Violences conjugales : l'association SOLFA face au criant manque de moyens

Publié le Mis à jour le
Écrit par A-L Juif avec Myriam Schelcher

L'association SOLFA (Solidarité Femmes Accueil) vient en aide aux femmes victimes de violences conjugales. Isolées, sans argent, sans toit, et parfois sans papiers après avoir échappé à leur conjoint violent : c'est la réalité des situations auxquelles est confrontée l'association.

"On est à deux ou trois mois d'attente, donc on ne joue plus le jeu de l'hébergement d'urgence", c'est le constat que réalise SOLFA.



L'association ne dispose que d'une centaine de places d'hébergement dans le Nord et le Pas-de-Calais. Dans l'accueil de jour Rosa, dans le quartier Wazemmes, les travailleurs sociaux reçoivent des femmes vctimes de violence pour les écouter, les orienter, les aider dans leurs démarches, ou simplement offrir un peu de repos.



SOLFA réunit une trentaine de travailleurs sociaux qui accompagnent 3 500 personnes par an en moyenne, ces dernières années. Faute de moyens et de places, l'association est confrontée à une importante demande. "Aujourd'hui, on a des listes d'attente, ce qui va à l'encontre des fondamentaux de l'hébergement d'urgence. L'année dernière, on a dû refuser 610 demandes", explique Delphine Beauvais, directrice du pôle violences faites aux femmes de SOLFA (SOLidarité Femmes Accueil). 



 


 

"C'est temporaire, ça va passer"

Nathalie* est arrivée à Lille avec ses deux enfants l'été dernier. En plein procédure d'asile, ils dorment à même le sol dans une église qui leur a ouvert la porte. "A 21 h, dès qu'on entre, c'est pour dormir. Il y a extinction des lumières. Le matin, à 7 h, on doit être partis. C'est difficile pour une mère. Tant que les enfants vont bien. Ils essaient de comprendre parce que je leur parle de la situation. C'est temporaire, ça va passer", espère Nathalie. 



Au-delà d'une recherche de logements pour être en sécurité, les femmes sont aussi à la recherche d'une écoute. Des éducateurs spécialisés et psychologues accompagnent leur douloureuse sortie. 



"Les dames sont souvent encore sous emprise. Les coups, c'est pas ce qui fait le plus mal, c'est d'être détruite, psychologiquement, donc non ça ne s'efface pas, ça se travaille, on apprend à vivre avec, raconte Assia Zaomi, éducatrice spécialisée. On en garde des séquelles, ça ne s'efface pas comme ça du jour au lendemain".

 




Ce jour-là, elle accompagne Sabrina*. Sabrina a échappé à son mari violent il y a deux ans. "J'essaie d'oublier, mais c'est très dur", témoigne-t-elle. 

Avec son ancien conjoint, ils se disputent encore la garde de leur fils. 

 

"Je me protège avec les moyens du bord"

En France, 219 000 femmes sont victimes chaque année de violences de la part de leur ancien ou actuel conjoint, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur.



 



Une femme victime de violences conjugales fait en moyenne 7 allers-retours avant de quitter pour de bon le logement familial. Au service d'écoute, le téléphone ne s'arrête pas. L'an dernier, plus de 3 000 appels sont restés en souffrance dans  les services d'écoute nordistes, faute de personnes suffisantes, pour décrocher.



Le téléphone sonne. Gaëlle Gavois, une éducatrice spécialisée au Ecoute Brunehaut, répond. A l'autre bout du fil, une dame prépare son départ depuis un an : "Je me protège avec les moyens du bord, je ferme la porte et je la bloque avec mon lit."



"S'il prend conscience qu'elle va partir, il va mettre en place toutes les démarches possibles et inimaginables pour la faire rester : par du chantage psychologique, par du chantage aux coups, par du passage à l'acte. Donc il faut la mettre en sécurité, qu'elle se protège, c'est une période sensible. Et pour ça, il faut éviter d'éveiller les soupçons", explique l'éducatrice. 



* Les prénoms ont été changés.



Si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales, contactez le 3919. 
Marie : "ça a duré six ans, c'était un cauchemar"
Je viens du Congo, en Afrique. Le monsieur, je ne le connaissais pas vraiment. On s'est rencontré par l'intermédiaire d'un ami. J'étais dans un foyer et il m'a ramenée ici. Il m’a dit de belles paroles, comme tous les hommes font. Quand je suis tombée enceinte, pour mon premier enfant, j’ai vu son comportement changer. 



Il a commencé à m’imposer des choses. Il ne voulait pas que je voie d’autres personnes, que je rencontre des gens à Lille. Je ne pouvais même pas rester sur son canapé à regarder la télé, prendre une douche, il ne voulait pas. Et il m’insultait tout le temps. Il me battait tout le temps. Je suis sans papiers, je suis rien, la France ne me connaît pas, il peut faire tout ce qu’il veut chez moi.



Je ne connaissais personne, je ne connaissais pas d’autres associations, comme ici, chez Rosa. C’était vraiment la misère, c’était un cauchemar pour moi.



Et puis quand il me frappait, il appelait la police à n’importe quelle heure, à minuit, à 2 heures du matin. Quand la police débarquait, ils me disaient : "Mademoiselle, tu dois quitter ici parce que le logement ce n’est pas à ton nom. Monsieur ne veut plus te voir." À chaque fois, c’était comme ça.

Je ne pouvais rien faire, je ne pouvais que pleurer. Je restais sur le palier, parfois, je dormais dehors. Même quand j’étais enceinte de mon deuxième fils, avec le premier quand il était bébé, je dormais sur le palier.



Il me battait. Et quand il me battait, il mettait la musique fort. Le voisin croyait que c’était la musique, quand je criais. Je n’avais pas le droit de prendre une douche, ni de rester sur le canapé, ou bien faire la cuisine pour mes enfants. C'était intolérable pour lui. C’est un cauchemar pour moi.



C’était tous les jours comme ça. Il ne me parlait pas, il me battait, je ne pouvais même pas toucher à une fourchette de la maison. Même les assistantes sociales sont venues lui demander ce qui n'allait pas. Il leur disait qu’il fallait "me prendre avec les enfants", "de quitter chez moi" parce qu’"elle squatte avec ses enfants."



Le jour où il nous a mis dehors pour la dernière fois, c’était à minuit. Il m’a vu préparer les pâtes. Il a tout jeté à la poubelle, quand je lui ai demandé pourquoi, il a commencé à me frapper, à me donner des coups de poing. Puis il a appelé la police. Quand la police est venue, il a dit que je devais partir.

La police a dit : "A chaque fois, on nous appelle, mais pourquoi vous ne partez pas ? Pourquoi vous insistez ? Il faut partir, chercher un hôtel par-ci ou par-là ?" Moi, je n’ai rien. Je ne peux pas partir comme ça. Où est-ce que je pouvais aller ? Il n'y avait même pas les assistantes sociales. Où est-ce que je pouvais aller ?



C’était un samedi. Le lundi, je n'ai pas emmené les enfants à l’école. Je suis allée à la mairie. On m’a donné seulement l’argent pour payer une nuit parce qu’ils m’ont dit qu'ils ne peuvent pas me prendre en charge parce que je suis sans papiers avec mes enfants. C'est le cousin qui m’a donné le numéro de Rosa.



Ça a duré six ans. Six ans. Six ans de souffrance comme ça. Six ans. Ça s’est enclenché quand je suis tombée enceinte pour la première fois, c’est là où j’ai vu le vrai visage du monsieur. Il a fait sortir ses griffes, tout a basculé comme ça. Je ne sais pas pourquoi il me haït. Je me pose des questions jusqu'à présent. Il me déteste carrément, mais je ne sais pas pourquoi.



Rosa m’a aidé. J’étais à l’abri d’abord dans un foyer. C’était un foyer d’hébergement rapide, parce que quand il m’a mis dehors, c’était en hiver. Et là-bas, les conditions étaient vraiment impossibles. Il n’y avait pas d’eau chaude, les toilettes étaient sales. Maintenant, je suis à Roubaix. Mes enfants sont à Croix. Ils sont placés à cause des violences.



Je n’ai pas encore de logement pour accueillir mes enfants. Le juge dit qu'il garde les enfants le temps que je stabilise ma situation. Monsieur n’a pas le droit de voir les enfants.Quand mes enfants voient la police, ils ont peur, parce que la police ne nous a pas protégés. 
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