La série de six épisodes retrace les trente années d'agressions sexuelles et de viols autour de la rivière Sambre dans le Nord. Cette fiction librement inspirée de faits réels et de l'affaire Dino Scala poursuit aujourd'hui son chemin à l'étranger. Bien plus qu'une affaire locale, un récit à portée universelle.
C'est une série qui n'en a pas fini de faire parler d'elle. Diffusée pendant plusieurs mois sur la plateforme France.tv, Sambre a rencontré un immense succès en France. Plébiscitée par les téléspectateurs (4 millions officiellement), elle l'a aussi été par la critique. En 2023, la série de six épisodes avait reçu le prix télévision du syndicat de la critique, le président du jury saluant "une écriture travaillée, très intéressante sans que la forme ne prenne le dessus sur le fond".
Est-ce l'écriture, le scénario, la réalisation, le jeu d'acteurs… ou l'affaire elle-même ? Sambre a en tout cas réussi son pari initial : celui de s'extraire du territoire pour devenir une illustration mondiale de la violence faite aux femmes. Dernière preuve en date : la série vient tout juste d'être achetée par la télévision publique japonaise.
Cette aventure internationale a officiellement commencé en janvier 2024. Les producteurs lancent la série lors des Rendez-Vous d’Unifrance, une vitrine annuelle dont le but est de faire rayonner la création française à l'international. "On a passé le cap d'Unifrance", nous raconte Matthieu Belghiti, producteur de la société What's up films. "Puis il y a eu les London screenings qui ont plus de portée sur le marché anglosaxon. C'est un endroit ultra-compétitif avec beaucoup de programmes anglosaxons. Ça a été vraiment important".
Ça faisait longtemps que la BBC n'avait pas acheté un programme français. Ça a bien marché pour une série étrangère, ils étaient très contents.
Matthieu Belghiti, producteur
Le travail de vente à l'étranger est long et difficile, mais peu à peu, les diffuseurs mordent à l'hameçon. Après France Télévisions, Sambre est acheté par Max, la plateforme HBO. Et les succès s'enchaînent. La série reçoit le Magnolia de la "meilleure mini-série internationale" au TV Shangaï Festival, un prix très prestigieux dans un contexte de concurrence élevée. La BBC 4 achète la série et la diffuse en septembre 2024 en prime time sous le titre "Samber : Anatomy of a crime" : "Ça faisait longtemps que la BBC n'avait pas acheté un programme français", se réjouit le producteur. "Ça a bien marché pour une série étrangère, ils étaient très contents".
Des récompenses et des ventes dans 15 pays
En novembre 2024, le festival américain du film français qui se tient à Paris récompense, lui aussi, la série. Elle reçoit par ailleurs le prix Italia dans la catégorie fiction, un concours international organisé par la Rai et qui récompense depuis 1948 les programmes radio, télé et numériques les plus créatifs. Composé de professionnels de l’audiovisuel venus de onze pays différents, le jury souligne alors le "ton innovant" de la série.
"A chaque prix, ça relance un intérêt. Ça alerte", reconnaît Matthieu Belghiti. "Que ça marche à l'international, on ne pouvait pas forcément le savoir à l'avance. Mais j'étais sûr que l'histoire était incroyable. Elle résonne avec des problématiques qu'on retrouve dans beaucoup de pays".
En ce début 2025, une quinzaine de pays ont acheté Sambre : la RTBF en Belgique, NOS au Portugal, Movistar en Espagne, LRT en Lituanie, Blue TV en Suisse et VRT en Belgique Flamande. Au-delà de l’Europe, Sambre fait la conquête de Viasat (CIS), Hot en Israel et Quebecor au Canada. Et plus récemment donc la télévision publique japonaise.
Du fait divers au récit universel
Le sujet de Sambre est difficile, mais dans l'air du temps. Avec le mouvement #Metoo, le thème des violences faites aux femmes s'est imposé sur grands et petits écrans. De quoi satisfaire la co-scénariste Alice Géraud. La série s'est appuyé sur son livre-enquête lui-même intitulé Sambre. Dans ce livre, Alice Géraud retrace l’affaire Dino Scala, cet homme condamné en juillet 2022 à vingt ans de prison pour cinquante-quatre viols, tentatives et agressions sexuelles. "Je suis très heureuse que cette histoire fasse réfléchir très au-delà de la Sambre et de nos frontières", s'enthousiasme Alice Géraud. "La réception de la plainte, le regard sur les femmes victimes de viol… Ça parle à beaucoup de gens. Ça n'a rien de local finalement. Le succès de la série à l'étranger démontre que cette histoire se joue malheureusement un peu partout ailleurs".
Le succès de la série à l'étranger démontre que cette histoire se joue malheureusement un peu partout ailleurs.
Alice Géraud, co-scénariste de "Sambre"
A la demande du réalisateur Jean-Xavier de Lestrade, la journaliste a participé à l'écriture du scénario. Avec Marc Herpoux, elle a construit un récit chapitré qui décortique la société sur une période de trente années. "La société commence à comprendre qu'il n'est pas écrit violeur sur le front des gens", nous confie-t-elle. "L'expression "bon père de famille" peut être dangereuse aussi". Comme un écho au procès Mazan très suivi partout dans le monde.
Parmi les six chapitres, les six personnages, celui de Christine incarné par l'actrice Alix Poisson. Lors d'une interview accordée à France 3 Nord Pas-de-Calais, elle expliquait : "Ce qui m'a frappée, c'est à quel point la vie s'arrête. Ces femmes sont brisées. Elles n'ont d'autres choix que celui de continuer à vivre, mais elles ne pourront plus jamais être la femme qu'elles étaient avant. Je trouve qu'elles font preuve d'un courage inouï. Elles continuent malgré tout à mener leur vie, à élever leurs enfants, à travailler avec ce traumatisme".
Cette histoire-là nous raconte comment nous nous sommes comportés pendant trente ans vis-à-vis de la criminalité sexuelle, vis-à-vis du viol.
Jean-Xavier de Lestrade, réalisateur
Cette dimension universelle du faits divers, c'est également ce qui a intéressé le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade. Il n'a pas voulu créer ici une reconstitution factuelle de l'affaire Dino Scala, mais bien une fiction inspirée de faits réels. L'agresseur y est d'ailleurs rebaptisé Enzo Salina. "Il y a certains faits divers qui ont ce talent de nous raconter qui nous sommes et comment nous nous comportons", nous confiait-il sur le plateau de France 3 Nord Pas-de-Calais en 2023. "Cette histoire-là nous raconte comment nous nous sommes comportés pendant trente ans vis-à-vis de la criminalité sexuelle, vis-à-vis du viol".
Sambre s'inscrit par ailleurs dans un genre très en vogue : le true crime, "mais en même temps dans une construction où l'on sait qui est l'agresseur", conclut le producteur Matthieu Belghiti. "C'est très motivant pour la création française. Chaque succès d'une série à l'international permet aux acheteurs de regarder les séries françaises avec plus d'acuité. On n'est pas obligé de faire l'entertainment pour que ça intéresse les gens". L'authenticité a donc encore sa place sur nos écrans.
La série est inspirée de l’enquête journalistique d’Alice Géraud. Elle est coécrite par Marc Herpoux et Alice Géraud. Réalisation : Jean-Xavier De Lestrade. Le casting réunit Alix Poisson (Christine, la victime), Noémie Lvovski (Arlette, la maire), Clémence Poésy (Cécile, la scientifique), Pauline Parigot (Irène, la juge), Olivier Gourmet (Winckler, le commandant de police), Julien Frison de la Comédie Française (l’inspecteur), et Jonathan Turnbull (Enzo, le violeur).