Depuis le 1er janvier, de nombreuses tentatives de traversée ont eu lieu dans la Manche. Plusieurs centaines de personnes migrantes tentent chaque jour de regagner l'Angleterre depuis les côtes des Hauts-de-France. Lieux de départ, entassement dans les bateaux, répression policière... Où en est la situation migratoire sur le littoral en ce début 2025 ?
Dans la nuit du 14 au 15 janvier 2025, 99 personnes migrantes qui tentaient la traversée vers l'Angleterre à bord de small-boats, ont été secourues dans le détroit du Pas-de-Calais. Une nuit de naufrages, lors de laquelle de nombreuses personnes se sont retrouvées dans une eau glacée, nécessitant l'intervention des services de secours et de l'aide des associations du littoral. Une nouvelle fois, les Hauts-de-France ont évité le pire, mais en cette mi-janvier, la situation que vivent les exilés sur la côte reste alarmante.
Depuis Noël, les conditions météorologiques sont réunies pour permettre aux migrants de tenter la traversée en mer du Nord ou dans la Manche. Une ouverture météo qui a notamment causé la mort d'une personne au large de Sangatte le samedi 11 janvier, mort d'asphyxie, écrasé par les autres migrants entassés à bord de la frêle embarcation surchargée. Il s'agissait du premier décès de l'année 2025. L'an passé, 77 personnes migrantes sont décédées en tentant de rejoindre l'Angleterre.
Un homme est décédé cette nuit près de Calais. Il s’apprêtait à prendre la mer sur une embarcation surchargée pour rejoindre l’Angleterre.
— Utopia 56 (@Utopia_56) January 11, 2025
C’est le premier drame en mer de l’année. On sait déjà qu’il y en aura d’autres tant qu’une politique différente ne sera pas décidée.
► À LIRE AUSSI : Un jeune migrant syrien meurt lors d'une tentative de traversée de la Manche : le premier décès en mer de 2025 constaté à Sangatte
Ce premier mort est, certes, le premier de l'année, mais il s'inscrit dans la longue liste de décès survenus dans le détroit du Pas-de-Calais depuis plusieurs décennies. Janvier est l'occasion de rappeler les conditions dans lesquelles survivent les migrants sur le littoral des Hauts-de-France, en quête d'une vie meilleure.
On fait le point sous le prisme associatif avec Utopia 56, qui œuvre depuis 2015 pour défendre l'accueil des personnes en exil, notamment dans le Nord et dans le Pas-de-Calais.
Des départs toujours en hausse...
Depuis trois semaines, les départs augmentent sur le littoral, à raison d'une centaine de personnes présentes sur les plages chaque jour. Pour la plus grosse journée enregistrée depuis le début de l'année, le lundi 13 janvier, 260 personnes ont pris la mer à bord de 5 bateaux. "On s'approche des mêmes chiffres chaque jour, qui avoisinent souvent les 200 personnes. Mais la plus grosse période de traversée était entre le 25 et le 30 décembre. Elle s'est d'ailleurs soldée par un naufrage et le décès de quatre personnes", retrace amèrement Angèle, coordinatrice d'Utopia 56 Calais.
En quinze jours, les bénévoles ont rencontré près de 600 personnes sur le littoral, en plus de celles et ceux qui ont réussi la traversée. Selon Utopia 56, depuis le 1er janvier et suite à cette période de grand départ, les campements se sont vidés. "C'est un phénomène propre aux ouvertures météo, mais également lié à une nouvelle dynamique : les personnes ont tendance à éviter les camps par peur de la répression policière."
On voit notamment que les personnes arrivant à Calais ou Boulogne via les gares s'installent directement dans les dunes pour attendre une bonne fenêtre météorologique, quitte à passer plusieurs jours sans réel lieu de vie.
... Mais soumis à des fenêtres météo précises
Car les passeurs mettent à l'eau leurs small-boats lorsque des conditions météorologiques particulières sont réunies. Ici on ne parle pas de pluie, de neige ou de vague de froid, mais plutôt de vent. Car ce qui dissuade les traversées reste la puissance et la hauteur des vagues.
Pour qu'Utopia 56 déploie une maraude sur le littoral, il faut que le vent reste sous 10 nœuds et que les vagues ne dépassent pas les genoux. "Sinon on sait que les tentatives de traversées n'auront pas lieu", fait savoir Angèle, en indiquant qu'une exception existe toutefois en hiver.
C'est une saison où les traversées sont plus nombreuses, même lorsque les vagues arrivent mi-cuisse. Ce qui rend les conditions de départ encore plus dangereuses.
Angèle, coordinatrice Utopia 56 Calais
Les marées sont également scrutées avec attention : quand la mer est très basse, la distance entre l'eau et les dunes est plus longue à parcourir. Il y a donc plus de chance pour les migrants et les passeurs d'être interceptés par les forces de l'ordre.
En moyenne 58 personnes par bateau
Ces images de bateaux gonflables motorisés, sur lesquels une cinquantaine de personnes sont entassées ont marqué l'année 2024. Déjà, en 2020, plusieurs dizaines d'exilés pouvaient être aperçues dans ces embarcations normalement conçues pour dix personnes. Mais aujourd'hui, les bateaux sont de plus en plus chargés, atteignant une moyenne de 58 personnes par embarcation. Il y a trois ans, on ne dépassait pas les 40 personnes.
"Lorsque le bateau est mis à l'eau, les conditions pour monter à bord sont violentes et précipitées. C'est une situation de chaos qui provoque de plus en plus de morts par asphyxie, comme on a pu voir le 11 janvier dernier", relève Utopia 56 Calais.
Toute la côte concernée, jusqu'en Normandie
En 2025, mais la situation dure depuis un moment, les small-boats ne partent plus seulement de Calais ou de Boulogne-sur-Mer. Les départs se font de plus en plus au sud du département, jusque dans la Somme, voire depuis la Normandie, pour tenter d'éviter les dispositifs de police déployés sur le littoral du Pas-de-Calais.
Depuis le début de l'année, deux appels de détresse envoyés par des embarcations en mer ont notamment été reçus au large de Dieppe. "Là-bas, le temps de traversée est quadruplé. Déjà depuis Calais et Douvre le trajet durait entre 4 et 5 heures, si le moteur marche. Mais depuis Dieppe on est sur plus de 20 heures", note Angèle. "Forcément la situation est encore plus dangereuse et les naufrages de plus en plus fréquents."
► À LIRE AUSSI : Après un week-end meurtrier, un nouveau corps retrouvé à Blériot-Plage
La répression policière "pas la bonne solution"
En 2023, la présence policière s'est intensifiée sur les côtes du Pas-de-Calais. Plus de moyens alloués, nouveaux véhicules, nouveau matériel... Une hausse des effectifs avait notamment été annoncée par Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, en novembre dernier, prévoyant de déployer 85 policiers supplémentaires entre Dunkerque et Calais. Un "contresens" que dénoncent vivement les différentes associations d'aide aux migrants du département.
"On ne peut pas répondre à la détresse et à une situation de vulnérabilité extrême par la répression. Or le renfort des forces de l'ordre est la seule action mandatée par l'État pour gérer la détresse humanitaire sur littoral... Ou plutôt pour gérer maintien de l'ordre", fustige la coordinatrice d'Utopia 56. Pour elle, cette présence policière crée un stress supplémentaire et un décalage :
Les policiers font face à des groupes composés notamment d'enfants et de personnes âgées, en étant équipés de gaz lacrymaux et de LBD (lanceur de balles de défense). Il y a un décalage qui induit de la violence.
Angèle
Voir au-delà des accords du Touquet
Lorsque la question migratoire dans les Hauts-de-France est mise sur la table, les forces politiques en viennent rapidement à évoquer les accords du Touquet. Un ensemble de traités bilatéraux signés en février 2003 par la France et le Royaume-Uni, qui tentaient de réguler l'immigration clandestine entre les deux pays voisins. Depuis, la France pointe régulièrement du doigt ces accords et souhaite les redéfinir, quitte à entrer dans un bras de fer.
Mais côté associations, avancer l'argument d'une révision des accords du Touquet ou du problème des passeurs "est un peu la réponse facile pour se dédouaner." Comme l'explique Angèle : se cacher derrière des réseaux de traite humaine, qui "certes se nourrissent de la misère humaine", ne suffit pas. "Ces départs, ces naufrages et ces morts sont le symptôme d'une frontière fermée." Pour elle, "punir par la loi l'organisation des traversées clandestines revient à ignorer les dynamiques réelles qui se jouent derrière la filière de passage."
Quel est le rôle des associations ?
En attendant de voir un jour naître une solution à cette crise migratoire, sur place, la solidarité s'organise. Le rôle des associations d'aide aux migrants est nécessaire pour permettre aux naufragés d'être soutenus, orientés et pris en charge.
L'association Utopia 56 notamment, réalise de nombreuses maraudes sur le littoral pour rencontrer les personnes qui ont "raté" leur traversée, dont la grande majorité est souvent tombée à l'eau. Il faut donc agir vite pour leur fournir des vêtements chauds, des couvertures de survie, de l'eau, des biscuits... Les bénévoles essaient également de les orienter vers les gares ou les bus les plus proches, pour leur permettre de rentrer à Calais et Grande Synthe où les personnes trouveront plus facilement une solution d'hébergement.
Mais l'action des bénévoles doit être conjointe à celle des services d'État. Un protocole a été mis en place il y a deux ans par la préfecture, permettant d'alerter et de déployer la protection civile en cas de besoin. Celle-ci se charge alors de rhabiller les exilés et de les conduire vers un lieu où passer la nuit.
Angèle sonne cependant l'alerte : "L'hiver on arrive plus souvent à déclencher le protocole que l'été, au vu des températures. Mais ça arrive que les exilés attendent la protection civile pendant 3 heures en étant trempés, ou qu'elle ne se déplace pas du tout." L'importance des bénévoles et des associations sur le littoral, prend alors tout son sens.