Après une offensive éclair en Syrie, les rebelles ont annoncé avoir repris la capitale Damas, signant la fin du régime de Bachar al-Assad. Pour les communautés syriennes installées dans les Hauts-de-France, les craintes engendrées par la guerre depuis 2011 ont laissé place à l'espoir. Dans les rues, elles scandent leur joie.
C'est une date qui restera gravée dans les mémoires de tous les Syriens. Dans la nuit du 7 au 8 décembre 2024, vers 4 h 00 du matin (heure française), la nouvelle est tombée : le régime de Bachar al-Assad a été renversé par les rebelles.
Khaled Khalaf, happé par la rapidité des événements, n'a pas fermé l'œil de la nuit. "Il y avait des nouvelles chaque minute", raconte-t-il depuis sa maison dans l'Amiénois, assis devant la télévision branchée sur une chaîne d'informations syrienne.
Des histoires comme celles de Khaled Khalaf, il y en a des centaines, voire des milliers dans tout l'hexagone. Des destins croisés face aux régimes successifs d'Hafez et Bachar al-Assad qui depuis 1971, ont contraint des millions de Syriens à fuir leur pays.
Depuis l'annonce de la libération de la Syrie, en proie à la guerre depuis treize ans, des regroupements spontanés ont pris forme dans plusieurs villes des Hauts-de-France, comme à Lille ou à Amiens. Entre éclats de joie et embrassades, nous sommes allés à la rencontre de ces Syriens installés en France.
"Je n'ai qu'une envie, c'est d'aller faire la fête avec eux"
Grand Scène à Lille. Reem et Bassem tiennent Ataya ("le don" en syrien), un restaurant discret à l'étage de ce lieu de vie et de gastronomie lillois. Spécialistes de la cuisine syrienne, ils servent les inimitables falafels, chawarmas et houmous à leurs clients depuis 2021.
Mais entre deux prises de commandes, à quelques minutes de l'heure du déjeuner, ce 8 décembre 2024, Reem ne peut s'empêcher de scroller sur son téléphone, à l'affût de la moindre vidéo de la libération de la Syrie, le pays qu'elle a quitté en 2012 avec son mari Bassem et sa fille.
La voix tremblante, pleine d'émotion, elle traduit alors : "ils disent : « le lâche est parti, le chien est parti »." Les vidéos sont montées avec des musiques "que l'on chantait, nous aussi, au début de la révolution quand c'était encore pacifique." Reem suit les avancées des rebelles depuis des jours. "Je les ai suivis à chaque étape, depuis ce matin, je n'arrête pas, je suis tellement contente. Je n'ai qu’une envie, c'est d’aller fêter ça avec eux."
Reem était professeur de français en Syrie, Bassem travaillait dans le marketing. Grâce à leurs contacts avec l'Alliance française, ils ont pris le chemin de Lambersart (Nord) en 2014, après deux années passées en Égypte. Depuis, ils n'ont pas revu leur famille. La chute du régime d'al-Assad leur offre enfin cet espoir, 12 ans après leur départ. "C'est un rêve de serrer maman dans mes bras", s'émeut Reem.
Ce qu'elle reproche à la famille al-Assad ? Leur mépris des droits et libertés fondamentales. "Ils ne voulaient pas qu'on lève la voix, qu'on s'exprime. On s'est senti obligés de partir. On a vu nos parents souffrir, nous avons grandi dans la peur, Bassem en fait encore des cauchemars. Cette famille, c'était une mafia. C'était une prison à ciel ouvert politiquement", se souvient-elle.
Concernant l'avenir, encore difficile de savoir qui va reprendre la tête du pays, alors que Bachar al-Assad aurait fui le pays. "Il y a beaucoup de travail à faire, tous les Syriens sont prêts à reconstruire le pays" conclut-elle.
"Aujourd'hui, le peuple syrien a obtenu sa liberté"
Sur la place de la République de Lille, un rassemblement spontané a réuni une centaine de personnes pour célébrer le départ de Bachar al-Assad à la tête du pays.
J'ai gardé en mémoire l'atrocité de Bachar al-Assad.
AmadA fui la Syrie à l'âge de 14 ans
Parmi eux, Amad a dû quitter la Syrie à l'âge de 14 ans. Aujourd'hui adulte, il exulte : "Aujourd'hui, le peuple syrien a obtenu sa liberté. Je suis très optimiste par rapport à l'avenir. Le peuple syrien a souffert à cause du régime d'al-Assad et de la Russie qui a soutenu tout ça. À 14 ans, je voyais les manifestations pacifiques qui ont demandé la liberté, et al-Assad a répondu en tuant et en torturant dans les prisons. J'ai gardé en mémoire l'atrocité de Bachar al-Assad."
Dans un esprit festif, toute la communauté syrienne s'est donné rendez-vous sur cette place de la capitale des Flandres ; adultes, enfants et familles ont répondu présent.
Raghad tente de mettre des mots sur ce qu'elle ressent depuis ce matin : "on n'a pas les mots pour décrire notre émotion. On est trop heureuses. On ne croyait pas du tout que ce serait aujourd'hui le jour de la fin du régime du dictateur Bachar al-Assad."
Partir ou non pour la Syrie, un choix encore difficile
Un regroupement a également eu lieu à Amiens. "Ça fait treize ans qu'il y avait des guerres, maintenant, on a trouvé la solution pour être libre", témoigne l'un des Syriens présents sur place, soulagé.
Mais une question se pose désormais, prendra-t-il la décision de retourner en Syrie ? Encore difficile de savoir. Peut-être "dans un ou deux ans, c'est encore un peu compliqué", admet-il, le ton plein d'espoir.
Louis Patoor, retraité et bénévole du Réseau Éducation Sans Frontière de la Somme (RESF 80) espère que cet élan d'espoir ne se confondra pas en précipitation pour les Syriens. "C'est arrivé ultra rapidement, c'est stupéfiant", estime-t-il quant à la prise de Damas par les rebelles. "J'ai bien sûr une pensée à ce que nous a appris l'histoire à travers la Libye et l'Irak, le changement de pouvoir n'est pas obligatoirement une bonne nouvelle. Nous serons très attentifs aux prochains événements les jours qui viennent, la situation sur place est extrêmement compliquée."