Ces derniers mois, les pillages de câbles de cuivre se sont multipliés, sous l'effet des prix record du métal. Un phénomène qui exaspère les entreprises et les mairies, qui tentent de s'en protéger, difficilement.
Mercredi 25 mai 2022, en pleine nuit, cinq câbles du réseau Orange ont été sectionnées puis dérobés à Lambres-lez-Douai, privant 2.500 clients de connexion à internet durant plusieurs jours. En novembre, ce sont les candélabres des stades de Wattrelos et de Tourcoing qui ont été pillés. Alors qu'en août dernier, la commune d'Oxelaëre venait de se faire dépouiller de son éclairage public fraichement installé. Dans le viseur des voleurs : le cuivre, présent dans toutes ces installations.
Un prix multiplié par 6 en 10 ans
Depuis plusieurs mois, ces actes de vandalisme se multiplient dans la région. La raison ? La flambée du prix du cuivre. En 10 ans, le cours du minerai a été multiplié par 6, passant de 1.600 $ la tonne en avril 2002 à 10.000 $ en avril 2022. Avec une forte hausse ces deux dernières années, sous l'effet de la pénurie de matières premières engendrée par la pandémie de Covid, comme le démontre la courbe ci-dessous.
Les entreprises en première ligne
Le cuivre, prisé pour son aspect souple et conducteur, est un matériel indispensable pour les secteurs de l'électricité et des télécommunications (pour les câbles et fils) ou des transports (pour les rails). Les entreprises travaillant dans ces domaines - Enedis, la SNCF ou les opérateurs internet - sont donc les premiers concernés par ce phénomène.
L'opérateur Orange, propriétaire du réseau historique ADSL, a constaté une recrudescence des vols ces derniers mois. En Hauts-de-France, il en a enregistré "plus d'une centaine" depuis le début de l'année. "Soit 2,5 fois plus qu'en 2021", indique-t-il. Des incidents observés principalement dans la métropole lilloise et dans le Valenciennois. De son côté, SNCF réseau, chargé de la gestion des infrastructures ferroviaires, indique "subir effectivement des vols de cuivre", sans toutefois dévoiler de chiffres.
Le calvaire des maires
On a été traumatisé. Pendant deux mois j'ai fait des rondes la nuit par peur qu'ils reviennent voler le reste.
Stéphane Dieusaert, maire d'Oxelaëre
Au-delà des professionnels, ce fléau touche de plein fouet les mairies. Oxelaëre, commune rurale de 500 habitants dans le Nord, en a fait les frais en août dernier. Les pilleurs ont dépecé 27 poteaux d'éclairage public, embarquant avec eux 1,2 km de câbles de cuivre. Une infrastructure quasi neuve, installée un an auparavant pour couvrir le centre-ville jusqu'à la gare de Cassel. "On a été traumatisé, lâche l'édile, Stéphane Dieusaert. Pendant deux mois j'ai fait des rondes la nuit par peur qu'ils reviennent voler le reste."
Financièrement, le préjudice est lourd pour la commune, dont l'assurance ne couvrait pas les vols extérieurs. Le devis de réparation envoyé par le syndicat d'énergie s'élevait à 27.500 euros. "On n'avait pas les moyens, relate le maire. Alors on a tout fait nous-mêmes, entre élus." Ils ont racheté les câbles et les ont installés, pour une somme d'environ 6.000 euros. Pendant ce temps, le village est resté dans le noir pendant trois mois.
Un système bien rodé
Même stupeur à Wattrelos, en métropole lilloise. En octobre dernier, la ville découvre au beau matin qu'une trentaine de candélabres du boulevard Mauroy et ceux du stade municipal ont été pillés dans la nuit. L'étonnement est d'autant plus fort que la commune avait pris ses précautions en installant les trappes d'accès aux câbles à trois mètres du sol. "Mais ça ne les a pas freinés, ils les ont quand même tirés, se désole Henri Gadaut, l'adjoint au maire. On se doute qu'ils sont bien outillés, avec une échelle et une poulie, ou quelque chose du genre."
Dans ces deux cas, à Oxelaëre et Wattrelos, les auteurs des faits n'ont pas été retrouvés. Car bien souvent, les voleurs opèrent en pleine nuit, à l'abri des regards, rapidement, et parfois sans laisser de traces derrière eux. "C'est un habitant qui m'a alerté le dimanche, vers midi, raconte Stéphane Dieusaert. Il a simplement vu une trappe du poteau tombée par terre, mais les autres avaient été remises en place."
La revente en Belgique
Dans ces circonstances, il est compliqué de saisir les pilleurs en flagrant délit. Or, une fois le vol commis, il devient ensuite compliqué de retrouver leurs traces. Car ces derniers passeraient rapidement la frontière, pour se rendre en Belgique où il est plus simple de revendre de la marchandise dérobée à des ferrailleurs peu scrupuleux.
En France, la loi oblige les centres de recyclages de métaux à tenir un registre des transactions pour prévenir le recel. Le règlement en espèces y est également interdit. "Ca refroidit les voleurs", constate un gérant de ferraillerie dans le Nord, qui dit prendre lui-même des précautions pour éviter de tomber dans le piège. "Si ce sont des personnes qui viennent fréquemment, avec de grosses quantités, alors qu'ils ne sont pas ouvriers, tu peux te dire que c'est du vol."
Du petit larcin au pillage organisé, il est compliqué de dresser le profil des voleurs. "A mon avis, ce sont des pros, croit savoir l'édile d'Oxelaëre. Car ils vont vite." Soulever des trappes, sectionner des gros câbles, parfois en hauteur, et les tirer sur plusieurs dizaines de mètres, nécessite du monde, des outils et un mode opératoire bien rodé. "Les voleurs ont une bonne connaissance des lieux et du secteur", confirme le capitaine Tabaries, officier de communication de la gendarmerie, dans les colonnes de la Voix du Nord, en décembre dernier.
La difficile lutte contre ces vols
Que faire pour lutter contre ce fléau ? Du côté des communes, on s'adonne au système D. La municipalité d'Oxelaëre doit installer d'ici un mois et demi un ceintrage en fer autour de ses poteaux électriques et des trappes. "On espère que ça va les décourager, explique le maire. Mais je suis persuadé qu'ils vont revenir, c'est ma hantise." A Wattrelos, des soudures ont été réalisées sur les trappes. "Mais les voleurs savent découper les points de soudures à la meuleuse", désespère l'adjoint au maire.
Cible privilégiée, la SNCF réseau a pris le problème à bras le corps. Mise en terre des câbles, câbles identifiables, sensibilisation des fédérations de recycleurs en France et en Belgique, tournée de la sûreté ferroviaire sur des zones précises, dispositif d’alarme ultra mobile, fixe et sur drone. L'entreprise a déployé une série de mesures qui a "porté ses fruits". Elle donne en exemple "l’interpellation mercredi d’une personne prise en flagrant délit et remise aux forces de police".
En ces temps de pénurie de matières premières, le cuivre n'est plus le seul métal convoité par les voleurs. En Hauts-de-France, le vol de pots catalytiques - fait de platine, palladium et rhodium - sur les véhicules de particuliers seraient en forte hausse. L'appât du gain n'a pas de limites.