DOSSIER. Cigogne blanche : chronique d’une renaissance écologique dans le Nord, entre adaptation et incertitude climatique

Alors qu’en 1974, l’espèce a failli disparaître, cinquante ans plus tard, les cigognes blanches hivernent de plus en plus dans le pays, y compris dans les Hauts-de-France. Selon l’Observatoire du climat, elles y seraient même en pleine expansion. La région abritait deux couples nicheurs en 2014, 87 en 2021, 131 en 2023 et on les estiment à 150 en 2024. Une augmentation en partie liée au réchauffement climatique.

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En 1974, l'espèce Ciconia ciconia était au bord de l'extinction avec seulement 11 couples nicheurs en France. Cinquante ans plus tard, on en recense 6 000 dans le pays, 150 dans les Hauts-de-France, où les cigognes blanches sont en pleine expansion et racontent une histoire spectaculaire de résilience et d'adaptation, symbolisant les transformations écologiques contemporaines dans un contexte de réchauffement climatique. 

Cinq cigognes blanches posées sur des piquets dans l’Avesnois le jour de Noël : Thierry Tancrez n’en revient pas. Cet ornithologue est responsable de l’accueil dans les espaces naturels du Nord. "On en rencontre désormais toute l’année, c’est fou !" À ses côtés, Kévin Ransquin renchérit : "L’Avesnois, que l’on fait en sorte de valoriser, est leur site de prédilection. On en trouve aussi dans la vallée de la Sambre, de l’Helpe majeure et mineure." Et en Belgique, où la réserve de la Haute-Sambre a vu naître ses premiers cigogneaux il y a moins de deux ans.

L'Avesnois, terre de prédilection dans le Nord pour les cigognes, grâce à ses prairies humides. © Christophe Hildebrand

Les cigognes sont attirées par les zones humides et les prairies, qui représentent 13% du territoire des Hauts-de-France, contre 38% à l'échelle nationale. La canalisation des rivières, le drainage et la conversion des prairies en monocultures céréalières réduisent les habitats favorables.

Alors pour ce garde départemental, préserver les milieux naturels est crucial pour la survie à long terme de l’espèce. "La Cigogne blanche a fait l’objet de réintroductions en France mais maintenant, la population s’agrandit naturellement et s’installe sur des arbres cassés ou des maisons."

Une cigogne sur une plateforme dédiée à Moustier-en-Fagne, village de l'Avesnois (Nord). © Thierry Tancrez
Cigogne nichant sur la cheminée d'une maison dans l'Avesnois (Nord). © Christophe Hildebrand

Pourquoi cet effort de réintroduction ?

En 1974, l’espèce était en danger d’extinction avec 11 couples nicheurs recensés dans l'ensemble du pays. "C’est-à-dire des couples qui couvent et peuvent produire des jeunes pendant la période de reproduction, précise Aurélie Delaval, directrice adjointe de la LPO des Hauts-de-France. Les sédentaires restent toute l'année et les individus hivernants migrent vers des zones plus chaudes pour passer l'hiver, même si certains ne s’éloignent que très peu de leur région de nidification."

"Les mâles reviennent au nid début février, suivis par les femelles, fidèles au nid plutôt qu’au partenaire. La couvaison dure une trentaine de jours. Les jeunes restent au nid deux mois et demi avant de s’envoler." 70% meurent la première année, en général de faim ou de froid, et peu atteignent l’âge adulte de 3 ans, mais ils ont ensuite une durée de vie de plus de 20 ans.

Une cigogne nourrit son petit au nid dans la réserve naturelle du Romelaëre (Pas-de-Calais). © Thierry Tancrez

Devenue espèce protégée en 1981 et grâce aux efforts de conservation (mise en place de plateformes artificielles, protection des zones humides, interdiction de certains pesticides), la population a progressivement augmenté, atteignant environ 6 000 couples en France aujourd'hui. Cette dynamique est particulièrement visible dans les Hauts-de-France, où la région devient de plus en plus hospitalière, grâce à des hivers plus doux.

"Depuis peu, on a des individus qui reviennent dès la fin, voire la mi-janvier, après une migration partielle, expose encore Thierry Tancrez. Ceux qui ne s’éloignent pas de leur nid pendant l’hivernage sont gagnants parce que, pour les quelques retardataires qui arriveront début mai, ce sera la crise du logement !"

Si Kévin et Thierry sont au fait des déplacements des cigognes, c’est grâce à un programme de baguage autorisé par le Muséum national d’histoire naturelle de Paris et lancé par l’écologue et ornithologue nordiste Christophe Hildebrand en 2021.

Objectif, étudier dans les Hauts-de-France et en Seine-Maritime la dynamique, l’écologie et la conservation de la Cigogne blanche, Ciconia ciconia, pour le centre de recherches sur la biologie des populations d’oiseaux. "Mettre une bague, déclare-t-il, c’est la seule manière d’être certain de l’identité et de la provenance d’un oiseau. Depuis quatre ans, dans la région, on observe de nouvelles nidifications avec des cigognes qu’on a nous-mêmes baguées."

Baguage de cigogneaux dans l'Avesnois (Nord). © Christophe Hildebrand

Une hausse liée au réchauffement climatique ?

Pour Sarah Pischiutta, directrice du Groupement ornithologique et naturaliste du Nord (GON), "c’est difficile de déterminer la part du climat. Si on en voit plus, c’est d’abord parce qu’il y a eu des opérations menées pour sauver l’espèce. Entre élevage et réintroduction, on a habitué les cigognes à passer l’hiver dans nos régions. Et cette population locale sédentarisée devient attractive pour les oiseaux de passage."

"Ce qui peut être attribué au changement climatique, complète Christophe Hildebrand, c’est la modification de la manière de migrer des cigognes. Avant, elles partaient toutes en Afrique. Sur la population française, un tiers continue sur cette lancée, un tiers s’arrête en péninsule Ibérique (Portugal, Espagne), un tiers reste dans les pays du nord de l’Europe, dont la France."

Cigogne en vol au-dessus de la réserve naturelle du Romelaëre (Pas-de-Calais). © Thierry Tancrez

"La migration vers l’Afrique génère une grande mortalité, entre la fatigue du voyage, le manque de contrôle là-bas sur les pesticides et les sécheresses, qui ont décimé une grande partie des cigognes dans les années 70. Et dans certains pays, elles sont abattues pour être mangées. En migrant moins, elles sont moins chassées, donc le réchauffement climatique contribue à leur élargissement."

La nourriture, élément crucial pour la sédentarisation

Le naturaliste Philippe Carruette est lui aussi bagueur pour le programme de Christophe, en Baie de Somme où, lors de la création du parc du Marquenterre, il a travaillé à la réintroduction de la Cigogne blanche.

"Elle est opportuniste, analyse-t-il. Outre les lombrics qu’elle trouve dans les champs qui ne gèlent plus, les décharges lui fournissent insectes, rongeurs, taupes, grenouilles, poissons… Le danger, c’est de confondre un élastique avec une limace et de s’empoisonner en l’absorbant."

"Quand le centre d’enfouissement de Boismont dans la Somme a fermé, une partie de la centaine de cigognes qui y passait l’hiver s’est rabattue sur Dannes, dans le Pas-de-Calais, où des dizaines de milliers de tonnes de déchets sont entreposées avant d’être recouvertes de terre."

La présence accrue des cigognes soulève des questions sur la pression exercée sur les petites faunes locales, mais des études restent encore à mener, comme cela a été fait en Charente-Maritime, où les nombreuses cigognes blanches (525 couples nicheurs en 2023 et plus de 150 individus sédentaires) se nourrissent à 90% d’écrevisses de Louisiane (Procambarus clarkii), contribuant ainsi au contrôle de cette espèce invasive, fléau pour la végétation aquatique, les poissons et les batraciens.

Carte de l'hivernage de la Cigogne blanche en France du 1er au 15 décembre 2024. © LPO - Faune France
Carte de présence de la Cigogne blanche en France du 1er au 17 janvier 2025. © LPO - Faune France

Dans ce département du Midi atlantique, la Cigogne est devenue un vrai symbole des marais. "Aujourd’hui, elle est une sentinelle indicatrice des changements climatiques en cours, sourit Nicolas Gendre, ornithologue à la LPO et spécialiste des cigognes et des lignes électriques. Chez nous, l’hivernage n’est plus la deuxième quinzaine de décembre, mais la première."

Pylônes électriques : attention danger

"Dans l’effort de protection, poursuit-il, il faut supprimer les causes de mortalité possibles comme les lignes électriques. On doit les sécuriser, condamner les poteaux meurtriers, poser des girouettes antinidification et des balises, pour éviter les percussions."

Précurseur dans ce domaine, le département doit installer dans le cadre du programme européen SafeLines4Birds de nouveaux dispositifs anticollision révolutionnaires, utilisant une lumière UV. Un projet sur six ans, qui vise à réduire la mortalité non naturelle de 13 espèces d'oiseaux en France, en Belgique et au Portugal.

Dans le Nord, pas de réintroduction et pourtant, face à la population grandissante, Christophe Hildebrand a participé en 2024 à la rédaction de deux dossiers de demande de dérogation pour déplacement d’espèces protégées, pour le compte de RTE et Enedis, afin de pouvoir intervenir au niveau des nids construits sur les pylônes électriques.

"En 2010, les deux premiers couples se sont installés, se souvient-il. Les premiers jeunes ont pris leur envol en 2013 et depuis, on recense dans le département deux à trois couples nicheurs supplémentaires chaque année. Ils étaient 16 en 2023, 19 l’an dernier."

Un nid de cigognes sur un pylône électrique dans l'Avesnois (Nord). © Christophe Hildebrand

Ils sont de plus en plus nombreux à nicher sur des pylônes électriques. En septembre, pour la première fois dans le Nord, un nid a été déplacé à Eppe-Sauvage. "Le propriétaire a accepté qu’on installe une plateforme sur son terrain, en période où les oiseaux étaient absents. On verra s’ils retrouvent leur nid…"

Un des effets majeurs chez les migrateurs, c’est la tendance à la sédentarisation.

Christophe Luczak

Chercheur en écologie à la station marine de Wimereux

Quand le programme de baguage arrivera à son échéance en 2025, Christophe sollicitera un autre spécialiste pour faire des analyses. Chercheur en écologie à la station marine de Wimereux, Christophe Luczak travaille sur l’influence du changement climatique sur la dynamique des populations d’oiseaux.

Il est formel : "Un des effets majeurs chez les migrateurs, c’est la tendance à la sédentarisation. Elle sera bientôt complète chez la fauvette à tête noire et le pouilleux véloce. Quand je suis devenu ornithologue dans les années 80, il n’y en avait pas, ou peu. Idem pour la Cigogne blanche. Aujourd’hui, les oiseaux qui partent moins loin ont un taux de survie plus important, leur permettant d’être plus en forme pour la reproduction que ceux qui ont migré."

La crainte des événements extrêmes

Son voisin de bureau est océanologue. Membre du groupe de travail II du GIEC depuis vingt ans, Grégory Beaugrand craint un avenir sombre pour la biodiversité en général. Auteur principal d’une étude en cours de validation avant publication d’ici quelques mois dans la revue Climate Research, il s’intéresse à la vulnérabilité future de la biodiversité marine.

"Je ne suis pas ornithologue, mais je me préoccupe des oiseaux. Les cigognes et les hérons prolifèrent dans les Hauts-de-France, en lien avec l’augmentation des températures. D’ici à la fin du siècle, celle-ci pourrait être de même amplitude que la différence entre une période glaciaire et une période interglaciaire. Il faut s’attendre à un bouleversement majeur de la biosphère terrestre et marine."

Avec la variabilité du jet-stream, les tempêtes sont plus concentrées, notamment sur les Hauts-de-France.

Davide Faranda

Climatologue

Selon le rapport de Copernicus daté du 10 janvier 2025, l’année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée et les événements extrêmes se sont amplifiés partout sur le globe. Davide Faranda, climatologue et chercheur à l’institut Pierre-Simon Laplace, confirme : "Avec la variabilité du jet-stream (ou courant jet), au lieu de passer comme avant sur une grande zone de l’Irlande à l’Espagne, les tempêtes sont plus concentrées, notamment sur les Hauts-de-France. Le climat est plus chaud et plus humide et les risques de tempêtes et d’inondations sont plus grands, causant un déclin de la biodiversité."

"Certes, les cigognes sont favorisées à un moment dans certaines zones mais, à un niveau global, on a moins d’espèces.", continue-t-il, faisant écho au dernier rapport Planète vivante 2024 de WWF.

La Cigogne n’est plus une espèce pour laquelle on s’inquiète.

Benoît Fontaine

Chercheur en écologie au Muséum national d'Histoire naturelle de Paris

Ainsi, et même si Benoît Fontaine, chercheur en écologie au Muséum national d'Histoire naturelle de Paris affirme que "la Cigogne n’est plus une espèce pour laquelle on s’inquiète, contrairement aux petits oiseaux communs qui sont en déclin extrêmement fort à cause de l’agriculture industrielle", bien que les cigognes semblent bénéficier actuellement du réchauffement climatique, elles pourraient souffrir davantage des changements à venir.

Un couple nicheur dans la réserve naturelle du Romelaëre (Pas-de-Calais). © Thierry Tancrez

C’est aussi l’avis d’Hélène Soubelet, directrice générale de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. "Plusieurs aspects liés à la migration des oiseaux sont impactés par le changement climatique : déplacements d’aire de répartition, déséquilibres phénologiques, perte d’habitat, concurrence accrue... Les efforts de conservation doivent absolument tenir compte de ces facteurs pour protéger efficacement les populations d’oiseaux migrateurs."

Les populations d'oiseaux migrateurs qui ne pourront s'adapter disparaîtront probablement, plus ou moins vite.

Hélène Soubelet

Directrice générale de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité

"Celles qui ne pourront s'adapter disparaîtront probablement, plus ou moins vite. Une étude britannique publiée en février 2024 traite de l’effet du changement climatique sur les oiseaux migrateurs et conclut qu’il est l'un des dangers les plus graves pour les systèmes écologiques mondiaux."

Les événements météo extrêmes se multiplient, montant en intensité. Sécheresse mortelle et orages de grêle en Charente-Maritime, vagues de froid hivernales dans les Hauts-de-France. "En cas de tempête, les nids sont trempés et les petits meurent de froid, déplore Christophe Hildebrand. Quand les cigognes choisissent de rester, elles prennent un risque, en réalité moindre que de migrer, puisque leur taux de survie est plus important."

L'avenir des cigognes blanches, comme celui de nombreuses espèces, dépendra donc de notre capacité à préserver leurs habitats, à adapter nos pratiques et à atténuer les effets du réchauffement climatique, en limitant nos émissions de gaz à effet de serre.

Une cigogne dans l'Avesnois (Nord). © Christophe Hildebrand

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Si vous observez une cigogne blanche, baguée ou non, vous pouvez l’indiquer sur Faune Hauts-de-France. Attention, s’en prendre à cette espèce protégée ou à son nid, même vide, est passible de 150 000 euros d’amende et 3 ans de prison.

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