À Roubaix, le site historique de La Redoute est en pleine métamorphose. D'ici à début 2026, il doit devenir un lieu emblématique dédié au commerce digital. Visite guidée de ce chantier hors norme, où le passé industriel se réinvente pour l'avenir et où la priorité absolue est donnée au réemploi. Une première en France à cette échelle.
Le site s'appelle Blanchemaille, il est connu pour avoir abrité pendant des années la filature de La Redoute à Roubaix. L'un des bâtiments est en pleine réhabilitation et hébergera à partir de 2026 des entreprises de e-commerce. En attendant, les travaux battent leur plein avec un mot d'ordre : le réemploi pour une économie circulaire à grande échelle. Un chantier d'envergure, qui devrait avoir valeur d'exemple.
Au départ, il y avait la famille Pollet. Elle a d'abord fait construire un hôtel particulier, puis son empire industriel s'est étendu tout autour de la villa, tel un vaisseau immense posé en pleine ville. 47 000 mètres carrés, trois bâtiments qui aujourd'hui appartiennent à la Métropole européenne de Lille : Moreau, Fontenoy (qui abrite à l'heure actuelle des bureaux Euratechnologies) et Pollet, du nom des créateurs de l'entreprise.
Préserver la structure historique
Les lettres "La Redoute" qui ornaient la façade ont été déposées au printemps. Pour le reste, hors de question de détruire pour reconstruire. La structure historique est en effet au cœur de ce projet à 27 millions d'euros et il faut la préserver.
"La maison Pollet, précise l'architecte urbaniste en charge du projet, David Banvillet, du cabinet SAA Architectes, c'est la construction d'origine, qui date de 1875. Elle a été absorbée par les autres constructions alors tout l'objet, en travaillant sur le bâtiment Pollet, à l'abandon depuis une quinzaine d'années, c'est de révéler le début de l'aventure de La Redoute. Or, tout a commencé dans cet hôtel particulier."
Relier le centre-ville et le quartier de l'Alma
Le défi aujourd'hui, c'est de transformer un bloc fermé en un hall traversant pour relier le centre-ville et le quartier de l'Alma, avec une agora, un espace de restauration, un auditorium et un business center. Le tout en mettant au cœur du site l'hôtel particulier originel, dont la structure et les escaliers seront conservés.
"L’objectif, annonce David Banvillet, c’est de retrouver un dynamisme perdu qui a existé auparavant et de retrouver un lieu mythique et fédérateur."
Un patrimoine humain
Sauvegarder le patrimoine historique, c'est aussi mettre en avant le vécu humain du site. En 1968, les salariés traitaient jusqu'à 50 000 commandes par jour. À Roubaix, tout le monde ou presque a un ancêtre qui a travaillé à La Redoute.
"C'est toujours un traumatisme de vivre une démolition, constate David Banvillet. Surtout s'il s'agit d'un lieu où des gens ont travaillé pendant des années et qui a évolué pendant plus d'un siècle. Superposer nos travaux à cette histoire-là, ça donne un vrai supplément d'âme et ça rend même les volumes plus particuliers, plus impressionnants."
Une économie circulaire à trois échelles
D'un côté, on garde l'ancien, de l'autre, on rénove, dans un esprit de transition écologique. L'économie circulaire fonctionne à trois échelles : la rénovation urbaine, la réhabilitation des structures existantes et l'aménagement grâce au réemploi.
"Détruire pour reconstruire, poursuit l'architecte, en termes de bilan carbone, ce serait absolument catastrophique. Le béton est loin d'être le matériau le plus vertueux. Ne serait-ce que conserver les structures en béton permet déjà une belle économie."
Le réemploi au cœur du projet
Sauf que la démarche va bien plus loin. "Le réemploi est au centre du projet. Souvent, on se demande ce qu'on va pouvoir réutiliser une fois arrivés en bout de course. Là, on a fait l'inverse. On s'est d'abord posé la question : comment jeter le moins possible ? Puis on a fait un diagnostic de tout ce qui composait le bâtiment et cherché à réemployer le maximum d'éléments in situ."
Il y aura donc le patrimoine visible, la structure, mais aussi le patrimoine caché, qui a été utilisé par La Redoute pendant toutes ces années et peut encore servir. "L'histoire se prolonge aussi de cette manière-là, grâce aux matériaux."
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Ce qu'on n'arrivait pas à réemployer, on a proposé à des artisans locaux de venir le prendre sur le chantier.
David BanvilletArchitecte urbaniste
Tout ce qui a pu être récupéré l'a été. Des briques aux vitres, en passant par les radiateurs, les sanitaires, les parquets, les faux plafonds ou encore les luminaires. Stockés dans le bâtiment Moreau, ils attendent la fin du chantier pour être remis en place.
"Bien sûr, on n'a pas tout pu réutiliser, déplore David Banvillet. Mais ce qu'on n'arrivait pas à réemployer, on a proposé à des artisans locaux de venir le prendre sur le chantier. Des objets de déco ou du petit matériel électrique, comme les interrupteurs, par exemple."
"À l'inverse, il y a des éléments de réemploi qu'on n'avait pas sur site. Alors, on en a cherché ailleurs. La moquette par exemple. C'est amusant ensuite d'imaginer comment on va combiner les motifs, les styles, en fonction de ce qu'on aura trouvé. Il y aura aussi une façade symbolique entièrement faite de tuiles de récupération récoltées dans la MEL."
Un chantier labellisé bas carbone
Un chantier ambitieux en matière d'économie circulaire, le premier de cette ampleur en France, à tel point qu'il a reçu le label d'État bas carbone. "C'est un projet pilote en termes de réemploi, et on pense qu'il va servir de démonstrateur, explique Elise Vienne, cheffe de projet Valorisation du patrimoine à la MEL. Ça demande de l'énergie pour convaincre, il y a une résistance au changement, mais c'est payant. Rien qu'avec le réemploi des matériaux, on a économisé 575 tonnes équivalent carbone, et ça nous a coûté 200 000 euros de moins que pour un chantier classique."
Et David Banvillet d'ajouter : "À l'heure actuelle, le réemploi concerne moins de 1% des matériaux dans le bâtiment. Il y a un grand travail à faire. Surtout quand on sait que les trois quarts des déchets produits en France le sont par le BTP." L'architecte croit d'ailleurs tellement aux vertus du réemploi qu'il a fondé Circé, un bureau d’études économie circulaire.
À l'issue des travaux effectués par 80 compagnons d'une quinzaine d'entreprises, les 13 500 mètres carrés de la bâtisse Pollet doivent accueillir des entreprises de e-commerce. "Un clin d'œil intéressant de l'histoire, pour Bernard Haesebroeck, vice-président de la Métropole européenne de Lille en charge de l'économie, de la recherche, de l'enseignement supérieur et du numérique. C'est une troisième révolution industrielle, puisqu'il y a d'abord eu la vente par correspondance (VPC), puis la vente à distance (VAD) et maintenant le digital."
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Se projeter vers l'avenir, c'est aussi ce que fait le cabinet d'architectes en charge du chantier. "Tout l'enjeu de développement durable, sourit David Banvillet, c'est que notre nouvelle construction puisse être suffisamment flexible pour accueillir des usages différents. Cela permettra de pérenniser la structure et d'éviter des travaux importants par la suite. Autrement dit, s'accommoder dès aujourd'hui de toutes les évolutions futures, tout en gardant les traces du passé."
Comme au temps des catalogues, la commande est passée. La livraison du bâtiment réhabilité est prévue fin 2025.