Le 19 janvier dernier, le journal Oise Hebdo publie une note confidentielle émanant des services du département de l'Oise, où sont listées des pistes pour mettre en difficulté le titre de presse. Plusieurs articles incendiaires sont ensuite publiés par Oise Hebdo. L'affaire a aussi des répercussions politiques : le chef de cabinet du département a quitté ses fonctions.
C'est un feuilleton politico-médiatique, avec ses trahisons et ses rebondissements. Le 15 janvier dernier, une attachée de presse du cabinet du département de l'Oise transmet au journal Oise Hebdo un document qu'elle a elle-même rédigé : une note interne listant des pistes pour porter atteinte à ce journal local.
Le contexte est celui d'une longue inimitié entre le titre de presse, connu pour son ton insolent, et le département de l'Oise régulièrement étrillé dans ses colonnes. La rédactrice de la note, alors attachée de presse du cabinet du département, explique qu'elle a décidé de transmettre ses travaux au directeur de la publication visée suite à un entretien houleux avec son supérieur hiérarchique et chef de cabinet du département, Clément Aouizérate, où ce dernier lui aurait signifié son licenciement.
Hacker, marque déposée, "barbouzeries"
L'une des pages du document confidentiel est éloquente. "Oise Hebdo est une marque déposée à l'INPI, mais sa date d'expiration est dépassée. Vincent Gérard [ndlr : directeur de Oise Hebdo] a sans doute oublié. En la rachetant, ou en la redéposant, ils n'auraient plus de droit d'utiliser le nom (...) ce qui les mettrait sans doute en immense difficulté" indique la note.
Le paragraphe suivant souligne que le nom de domaine, c'est-à-dire l'adresse internet du site de Oise Hebdo, doit être renouvelé en 2026, "il pourrait être amusant de racheter le nom de domaine avant qu'ils le renouvellent pour les empêcher de publier en ligne. Sauf si quelqu'un connaît un hacker qui pourrait se charger de le faire sauter dès maintenant."
La suite de la note souligne les mauvais résultats financiers de l'hebdomadaire et l'importance qu'aurait une atteinte au fonctionnement de son site web, principale source de revenus du titre. Lorsqu'il reçoit cette note, Vincent Gérard affirme avoir pris les choses avec légèreté : "Comme je ne suis pas très intelligent ni raisonnable, j’ai pensé que ce n’était pas grave. Mais des gens plus sérieux auraient pu penser que c’était une grave atteinte à la liberté de la presse. Je dis que ça ressemble plus à des barbouzeries." Vincent Gérard s'empresse tout de même de déposer à nouveau sa marque à l'INPI.
Questions de responsabilités
"Est-ce que cette note a été commandée par Nadège Lefebvre ou Clément Aouizerate ? Je n’en sais rien, mais Mme Lefebvre a reconnu son existence. Mais elle n’a jamais dit que son contenu était éventuellement condamnable" continue Vincent Gérard. Il indique que le dossier est actuellement entre les mains de son avocat et attend son retour pour décider s'il donnera suite en justice. "Je n’ai jamais senti que Oise Hebdo était en danger de mort, mais on imagine qu’un département a autre chose à faire" conclut le directeur de la publication. Le Comité social et économique (CSE) du journal a pour sa part publié une lettre ouverte au département, soulignant ses craintes pour les 18 emplois de l'hebdomadaire.
L'attachée de presse à l'origine de la fuite du document se dit "lanceuse d'alerte" et affirme avoir travaillé à ce projet contre son gré. "Le point de départ, c’est la BD terrible sortie par Oise Hebdo pour la remise de Légion d'honneur de la présidente, en juillet. Le département les a blacklistés et coupé tous les fonds. Moi, j’ai prôné la paix, je lui ai dit ‘rachetez-leur une ou deux pages de pub pour calmer le jeu’, c’était hors de question, affirme Clarisse Rivière. Je suis en poste depuis 16 jours, on me dit ‘il faut couler le journal’. Je suis en plein divorce, j’ai besoin de gagner ma vie, mon supérieur me fait peur, j’accepte. J’y ai passé plusieurs jours, j’ai tout vérifié."
Dans les documents qu'elle transmet à la presse, des notes manuscrites évoquent plusieurs autres pistes plus ou moins créatives pour nuire au journal. Clarisse Rivière indique qu'elle a présenté ce travail à la présidente du département : "Elle écoute, mais ne se prononce pas. Je pense qu’elle était même surprise de telles mesures, qu’elle n’a pas demandé à faire couler le journal, complète Clarisse Rivière. Là où je lui en ai beaucoup voulu, c’est de me mettre ça sur le dos" avant d'ajouter, quelques instants plus tard "Je n'en veux à personne. Je veux juste laver mon honneur."
Elle précise qu'elle est en train de préparer sa riposte juridique. "Ça va commencer par une mise en demeure adressée au département pour licenciement abusif et harcèlement, et l’article 40 du code pénal" annonce la communicante. L'article 40 oblige tout fonctionnaire à porter à la connaissance du procureur tout crime ou délit dont il aurait connaissance.
Onde de choc politique
D'après les informations du Courrier Picard, une réunion mouvementée du bureau politique du département a eu lieu le 27 janvier. C'est là que les élus de la majorité auraient demandé le départ de Clément Aouizérate, chef de cabinet du département de l'Oise, auquel la note était destinée. L'intéressé n'a pas répondu à nos sollicitations.
Contactée, Nadège Lefebvre indique par la voix de son service de communication qu'elle ne "fera pas plus de commentaires sur cette affaire." Le département de l'Oise confirme toutefois la démission de Clément Aouizérate. Il a officiellement cessé d'exercer ses fonctions le 31 janvier et aurait quitté le territoire de l'Oise.