Les deux agressions ont eu lieu au mois de décembre 2024 lorsque les infirmiers libéraux se sont rendus chez leurs patients, dans le Pas-de-Calais. Plusieurs jours d'ITT ont été prononcés. La profession réclame davantage d'écoute et de soutien de la part des autorités.
Matthieu et Stéphanie exercent le même métier à une dizaine de kilomètres de distance, ne se connaissent pas, mais ont pourtant vécu une agression similaire en plein travail.
Le premier est infirmier libéral depuis 2008 dans le Béthunois, la seconde exerce depuis 2010 autour de Lens. Au mois de décembre dernier, Matthieu et Stéphanie ont été agressés physiquement pour la première fois par l’un de leurs patients. Un traumatisme.
Stéphanie, agressée par une patiente alcoolisée, 5 jours d’ITT
Lorsque nous l’appelons, Stéphanie est seule, dans sa voiture. Sa tournée du jour touche à sa fin : une soixantaine de patients visités. “J'aime ce que je fais, c’est une vocation”, raconte la cinquantenaire, qui ne compte pas ses heures. Mais depuis le 24 décembre 2024, quelque chose a changé.
Ce jour-là, l’infirmière libérale se rend chez une patiente qu’elle soigne depuis 2 ans. “Je me suis présentée au matin de bonne heure, pas de réponse. J’y suis retournée le midi, pas de réponse. En fin de journée, j’ai entendu la TV, j’ai frappé, je me suis présentée. Derrière la porte, c’étaient des insultes. J’ai dit : “c’est moi, je ramène les médicaments”. Elle a ouvert la porte, a essayé de me donner un coup de poing, m'a tiré dans le couloir et m’a fortement tordu le poignet”. Stéphanie est catégorique : la patiente était fortement alcoolisée.
Bilan : entorse sévère et 5 jours d’ITT. “Mais je n’ai pas pris d’arrêt, ce n’était pas possible. J’ai continué à bosser, précise Stéphanie. On n’a pas le choix pour les autres patients”. Une plainte a été déposée, l’infirmière ne se rend plus chez la patiente qui l’a agressée.
Matthieu, agressé par un patient souffrant de troubles psy, 8 jours d’ITT
Son agression a eu lieu dans un petit village de la campagne béthunoise, début décembre. “C’est la première agression physique et j’espère la dernière que je subis”, témoigne le professionnel de santé, encore éprouvé. Il raconte les jours qui ont précédé cette journée. “Mercredi tout s’est très bien passé avec le patient. Jeudi, c’était mon remplaçant, aucun problème. Le vendredi matin, je le vois et il me dit qu’il ne sera pas là du week-end, ce qui est impossible, car il doit prendre son traitement avec moi. J’y suis passé une vingtaine de fois pendant le week-end, mais personne”.
J’ai déjà connu des violences à l’hôpital mais en libéral depuis 2008, des violences verbales déjà produit de manière anecdotique et là, c’est la première agression physique et j’espère la dernière que je subis.
Matthieu, infirmier libéral agressé en décembre 2024
Lorsqu’il se rend au domicile de ce patient qu’il suit depuis plus de 5 ans lundi 9 décembre, Matthieu ne s’imagine pas une seconde la scène à laquelle il va être confronté. “J’arrive chez lui et le salue, mais il ne me répond pas. Le patient lève ensuite le ton. Alors qu’il prend les médicaments, il attrape mon écharpe. Je lui dis de lâcher, mais il tire un grand coup vers le sol, puis me donne deux coups de poing dans les côtes. Je le pousse, il tombe à terre”. L’infirmier, âgé de 44 ans, arrive à s’enfuir et va déposer plainte. Le médecin prescrit 8 jours d’ITT à Matthieu.
Plus de soutien et d’écoute
Bastien Dudzik, président de la Fédération Nationale des Infirmiers (FNI) du Pas-de-Calais, a accompagné Mathieu et Stéphanie pour qu’ils déposent plainte et fassent un signalement à l’Ordre. Deux agressions qui sont loin d’être isolées, selon le représentant syndical.
“On entend que ça, des agressions et des agressions assez violentes. L’année dernière, on a une collègue qui a été séquestrée dans le coin de Béthune. On a aussi eu une infirmière agressée à coups de ciseaux en Bretagne. Début janvier, une infirmière a été poursuivie à Soissons par deux personnes alcoolisées et droguées qui voulaient provoquer un accident”. Avant d’interroger : “ça va s’arrêter quand ?”
Le syndicat a également déposé plainte pour se porter partie civile et soutenir les deux infirmiers agressés. Car Stéphanie indique se sentir “bien seule” face à cet événement. “L’ordre national des infirmiers, ils sont complètement absents, assure-t-elle. J’ai laissé un message le 24 décembre pour raconter l’agression et ils ne m’ont jamais rappelé. Personne ne fait rien pour nous”. Matthieu, lui, a transmis sa plainte à l’Ordre le 11 décembre et attend un retour. “Ça va faire deux mois dans quelques jours que j’ai été agressé et je n’ai aucune nouvelle de la justice”, déplore-t-il.
Devant le relatif silence de nos instances et le sentiment de banalisation qui étreint la profession, la FNI Pas-de-Calais a décidé (...) de se porter partie civile à la suite des plaintes déposées par nos collègues.
Extrait communiqué de presse de la FNI du Pas-de-Calais
La FNI réclame, comme les deux infirmiers agressés, plus d’écoute et de reconnaissance de la part des autorités. “On veut que ces agressions soient reconnues, pas banalisées et que des solutions soient mises en place”, indique-t-il. Parmi les pistes évoquées : une ligne directe avec les forces de l’ordre, un numéro vert pour être écouté et protégé ou un système discret pour déclencher la géolocalisation en cas d’agression. Bastien Dudzik espère être reçu prochainement en préfecture pour porter la voix des 2 600 infirmiers libéraux en exercice dans le Pas-de-Calais.