Ils ont accepté de se faire prendre en photo pour rendre hommage à leurs proches disparus dans un accident de la route. À l'initiative du chef étoilé Yannick Alléno, dont le fils a été victime de la route en 2022, des portraits sont tirés dans toute la France pour être exposés par JR sur le pont de l'Alma à Paris. L'association a fait étape à Lille le 30 janvier 2025.
Une photo pour se rappeler ceux qui nous ont quittés, une autre pour immortaliser les émotions de ceux qui restent. Sur le fond blanc d'un studio photo, Rita Soris pose devant l'objectif, malgré une douleur encore vive.
Ce sourire elle l'esquisse pour son fils Lorenzo, fauché en scooter à l'âge de 16 ans par un chauffard qui conduisait sous l'emprise de l'alcool et de la drogue il y a 26 ans. Elle l'esquisse également dans le cadre de la création d'une grande œuvre commémorative, en partenariat avec l'artiste JR, qui mettra en avant des portraits photographiés des proches des victimes de la route.
La démarche artistique permet de "rendre hommage à ceux que nous, en tant que parents, avons perdus gratuitement", estime-t-elle. "Oui, les années passent, mais c'est toujours là. Vos enfants vous manqueront toujours, c'est une plaie qui ne cicatrise pas."
Capturer des émotions
Pour capturer cette émotion si particulière, les proches des victimes peuvent compter sur le regard de Maria Greco Naccarato, photographe. Sous ses conseils avisés, les mannequins du jour prennent confiance, posent et sourient, le souvenir de leurs proches encore vivant dans leurs yeux. "Je leur demande de m'ouvrir la porte de leur sentiment, de gagner leur confiance", explique-t-elle.
Chaque participant passe derrière son objectif et est immortalisé en noir et blanc. Hervé Soris, père de Lorenzo, s'est aussi prêté au jeu. Pour lui, ces photos, c'est "montrer qu'on est toujours là".
Au total, une soixantaine de portraits ont été tirés. S'ils sont tous témoins de drames différents, ils ont un message en commun : la création du délit d'homicide routier pour remplacer l'homicide involontaire, qui fait aujourd'hui foi dans les tribunaux pour les affaires d'accidents de la route.
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Repenser les sanctions
"Quand ce genre de drame arrive, il faut aussi qu'il y ait une sanction qui soit posée, on ne peut pas sortir de ça dans l'impunité. Le fait qu'il y ait une sanction peut faire réfléchir certains", estime Annabelle, tante d'une victime de la route.
À l'initiative de ce combat, on retrouve le chef étoilé Yannick Alléno, qui lui aussi a perdu son fils Antoine sur la route en 2022. "Ce sont des actes très violents. Mettons des mots sur les choses, jugeons les choses comme elles se doivent. Arrêtons de mettre deux ans pour quelqu'un qui a bu de l'alcool, qui a cramé un feu et percuté deux enfants. Ce ne sont pas des accidents, ce sont des meurtres", dénonce-t-il. Ne serait-ce qu'en décembre 2024, 46 jeunes de moins de 24 ans ont perdu la vie sur les routes de l'hexagone.
On est tous liés par un fil invisible, on est devenus des frères et sœurs de peine.
Yannick AllénoChef étoilé et père d'Antoine, victime de la route
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Le chef, qui s'estime "lié par un fil invisible" avec tous les proches des victimes, a décidé en juin dernier, avec l'association Antoine Alléno d'entamer un tour de France pour aller à la rencontre des familles endeuillées. Ce tour permettra de recueillir plus de 3000 photos qui seront exposées en 2025 par JR sur le Pont de l'Alma à Paris. Une œuvre baptisée "ALIVE" ('vivant', en anglais).
Lorsque l'exposition des photos sera finie dans la capitale, "JR a eu l'idée d'enlever les portraits au karcher". Tout un symbole, qui rappelle de ne jamais oublier ceux qui restent.
Un reportage de François Wasson et Sébastien Gurak pour France 3 Hauts-de-France