Il lui a fallu 10 ans avant de raconter son histoire. 10 ans pour se reconstruire et tenter de comprendre l'emprise dont la jeune femme de Douchy-les-Mines a été victime, pendant près d'un an et demi, en 2014. Son livre "Vivante!" sort ce jeudi 23 janvier 2025.
"Il m’a battue jusqu’à ce que je m’écroule sur le sol sans bouger : "reste à ta place, tu n’es qu’une chienne aux pieds de ton maître !" Un exemple parmi tant d'autres. Les insultes, les coups, les viols même : le quotidien de cette jeune femme originaire de Denain.
Tiphanie a 25 ans quand la "descente aux enfers" commence. Mariée, mère de deux enfants, aide-soignante de nuit, elle raconte dans "Vivante !" sa vie ordinaire. Jusqu'à la rencontre avec l'ami d'une collègue, Rudy, le "tatoueur beau parleur". Pas de coup de foudre, ni même d'intérêt particulier : "il n’avait pas le physique du prince charmant, ce n’était pas le Brad Pitt du sud-ouest de Valenciennes !"
Pourtant, une liaison commence. Tiphanie n'est pas moteur. L'homme est insistant. Il prend de plus en plus de place. La jeune femme quitte son mari, se coupe progressivement de ses proches, perd son emploi de CDD. Rudy devient "tout-puissant", "humiliant" et de plus en plus violent.
Tombée dans le piège
"Quand je repense à cette période, explique aujourd'hui la mère de famille, je ne comprends pas, je m'en veux, je ressens de la honte et de la colère". Elle s'en veut d'être tombée dans le piège, de ne pas être partie tout de suite. "Voilà pourquoi je raconte mon histoire, je cherche à expliquer cette emprise et à alerter : attention, ça n'arrive pas qu'aux autres."
Difficile en effet d'imaginer ce qu'elle a enduré. 16 mois d'enfer. Rudy ira même jusqu'à la séquestrer. En plein été, alors qu'elle n'avait pas la garde de ses deux filles, il l'enferme, cache les clefs et enlève les poignées aux fenêtres pour éviter qu'elle ne sorte. A plusieurs reprises, elle tente d'alerter les voisins, notamment en plaquant une feuille sur une vitre "je suis séquestrée, appelez la police!"
Le plus dur c'est le silence, le silence des autres. Tout le monde se tait, tout le monde a peur.
Tiphanie Bel, victime de violences conjugales
Rudy avait instauré un climat de terreur dans le quartier, personne n'osait parler, raconte son ex-conjointe. "C'est toujours le même mécanisme. Rien que cette année : déjà 6 féminicides, pourtant autour de ces femmes tuées, tout le monde a entendu, mais tout le monde s'est tu. Elles ont cherché à sortir de l'emprise et voilà ce qui est arrivé."
Cet été de 2014, Tiphanie est séquestrée et violée, parfois même avec une autre, elle aussi sous emprise. La Nordiste se décrit alors comme "moitié morte, moitié vivante". En quelques mois, elle perd la moitié de son poids et atteint 37kg.
Le fond de teint ne faisait pas de miracle, il ne pouvait rien contre les trous dans mes cheveux, que Rudy m’arrachait par poignées.
Tiphanie Bel, édition MichalonCollection Polars réels, Plana Radenovic
Plusieurs fois, la jeune femme tente d'alerter ses proches, "lassés" dit-elle par ce "mauvais feuilleton". Elle se rend à maintes reprises au commissariat : "j'y suis allée 10 fois, on ne m'a jamais prise au sérieux". Jusqu'au jour où elle arrive accompagnée d'une autre victime présumée de Rudy et de la fille de celle-ci, elle aussi abusée par l'homme qui était alors son beau-père.
Le tatoueur est entendu, incarcéré, un procès d'assises est organisé. Le calvaire s'arrête, enfin. Les coups cessent, mais l'angoisse reste : "j'ai eu peur de mourir tous les jours, à chaque fois qu'il me battait." Pendant encore longtemps, Tiphanie va vérifier 10 fois si la porte d'entrée est bien verrouillée à clefs, si les fenêtres sont correctement fermées avant d'aller se coucher. "Il m’a fallu aussi de très longs mois pour renoncer à dormir avec un couteau de cuisine sous l’oreiller".
En mode combat
A-t-elle encore peur aujourd'hui ? Non, affirme-t-elle sans hésiter. "Je suis passée en mode combat, je ne veux pas que ça arrive à d'autres."
Si elle n'a plus peur, c'est aussi parce que Rudy est emprisonné à la maison d'arrêt de Valenciennes. Il ne peut plus nuire, condamnée à 18 ans de réclusion. Et surtout, enfin reconnu "coupable".