Le maire de Creil, Jean-Claude Villemain est soupçonné d'avoir permis la revente de biens immobiliers à des prix beaucoup plus bas qu'à l'achat. Une enquête préliminaire est ouverte, notamment pour la vente de l'Hôtellerie de la Rivière et celle du Chalet. L'élu, qui réfute les accusations, se dit prêt à collaborer avec la justice.
Après seize ans de mandat, Jean-Claude Villemain ne rêvait pas de cette fin. Le maire de Creil est dans le viseur de la justice. En cause, des transactions immobilières effectuées par sa mairie après le signalement fait au procureur par l'un de ses opposants en juin dernier, Noureddine Nachite.
Le conseiller municipal (DVD) parle d'une "gestion calamiteuse" de la mairie depuis des années et dénonce "des magouilles" autour de la vente de biens immobiliers. "Comment peut-on acheter un bien à 950 000 € et le donner à un de ses colistiers qui avait fait faillite un an auparavant ?", lance-t-il en référence à l'Hôtellerie de la Rivière, un hôtel-restaurant, avant d'ajouter : "ça aurait pu faire rire si on jouait au Monopoly, sauf qu'on n'y joue pas, on joue avec l'argent des Creilloises et des Creillois".
"Les Creillois ont payé 950 000 € qui sont partis dans le vent"
Mais sur quoi porte ce signalement, très concrètement ? Noureddine Nachite pointe du doigt la différence et les montants d'achats et la vente de biens. Il cite notamment l'exemple de l'Hôtellerie de la Rivière, un hôtel-restaurant. "Une préemption a été faite par la mairie à hauteur de 950 000 €. Ce bien, la mairie l'a donné, je peux utiliser le mot donner pratiquement, à un de ses colistiers pour qu'il puisse le gérer. Ensuite, cette personne est partie trois ans après avec une ardoise de 300 000 €".
Aujourd'hui, le bien est fermé. "Donc, résultat des courses, les Creillois ont payé 950 000 € qui sont partis dans le vent", soupire Noureddine Nachite.
Comment sont vendus ces biens ? Est-ce qu’il y a une agence immobilière ? Une annonce légale qui est parue ? Non. Ce sont toutes ces questions qui m’ont amené, début juin, à faire un signalement au procureur par rapport à l’Hôtellerie de la Rivière.
Noureddine Nachite, conseiller municipal d'opposition
Le chef d'entreprise affirme qu'au sein de la municipalité, "rien n'est clair, on n'est pas au courant de ce qui se passe, nous sommes juste là pour enregistrer des ventes lors de délibérations au conseil municipal, mais on ne sait pas encore comment ces biens ont été vendus". Il se dit "triste" pour sa ville, "parce qu'encore une fois, on fait la risée, plus au niveau départemental, mais cette fois au niveau national".
Il se dit également "triste pour le maire", car celui-ci le termine son mandat comme il l'a commencé : "avec un problème politico-financier, quand il l'a repris en 2008, il y avait l'affaire du PS. Il termine là avec les affaires des biens qui ont été vendus". Noureddine Nachite laisse d'ailleurs la porte ouverte pour les prochaines élections municipales. "Je n'ai pas à me cacher de dire que si demain, les Creilloises et Creillois me font confiance, je gérerai la ville comme j'ai géré mon entreprise qui a été récompensée aux plus hauts niveaux", conclut-il.
"Une ambition tout à fait personnelle"
De son côté, Jean-Claude Villemin, maire socialiste de Creil, réfute complètement le caractère douteux des transactions immobilières. Pour le cas de l'Hôtellerie de la rivière, "il n'y a pas de minoration, nous sommes propriétaires et le restons". La personne qui tenait le lieu, un restaurateur de Saint-Maximin, payait "pendant quinze mois un loyer global qui était découpé en tranches selon le matériel, la location, le pas-de-porte", etc. Néanmoins, il n'a pas rencontré le niveau de clientèle voulu et a arrêté progressivement de payer son loyer. À l’issue d'une énième réunion, le maire a reçu un courrier pour lui signifier "qu'ils allaient déposer le bilan", ce qu'il n'a pas fait. "On a déposé une première plainte fin 2023 et nous allons déposer plainte pour abandon. Maintenant, nous en étudions une autre pour escroquerie".
La police étudie également d'autres ventes immobilières, notamment celle à bas prix de la brasserie Le Chalet. Le maire assure que celle-ci s'est faite dans le cadre du dispositif Action Cœur de Ville. "La ville de Creil ne l'a pas acheté, n'est pas intervenue, nous avons l'Etablissement public foncier de l'Oise qui s'est porté acquéreur à la demande de la ville, c'est vrai, mais ce sont eux qui ont décidé et négocié le prix".
Nous avons toujours tout fait dans le cadre de la loi, assistés par des avocats. Nous avons même des fois demandé à certains magistrats de la Cour des comptes s’ils pouvaient nous donner un conseil, si on était dans les clous ou pas. On a aussi demandé des conseils de la préfecture, donc on s’entoure de toutes les précautions.
Jean-Claude Villemain, maire socialiste de Creil
Il poursuit en expliquant que "dans le cadre d'Action Cœur de Ville" qui est un dispositif de l'État, il existe une aide qui permet de diminuer le prix afin de réimplanter ou maintenir un commerce. "C'est ce que EPFLO (Etablissement Public Foncier Local des territoires Oise et Aisne) a fait, c'est-à-dire qu'il a acheté et ensuite, au moment de la revente, il a minoré le prix. Mais c'est légal et c'est une délibération du conseil d'administration de l'EPFLO".
La ville de Creil a "simplement donné son accord parce que c'est en notre nom au départ pour l'achat et on a accepté que l'EPFLO vende au repreneur, c'est tout. Mais ce n'est pas nous qui avons fixé le prix", souligne le maire.
"Je ne vois pas comment on pourrait passer à travers les mailles du filet de la loi"
Jean-Claude Villemin affirme travailler dans le cadre de la loi : "nous avons, dans un certain nombre d'opérations, le concours de l'État, nous nous entourons de cabinets d'avocats spécialistes dans l'immobilier, nos transactions sont faites devant le notaire. Je ne vois pas comment on pourrait passer à travers les mailles du filet de la loi", détaille-t-il.
Il invite à aller "sur le site de la chambre régionale des comptes, regardez si c'est une mauvaise gestion. La chambre des comptes est là, on a tout mis sur la table. Je n'ai jamais vu, à part celui d'AXO (rapport d'observation) l'année dernière, un rapport aussi mince".
Au final, l'élu pointe du doigt un opposant qui, "pour une ambition tout à fait personnelle", est prêt à le "salir". C'est pourquoi il a saisi ses avocats. Son administration est en train de préparer un dossier et, dès que tout sera prêt, il portera plainte pour dénonciation calomnieuse et diffamation.
Jean-Claude Villemin assure ne pas être inquiet, d’autant plus qu'il a donné "les explications" en conseil municipal, "donc mon opposant, soit il ne comprend pas, soit il est sourd, soit il veut volontairement salir cette passation tout à fait exceptionnelle entre un homme politique et sa successeure". Samedi, il présidera son dernier conseil municipal et passera la main à Sophie Lehner.
Avec Enora Quellec / FTV