Dans la nuit du mardi 14 au mercredi 15 janvier 2025, un pêcheur de Boulogne a été pris d'assaut par un bateau battant pavillon britannique, mais avec à son bord un équipage néerlandais. Une agression d'une violence inouïe qui constitue une première dans le détroit du Pas-de-Calais. La victime, José Leprêtre, raconte.
Il en rêve la nuit. Le sommeil de José Leprêtre reste agité depuis l'épisode de l'accrochage où il a vu fondre sur son bateau, le mastodonte de trente mètres de long qui l'a pris en grippe. Une manœuvre d'intimidation pour le chasser de la zone de pêche que José Léprêtre a accepté de nous raconter.
Racontez-nous l'enchaînement des événements
L'altercation a eu lieu dans la nuit du 14 au 15 (janvier 2025). Un bateau pavillon anglais, mais équipage hollandais, pratiquant la senne, ce qu'ils font d'habitude de jour, mais là ils pratiquaient de nuit. Apparemment, je suis passé dans son matériel, mais il ne m'a pas appelé, je n’en ai pas su davantage. Donc, nous, on a vérifié notre gréement pour voir s'il n'y avait rien dans notre train de pêche. Il n'y avait rien, donc on a repris l'activité. À 2 heures du matin, mon matelot est venu me chercher, choqué, stressé, il était blanc comme la mort. Et il me dit : " je comprends pas, je l'ai pas vu arriver, y a un bateau qui nous a accrochés." Donc, je monte au plus vite dans la passerelle, je regarde, j'essaye de comprendre ce qu'il se passe. Je me dis qu'un bateau nous accroche, ça arrive. Donc j'essaye de l'appeler, pas de réponse. J'appelle le Gris-Nez qui m'entend pas. Donc, je rappelle le bateau, je lui demande de s'identifier, parce qu'il avait tous feux éteints et sa balise émettrice de reconnaissance était éteinte. Je l'appelle, je lui dis d'allumer sa balise. Il me dit : Non.
Là j'ai compris que c'était pas un incident de mer. J'ai compris que c'était volontaire.
José Leprêtre, marin-pêcheur
Donc mon fils est monté à la passerelle avec moi, on a mis le projecteur et on a vu que c'était le Henk Senior, le bateau avec qui j'avais eu un petit souci avant. Il a attrapé notre câble avec un grappin de 300 kilos, il l'a ramené vers son bateau. Notre câble de 120 mètres était carrément sorti de l'eau. Quand j'ai vu ça, j'ai mis un peu de gaz et le bateau a gîté donc je me suis dit que c'était pas la peine. On a ralenti et on l'a vu en train de couper notre câble.
Il a détruit votre matériel ?
Non heureusement, quand on tire un chalut, c'est sur deux câbles. Là, il a coupé un côté du chalut, nous, on a récupéré ce qu'on a pu, mais bon, c'est pas des manœuvres qu'on fait tous les jours. Donc il y a beaucoup de tension, pour l'équipage, c'est super dangereux. On a réussi tant bien que mal à se remettre en place et à continuer notre pêche, mais ça nous a pris un certain temps. Il y a eu des dommages dans le chalut, donc il a fallu qu'on mette un autre chalut à l'eau, qu'on répare tous les câbles qui étaient sectionnés, ça nous a coûté de l'argent aussi.
Comment vous vous sentez là ?
Ça va mieux. La nuit où c'est arrivé, j'ai pas dormi parce qu'on y repense. On se dit que ça aurait pu être plus grave. Si moi, j'avais agi comme lui, comme un fou à vouloir virer à fond la caisse pour pouvoir récupérer au plus vite mon matériel, on se serait abordés vu qu'on était liés par mon câble. Après, on se dit qu'il est rien arrivé, l'équipage n'a rien. Le matériel est remis en ordre et puis on espère surtout que ça n'arrivera plus parce que là, c'était vraiment délibéré, on aurait dit des pirates ! Le plus grave, c'est la mise en danger de la vie de l'équipage. Tout le monde a halluciné, tout le monde était choqué.
On va retourner en mer en étant encore plus vigilants.
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C'est tendu en ce moment entre pêcheurs dans la Manche ?
Oui, c'est tendu avec une certaine catégorie de pêcheurs. Il y a des bateaux à pavillon anglais et équipages néerlandais qui pensent que la mer leur appartient. Donc, ils font leur boulot et ils nous demandent de nous retirer. Avec d'autres pêcheurs néerlandais, ça se passe très bien, on discute avant de faire le boulot et on arrive à cohabiter. Mais cette catégorie-là de pêcheurs, ils sont particulièrement culottés et ils se croient tout permis.
Mon armateur a déposé plainte, moi, je vais déposer plainte et on espère que ça va les calmer un peu parce qu'on n'a pas envie de revivre ça. Et on demande des mesures drastiques de gestion de la Manche, parce qu'il y a beaucoup de bateaux sur un petit espace. La ressource est là, le Brexit n'a pas arrangé les choses, les Anglais réduisent encore les zones de pêche, donc on retrouve de plus en plus de monde dans un espace de moins en moins grand. La cohabitation devient très compliquée.
Images : Adrien Fuzelier
Edité par Vincent Dupire