Ces 31 janvier et 1er février, la France réunissait à Lens les 27 ministres de l'industrie de l'Union Européenne pour un sommet informel. Dans un contexte géopolitique troublé et marqué par des pénuries de matières premières, l'UE veut montrer un visage fort.
Les 31 janvier et 1er février 2022, la France, qui vient de prendre la présidence européenne, réunissait à Lens les 27 ministres en charge de l'Industrie et du Marché Intérieur. L'enjeu principal : l'autonomie de l'Union Européenne, surtout vis-à-vis des matières premières stratégiques.
A la sortie de ces deux jours de travail, ce sont Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’Industrie, Maroš Šefčovič, vice-président de la Commission européenne et Thierry Breton, commissaire européen chargé du Marché intérieur, qui se sont pliés à l'exercice de la conférence de presse. Dans un contexte géopolitique tendu, y compris aux portes de l'Europe, l'allocution finale a sonné comme une démonstration de force et de cohésion.
Lens reconnue comme un modèle de reconversion
Maroš Šefčovič et Thierry Breton ont eu chacun un mot pour la ville de Lens et le musée du Louvre-Lens, choisis comme destination pour ce sommet informel. "La ville de Lens est réputée pour sa reconversion réussie du charbon vers un nouveau modèle économique et est un cadre parfait pour ces discussions", a déclaré le dirigeant slovaque, qui a commencé son discours en Français.
"C'était la première fois que je venais à Lens, j'ai un peu honte de le dire. Eh bien, madame la ministre, moi et les collègues, nous n'avons pas regretté, a de son côté entamé Thierry Breton. Vous avez eu mille fois raison : le lieu est exceptionnel, mais aussi il est symbolique. Ça a été dit au cours de notre réunion : Lens a été le centre de cette Europe industrielle, cette révolution du charbon. Plus de 200 000 familles en vivaient à un moment, avec tout ce que ça a impliqué, y compris en termes de révolutions sociales, de luttes, des progrès qu'elles ont apportés. Et c'est aussi un territoire qui a dû se convertir, se réinventer totalement. Cette réinvention, elle est symbolisée par ce lieu", a salué le commissaire européen.
Crise en Lituanie : les 27 font front commun
Si bien des sujets sont houleux à la commission européenne, ce n'est pas le cas des problématiques industrielles discutées lors de ce sommet. Les 27 semblent s'accorder sur la nécessité de renforcer l'indépendance de l'Union Européenne dans la production de matières premières stratégiques. Surtout, ils savent essentiels de montrer un front uni dans un contexte géopolitique extrêmement sensible.
En effet, les relations sont tendues avec deux pays hautement tactiques sur les routes du commerce : la Chine et la Russie. Les deux puissances sont en conflit plus ou moins ouvert avec la Lituanie. Concernant la Russie, la confrontation est plus larvée mais potentiellement très explosive. Depuis la fin 2021, le régime dictatorial instauré par Vladimir Poutine masse de dizaines de milliers de soldats aux portes de l'Ukraine et est accusé de plus en plus ouvertement de préparer une nouvelle invasion. La Lituanie s'en inquiète d'autant plus qu'elle partage une frontière sud-ouest avec l'oblast de Kaliningrad, un territoire russe hautement militarisé.
Le conflit avec la Chine, de nature économique et diplomatique, concerne de plus près les ministres de l'industrie. En mai 2021, la Lituanie s'est retirée d'un groupe de coopération sino-européen et, peu après, a laissé Taïwan ouvrir sur son sol un bureau de représentation officielle, alors que la Chine ne reconnaît pas à ce territoire le statut d'Etat.
Quelques mois plus tard, la dictature chinoise suspendait les visas des ressortissants lituaniens. Dans la foulée, Pékin a interrompu ses importations vers la Lituanie et organisé un blocage douanier des marchandises lituaniennes. Depuis, plusieurs industriels européens utilisant des composants fabriqués en Lituanie ont vu des commandes annulées. Tout cela sans que la Chine n'annonce la moindre sanction officielle. L'Union Européenne a depuis saisi l'Organisation Mondiale du commerce pour dénoncer ces mesures "discriminatoires".
"Notre collègue lituanienne a exprimé ses préoccupations (...) L'ensemble des pays européens ont manifesté leur solidarité. Ces pratiques coercitives rappellent la nécessité pour l'UE de progresser rapidement sur un instrument anti-coercition qui permettra à l'UE de défendre efficacement ses états membres dans des situations comme celle-ci", a notamment déclaré Agnès Pannier-Runarcher.
"Aujourd'hui, on parle d'événements géopolitiques qui vont marquer la décennie qui vient de façon difficile. Quand un pays de l'UE fait l'objet de mesures coercitives, voir même d'attaques, de la part de puissances étrangères, je le dis sans détour : c'est toute l'Union qui est attaquée", a abondé Thierry Breton.
Industrie, santé : l'Union Européenne comble ses faiblesses de production
Ce contexte a alimenté une discussion plus large sur l'autonomie de l'Union Européenne, surtout vis-à-vis des matières premières stratégiques. Préalablement à la réunion, la commission a identifié une liste de 137 produits sur lesquels l'Europe est "vulnérable", car dépendante d'un approvisionnement par des puissances étrangères.
Cela peut s'appliquer au domaine de la santé, de l'industrie ou des nouvelles technologies. "A titre d'exemple, nous dépendons en grande partie de l'Asie dans des domaines tels que les principes actifs pharmaceutiques, à 80% importés, ou la production de fibre optique, puisque 58% de la production mondiale sont réalisés en Chine". Des vulnérabilités encore plus critiques s'appliquent aux matières premières ou aux "terres rares".
"Nous voulons une autonomie stratégique ouverte. Ce n'est pas un protectionnisme, c'est une absence de naïveté sur les conditions de concurrence et de production dans le monde, et le souhait de développer des partenariats stratégiques avec des pays qui se fixent les mêmes exigences environnementales et sociales de production, a entamé la ministre Pannier-Runacher. C'est ce qui doit permettre à notre continent de redevenir maître de sa trajectoire économique."
Le diagnostic semble sans difficulté partagé par les 27, qui n'ont eu à rendre compte d'aucune divergence majeure d'opinion. La présidente du conseil a souligné qu'à l'occasion de la crise sanitaire, l'Union avait pu démontrer la solidité des outils existants, par exemple sur le marché de la vaccination. "En mettant en commun nos sites de production et nos capacités de recherche et de développement, nous sommes devenus le premier producteur de vaccin mondial", a-t-elle salué.
Du développement de l'hydrogène bas carbone aux infrastructures du Cloud, de nombreux chantiers sont déjà en marche. Agnès Pannier-Runacher a notamment rappelé qu'une première "gigafactory" dédiée à la production massive de batteries électriques était actuellement en cours de construction à Douai. "Voilà un exemple très concret de l'action que nous avons engagée en la matière."
Pour aller plus loin, les 27 se fixent avant tout comme objectif la mise en place d'ouvertures réciproques de marchés publics avec des pays partenaires et surtout d'une concurrence internationale loyale. "Le marché unique est notre plus grande force, y accéder doit se mériter et nous devons nous servir de cela comme levier", a conclu la présidente du conseil.