'y ait pas que des femmes célèbres" signataires, chose que le rédacteur en chef ne voulait pas.

"Nous avons dit non, les femmes connues ont les moyens financiers d'avoir des avortements en Suisse ou en Grande-Bretagne" avec une garantie "qu'il n'y aurait pas de problèmes". En revanche, les femmes "inconnues", celles des classes moyennes ou populaires, "pour elles, c'était la table de cuisine, dans des conditions dramatiques, avec la menace d'être arrêtées".

Quand la loi a été finalement promulguée, en 1975, l'INED estimait entre 300 000 et 400 000 avortements clandestins par an, dont 5 000 décès liés. Celles qui survivaient avaient souvent des séquelles graves et durables. À partir de 1976, 180 000 avortements encadrés ont été enregistrés. Actuellement, le nombre est stable et tourne autour de 220 000 chaque année.

Rendre l'avortement accessible à toutes

Néanmoins, au moment de la promulgation, la prise en charge des femmes ne s'est pas tout de suite améliorée. Véronique Séhier explique qu'il n'y avait pas encore de médecins qui savaient pratiquer les avortements dans les hôpitaux, "parce qu'il n'y avait pas de formation sur l'avortement, c'était interdit". Ce sont des médecins qui ont pratiqué les avortements illégaux avec le MLAC ou dans leur cabinet qui ont contribué aux formations.

Dans les Hauts-de-France, le Planning familial "s'est vraiment engagé à faire en sorte que les avortements soient effectués dans le cadre de l'hôpital public". Le but de cette démarche : que l'IVG soit accessible à toutes les femmes de tous les milieux, "parce qu'il faut se souvenir qu'au moment où la loi sur l'avortement a été promulguée, ce n'était pas remboursé, donc il pouvait y avoir des prix défiant toute concurrence".

Manifestation à Paris en 1973 en faveur du droit à l'avortement. © MARC CHARUEL / AFP

Véronique Séhier rappelle que l'avortement concerne une femme sur trois, peu importe son milieu social. "On a tendance à dire que ce sont des femmes plus jeunes qui n'ont pas fait attention, si on regarde les chiffres aujourd'hui, celles qui avortent sont les femmes qui sont à une des périodes les plus fertiles de leur vie, en gros, entre 20 et 30 ans, un peu plus au-delà".

Mais parmi ces femmes, les plus vulnérables restent celles qui sont en situation de précarité très importante. C'est pourquoi le Planning familial "s'est battu pour que la contraception soit gratuite jusqu'à 26 ans et pas jusqu'à 18 ans", car certaines n'ont pas les moyens financiers d'assurer une contraception qui peut être coûteuse.

Des entraves existent encore

Depuis la promulgation de la loi, le Parlement a permis son remboursement par la Sécurité sociale en 1982 ou encore l'allongement du délai de la période légale pour l'IVG de 10 à 12 semaines de grossesse puis de 12 à 14 semaines. Sur le plan médical, la pratique de l'IVG médicamenteuse a été rendue accessible auprès des sages-femmes et des médecins de ville en 2016. Et un décret a permis en 2023 aux sages-femmes de pratiquer seules l'IVG instrumentale. En 2023, la liberté garantie de l'IVG a été inscrite dans la Constitution, même si de nombreuses militantes souhaitaient plutôt inscrire "un droit".

Pourtant, de nombreux défis persistent encore aujourd'hui. "Le combat ne s'arrête pas là, insiste Emma Chancé, représentante d’Osez le féminisme dans le Nord. Il y a encore un manque de moyens pour permettre au personnel de se former correctement, il y a de nombreux centres IVG qui ferment chaque année, il y a un nombre [important] de désinformations qui circulent et cette clause de conscience qui permet encore aux médecins de refuser de pratiquer des soins, et donc de pratiquer l'IVG pour des raisons personnelles ou professionnelles".

Toutes ces entraves ont poussé le Planning familial des Hauts-de-France à effectuer une étude "sur l'effectivité du droit" parce que si la loi existe, elle ne suffit pas. Ils se sont rendu compte que "certains médecins font traîner les choses, demandent des examens complémentaires pour allonger les délais, par exemple". De plus, la clause de conscience, citée par Emma Chancé, montre que l'avortement est toujours stigmatisé "et on est incapable aujourd'hui de savoir combien de médecins opposent leur clause de conscience en France parce qu'on ne se déclare pas avant", note Véronique Séhier. Les professionnels de santé sont tout de même "obligés" d'orienter les femmes vers des confrères et consœurs "qui appliquent la loi".

Autre problématique : la difficulté, dans certains départements, de trouver un professionnel de santé à proximité qui pratique l'IVG. Dans l'Aisne, par exemple, seules deux sages-femmes pratiquent l'IVG médicamenteuse. Elles sont chacune domiciliées aux extrémités du département, rendant ainsi compliqué leur accès à celles qui habitent au centre de l'Aisne.

Le combat n'est pas terminé

Aujourd'hui encore, les mouvements anti-avortement restent très actifs en Europe et en France. "À Lille, le jour de l'inscription de l'IVG dans la Constitution, on a eu la devanture du Planning taguée, et on voit que les anti-avortement sont encore très présents et s'opposent toujours à ce droit fondamental des femmes à disposer de leur corps", ajoute Véronique Séhier. Si ces militants ne disent pas clairement qu'ils sont contre l'IVG, ils arrivent à faire passer leur message de façon détournée : "il n'est plus de bon ton de dire qu'on est contre l'avortement, mais on dit que l'avortement comprend des dangers, que des femmes risquent la dépression, etc."

Des "menaces réelles" existent également contre les militants pro-IVG. "Des procès sont intentés contre des personnes et surtout, ces associations [anti-IVG] bénéficient de soutiens dans les médias de façon très importante. Cette désinformation, ils peuvent la faire au quotidien et ça, c'est quelque chose qu'on voit se déplacer". C'est pourquoi il est plus qu'essentiel d'avoir "la meilleure information, d'avoir accès à des lieux ressources rapidement". En effet, sur les 30 centres IVG dans les Hauts-de-France, seulement "un sur deux" applique complètement la loi.

"C'est pour ça qu'il faut se battre pour que la loi existe, qu'elle s'applique et qu'elle ne régresse pas. C'est toujours une lutte, la question de l'avortement. Ce n'est jamais un droit qui est considéré comme un droit à part entière, c'est toujours à part", conclut Véronique Séhier.

Avec Christelle Juteau / FTV

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