Hénin-Beaumont : le photographe libéré après 36h de garde à vue

Le photographe qui a été brutalement arrêté dimanche à Hénin-Beaumont, en marge d'une action Femen, a été relâché après 36h de garde à vue, sans poursuites. 

Le directeur de l'agence Hans Lucas, pour laquelle Jacob Khrist travaille, n'en revient toujours pas. "C'est grave", souffle-t-il au téléphone. Que s'est-il passé dimanche matin à Hénin-Beaumont ? 

Jour d'élection. Autour des bureaux de vote de la commune, des centaines de journalistes sont arrivés. Hénin-Beaumont, symbole de la montée du Front National attend le vote de Marine Le Pen, qui doit arriver sous peu. Pour assurer la protection de la candidate, les forces de l'ordre sont postés dans les rues adjacentes au bureau de vote, ainsi que le service de sécurité du parti. 

"Je me suis senti repéré par des agents en civil avec oreillette et/ou talkie (service de sécurité, police…), mais n’ayant rien à me reprocher et désireux de faire mon travail je n’y prête pas attention", explique Jacob Khrist. "Puis Steeve Briois, maire de la commune et député européen frontiste, apparait devant l’école, fait un tour puis repart dans les rues adjacentes. Comme à l’accoutumée, il est accompagné d’une horde de journalistes qui le suit pour réaliser des images. Je ne fais que suivre le mouvement."



L'arrestation


Clic, clac. Premier cliché, en contre-champ. Soudain, un groupe de jeunes femmes déboule dans le champ des journalistes - et des photographes. Torse-nus, les militantes Femen arborent des slogans ironiques sur le Front National : "Team Marine", "Marine Présidente". Tandis que les journalistes filment, photographient la scène, il ne faut que quelques secondes aux policiers pour maîtriser les militantes et les embarquer dans le fourgon de police. 

L'histoire aurait pu s'arrêter là. Sauf qu'au même moment, le photographe est lui aussi interpellé. Brutalement. "À 10h20, je suis en train de réaliser une rafale de clichés quand je sens qu’on me saisit violemment sur le côté et par derrière. Deux individus en civil m’intiment l’ordre de ne pas bouger et cherchent à me traîner en retrait", poursuit le photographe dans son récit publié sur Facebook. "J’ai mon appareil dans les mains, un gros sac de 10kg sur le dos, je pense immédiatement à une intimidation ou à un lynchage."

Par réflexe, une journaliste espagnole sort son portable et filme la scène, incrédule. Pour elle, les hommes en civil qui mettent Jacob Khrist à terre et l'écrasent de tout leur poids sont des membres de la sécurité du Front National. Ils ne portent pas de brassards, ne crient pas "Police" comme il est parfois d'usage de le faire. "Je leur demande qui ils sont, ils ne répondent pas. J’appelle à l’aide mes collègues, puis la Police, mais rien ne semble bouger. J’entends mes agresseurs parler de me mettre à l’abri derrière un véhicule vers lequel ils tentent de m’entraîner", continue Jacob Khrist. 

Choquée, la journaliste espagnole poste la vidéo sur son compte Twitter : "Voici comment la sécurité de Le Pen traite la presse. Dégoût." Une vidéo rapidement relayée par l'agence Hans Lucas et des personnes qui prennent la défense du photojournaliste, connu dans le milieu. 


"Je résiste, sans user de violences, ni physiques ni verbales. Je me contente d’appeler à l’aide. Ils me mettent face contre terre quand deux policiers en uniforme débarquent. Soudain, je suis soulagé. Mais ils me menottent et m’emmènent dans un véhicule de police avec une militante Femen", poursuit Jacob Khrist. 

Le Parquet confirme qu'il s'agissait bien de policiers en civils. "Ce sont de vrais policiers. Mais le photographe a pu croire qu'il s'agissait de membre du Front National, j'ai donc abandonné les pousuites pour rebellion", assure le Procureur adjoint. 


Pas d'informations


Sur le moment, Jacob Khrist est donc interpellé et emmené au commissariat. Dimanche après-midi, impossible d'avoir la moindre information sur les conditions et les motifs de sa garde à vue. "J'ai appelé à Hénin, ils m'ont dit que c'était le commissariat de Lens qui avait mené l'opération. Le frère de Jacob s'est déplacé à Lens après de nombreux coups de fil. Il n'a même pas pu le voir", s'agace Wilfrid Esteve, directeur de l'agence Hans Lucas. 

De son côté, l'improbable garde à vue commence pour Jacob Khrist. "Je reste une heure menotté avant d’être placé en cellule. Le même sort est réservé aux militantes Femen. Dans l’après-midi, lors de ma notification de garde à vue de 24H, j’apprends que je suis accusé de complicité d’exhibition sexuelle ! C’est là que je commence à flipper."

"Ca fait des années que Jacob travaille en tant que professionnel. Et dimanche, il a réagi en tant que professionnel tandis qu'il était violemment interpellé. Quand il est écrasé avec son matériel sur le sol et qu'il demande l'identité des personnes au dessus de lui, personne ne lui répond. C'est hallucinant !", poursuit Wilfrid Esteve. 

Dimanche après-midi, ni le commissariat de Lens ni le Parquet de Béthune ne communiquent d'informations. L'agence Hans Lucas poste un message sur sa page Facebook : "C'est le black-out complet. Après plusieurs coups de fil, impossible d'en savoir plus sur son état."

 


Dimanche soir. La garde à vue se poursuit, les policiers interrogent le photographe. "Vers 22h30, tandis que j’obtiens les premiers résultats de l’élection présidentielle et que je fais ma déposition, j’apprends de la bouche de l’inspecteur que, soi-disant, je me serais adressé de manière véhémente à Steeve Briois au moment où je le photographiais. Je réfute fermement", explique Jacob Krist. 

"Ensuite, on me reproche d’être complice d’exhibition sexuelle, en voulant m’associer aux militantes Femen. Il passe assez rapidement sur le sujet, faute d’éléments et enfin, me parle de rébellion lors de mon arrestation. [...] Oui, j’ai bien résisté comme précisé plus haut mais sans aucune violence, mes mains étaient agrippées à mon matériel photo, j’ai cru qu’ils allaient me lyncher… Sur ce point, c’est ma parole contre la leur et, jusqu’à preuve du contraire, je sais que c’est la police qui a raison. En attendant, on me remet en cellule pour la nuit."

 

36 heures de garde à vue


Lundi matin, la nouvelle tombe : la garde à vue de Jacob Khrist est prolongée. L'agence apprend par l'avocat de Jacob Khrist que les motifs de cette prolongation de garde à vue sont "complicité d'exhibition sexuelle" et "rebellion". "Il n'a fait qu'exercer son métier", s'étrangle le directeur d'agence. "Les médias pour lesquels ils travaillent ont tout de suite appelé le commissariat pour confirmer que c'est un professionnel, pas un militant.

Toujours sur Facebook, un communiqué est publié. "Nous sommes choqués de constater qu'en France, un jour d'élection, un photographe dans l'exercice de son métier soit interpellé aussi violemment. [...] Ce prolongement de garde à vue est inacceptable."
 



Du côté du Parquet de Béthune, on justifie la prolongation de la garde à vue. "La garde à vue a été prolongée, même si la complicité d'exhibition sexuelle a été rapidement écartée. En revanche, il y avait des choses qui pouvaient s'apparenter à de la rebellion donc il fallait prendre le temps de vérifier", explique le Procureur adjoint. "Et on avait 27 personnes en garde à vue à ce moment-là."

"Le proc me dit qu’il veut comprendre ce qui s’est passé, les tenants et les aboutissants de la rébellion, et qu’il envisage une confrontation. Il me précise que ma GAV est reconduite pour un délai maximum de 24 heures. On me fait ensuite signer ma notification de garde à vue qui comprend toujours le motif de complicité d’exhibition sexuelle, auquel a été ajouté celui de rébellion", précise de son côté Jacob Khrist. 

Longue journée d'attente. Puis le photographe sort du commissariat lundi, 20h30.

"Alors qu’ils m’ont privé de liberté pendant 36h, empêché de réaliser mon travail, empêché de prévenir les personnes pour lesquelles je devais travailler, notamment ce lundi, empêché de voter, je n’ai aucun recours. Il m’est impossible de contester cette arrestation abusive et arbitraire, suivie d’une privation de liberté tout aussi abusive et arbitraire, car il n’y a pas de poursuite contre moi", déplore Jacob Khrist. "Mon expérience a démontré qu’il était possible d’accuser un photojournaliste, un journaliste, de complicité lorsqu’il travaille sur un sujet qui peut tomber sous le coup de la loi. Exactement comme dans ces pays qui ne vivent pas en démocratie."

Reporters sans frontières a dénoncé son "interpellation violente".
"La police va devoir se justifier", conclut Wilfrid Esteve.

 

 

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