Depuis février 2023 un cabinet se penche sur la question des nuisances sonores générées par l'aéroport de Lille-Lesquin. Deux ans plus tard, il a livré des conclusions qui ne font pas l'unanimité.
"L'État a mis le paquet pour tenir compte des attentes des riverains et de leurs inquiétudes", a lancé Pierre Molager, secrétaire général de la préfecture du Nord, lors de la présentation des conclusions d'une étude sur les nuisances sonores de l'aéroport de Lille-Lesquin le 16 janvier 2025.
L'annonce de la modernisation de ce dernier avait suscité en 2022 de nombreuses inquiétudes chez les associations et les riverains. Au centre de leurs préoccupations : les nuisances sonores engendrées par la densification du trafic aérien.
En réaction, trois ans plus tard, une enquête d'étude d'impact selon l'approche équilibrée (ou EIAE) a été réalisée afin d'analyser effectivement ces nuisances et de proposer des scénarios pour les résoudre. "Une démarche quasi unique en France", considère Pierre Molager. En voici les principaux enseignements.
Quatre scénarios dont un sort du lot
C'est au cabinet toulousain CGX AERO qu'a été confiée la mission de réaliser cette étude d'impact à partir du mois de février 2023. Dans un travail prenant en compte les enjeux sanitaires (comme l'impossibilité de dormir en raison du bruit), acoustiques, économiques et d'attractivité du territoire, le cabinet a analysé le rapport coût-efficacité de quatre scénarios de réduction du bruit.
Au regard des attentes exprimées par les riverains, l'enquête a planché uniquement sur des scénarios la nuit (entre 22 h 00 et 6 h 00) et en se projetant sur l'activité attendue au sein de l'aéroport en 2029. Voici les quatre scénarios qui ont été étudiés par le cabinet :
- Scénario 1 : L'interdiction des aéronefs dont la marge acoustique cumulée est inférieure à 15 EPNdB (Effective Perceived Noise Decibel : unité de mesure du son propre aux avions à réaction)
- Scénario 2 : L'interdiction des atterrissages de niveau de bruit certifié à l'approche supérieur ou égal à 96 EPNdB
- Scénario 3 : couvre-feu de "programmation" entre 23 h 30 et 6 h 00
- Scénario 4 : couvre-feu entre minuit et 6 h 00
Si les deux premiers scénarios consistent en l'interdiction des avions jugés trop bruyants, la différence est plus minime entre les deux dernières projections, qui consistent globalement en une interdiction de vol pendant la nuit, à l'exception des vols militaires, sanitaires, officiels ou pour les engins en détresse.
Si les 4 scénarios ont montré au fil de l'étude leur impact réel sur les nuisances sonores, le coût pour les opérateurs et l'aéroport varie entre 900 000 d'euros et presque 8 millions d'euros, selon l'option choisie.
"En prenant en compte l'ensemble des critères de manière équilibrée et les objectifs poursuivis, c'est le scénario 1 qui a semblé pour le cabinet CGX la piste de travail la plus équilibrée", communique la préfecture. C'est aussi l'un des moins coûteux.
Des pics de décibels
Une Commission Consultative de l'Environnement (CCE) s'est tenue dans la matinée du 16 novembre. L'occasion pour la préfecture de présenter aux maires, aux associations, mais aussi aux riverains les conclusions de cette étude, qui ne les a pas forcément convaincus.
Car si le travail se base sur des moyennes de décibels, ce sont bien les pics de bruit à des instants précis qui nuisent au quotidien des riverains. Comme au décollage ou à l'atterrissage.
L'ensemble des maires a pris position pour le scénario 4
Pierre-Henri DesmettreMaire de Templemars (59)
"Le plus important ce sont les chiffres ressentis en temps réel", explique Pierre-Henri Desmettre, maire de Templemars, commune jouxtant l'aéroport. "Tout ce qui est moyenne, c'est du flan, car ce que veulent les Templemarois, c'est de ne pas arrêter leur conversation quand ils téléphonent ou qu'ils font leur barbecue et qu'un avion passe au-dessus." Mais lors de la présentation de l'étude, on lui a répété sans cesse qu'il ne s'agissait que "de quelques secondes". Il pointe alors un "combat de statistiques".
Quand il a appris que le cabinet CGX recommandait la mise en place du scénario 1, "ça a confirmé mes inquiétudes", poursuit-il. "L'ensemble des maires a pris position pour le scénario 4, ainsi que le président Castelain [président de la MEL, NDLR]. Même si nous savons qu'économiquement cela pourrait poser un problème."
Le combat qu'il mène dans la commune de Templemars pour réduire le bruit du trafic aérien va donc bien plus loin que les quatre scénarios proposés par l'EIAE. Pour lui, les trajectoires, ainsi que la qualité des avions doivent être repensés pour régler le problème de fond.
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"Quand vous êtes réveillés dans la nuit, que ça soit une fois ou trois fois, ce qui est important c'est que vous n'arrivez plus à vous rendormir et c'est très mauvais pour la santé. C'est un fléau", conclut Pierre-Henri Desmettre pour qui de nombreux indicateurs concernant le facteur santé "n'ont pas été pris en compte."
Le site AeroVision montre en temps réels les décibels mesurés par des sonomètres disposés aux alentours de l'aéroport. Selon le moment de la journée, ils peuvent dépasser les 70 dB, ce qui correspond plus ou moins au bruit d'un aspirateur.
"Pas satisfaisant par rapport à l’impact sur notre population"
Cet avis plus que mitigé sur les conclusions de l'étude est également partagé par François-Xavier Cadart, maire de Seclin, autre commune limitrophe de l'aéroport. "La moitié de la ville est survolée par les avions", décrit-il, estimant donc qu'au "regard des nuisances générées par chaque appareil, le scénario 1 n'est pas satisfaisant par rapport à l'impact sur notre population."
Alors quand la préfecture brandit l'argument de l'attractivité du territoire pour se positionner en défaveur du scénario 4 (trop coûteux), le maire de Seclin monte au créneau. "L'attractivité ne se mesure pas uniquement sur un volet économique, mais se mesure aussi sur le caractère vertueux que les équipements peuvent avoir pour lutter contre le réchauffement climatique et pour apaiser nos populations."
L'attractivité ne se mesure pas uniquement sur un volet économique
François-Xavier CadartMaire de Seclin
Il admet tout de même que l'étude apporte un "certain regard sur le problème", mais les conclusions ne sont "pas satisfaisantes."
Si l'EIAE estime que le scénario 1 est le mieux, cela ne signifie pas qu'un changement drastique va s'opérer dans un futur proche pour les riverains impactés, ni que l'État a pris sa décision finale. Un travail consultatif auprès des ministres doit encore avoir lieu pour qu'il soit définitivement adopté, ce qui pourrait prendre une année.