"On ne doit pas être rentable, on doit prendre soin" : les soignants de l'hôpital d'Abbeville entament leur cinquième semaine de grève

Depuis le 6 janvier, les soignants de l'hôpital d'Abbeville sont en grève illimitée. Ils dénoncent le manque de personnel entrainant des conditions de travail dégradées et le retard de paiement de milliers d'heures supplémentaires. Le mouvement se politise désormais.

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Ils ne faiblissent pas et restent motivés dans leur lutte. Les soignants de l'hôpital d'Abbeville ont entamé leur cinquième semaine de grève illimitée, et désormais c'est une pétition de soutien qu'ils ont décidé de faire signer. "On veut sensibiliser la population et les usagers parce qu’ils sont impactés par nos conditions de travail et le manque d'effectif", justifie Pascal Maccrez, aide-soignant et secrétaire général de la CGT de l'hôpital d'Abbeville. 

Car à l'hôpital d'Abbeville, le manque d'effectif s'est installé depuis plusieurs mois, entraînant un cercle vicieux, aujourd'hui dénoncé par le personnel soignant. "Il y a un absentéisme énorme, à cause des conditions de travail qui ne s'améliorent pas. On a du mal à remplacer donc on appelle les agents sur leur temps de repos. Il y a de l'épuisement et en plus de ça, la direction ne paye pas ces heures supplémentaires. C'est du travail gratuit", témoigne Aurélien Coupel, aide-soignant et secrétaire adjoint de la CGT. Aujourd'hui, les syndicats parlent de 70 000 heures supplémentaires impayées. 

Le mouvement se politise 

Alerter la population comme nouveau mode d'action, mais aussi interpeller les institutions face à une situation que les soignants ne peuvent plus supporter. La semaine dernière, ils ont écrit une lettre à l'Agence régionale de santé (ARS) dans laquelle ils réclament un état des lieux des effectifs et des besoins de l'établissement, des moyens financiers et humains ainsi qu'un plan d'urgence pour améliorer les conditions de travail. "On est en train de mettre dos à dos notre direction et l’ARS parce qu'on a l'impression que tout le monde se refile la patate chaude", déplore Pascal Maccrez.

Pour alerter sur leurs conditions de travail, le personnel de l'hôpital a lancé une pétition et écrit à l'ARS. © Antoine Roynier / FTV

Pour appuyer leurs réclamations, les syndicats sont même allés plus loin en cette cinquième semaine de grève. "On a sollicité la direction à plusieurs reprises, elle est restée dans un mutisme absolu, donc on a aussi fait appel au renfort de nos élus locaux." Ainsi, François Ruffin et Rémi Cardon, respectivement député et sénateur de la Somme et Julie Vast et Angelo Tonolli, conseillers départementaux d'Abbeville, ont eux aussi écrit à l'Agence régionale de santé pour soutenir le personnel de l'hôpital. Dans cette lettre, les élus insistent sur le "paiement des 70 000 heures supplémentaires" des agents, restées impayées jusqu'alors, et sur "des moyens humains supplémentaires pour renforcer les équipes". 

Vers un nombre minimal de soignants par patient

Alors que dans certains services de l'hôpital d'Abbeville, seuls trois soignants travaillent pour 45 patients, la situation se tend dans l'établissement de santé. Le personnel évoque des conditions de travail pouvant mener à de mauvais soins prodigués aux patients. La problématique du manque de personnel en milieu hospitalier a justement été mise en lumière il y a deux semaines à l'Assemblée nationale. Le 23 janvier dernier et après deux ans de débat, les députés ont adopté une loi de ratios de soignants à l'hôpital permettant de mettre en place un nombre minimal de soignants par patient.

Il s'agissait d'une préconisation de la commission d'enquête sénatoriale sur la situation des hôpitaux de l'hiver 2022, totalement partagée par les syndicats en milieu hospitalier. "C’est une revendication qu’on a depuis longtemps dans les organisations syndicales, c’est bien que ce soit passé, mais maintenant il faut voir ce qui va nous être proposé", commente Pascal Maccrez. 

Car si la loi est adoptée, il faudra attendre des travaux menés par la Haute Autorité de santé (HAS) pour mettre en vigueur des décrets fixant ces ratios, en fonction des spécialités et de la taille des établissements de santé. Une attente que les soignants déplorent. "Le problème, c’est que c’est pour 2027, c’est loin ! Au vu des conditions de travail qu’on rencontre ici, d’ici là, le personnel aura le temps d’être en burn out ou de développer des pathologies", souligne Pascal Maccrez.   

Dans l'attente d'un dialogue social

D'ici à 2027 et la mise en place des ratios de soignant, le personnel de l'hôpital d'Abbeville réclame des réponses de la part de la direction de l'établissement. Chez les syndicats, on regrette un manque de dialogue social face à des réponses purement budgétaires. "Aujourd'hui, c'est juste un dialogue comptable. La direction ne pense qu'à ce qu'elle doit par rapport à son projet d'établissement, elle ne parle que de cette belle vitrine qu'elle met en avant. Mais derrière, il y a des patients dont il faut prendre soin dans de mauvaises conditions", constate Aurélien Coupel. 

Les syndicats dénoncent un manque d'effectif et des conditions de travail dégradées. © Antoine Roynier / FTV

De son côté, la direction de l'hôpital met en avant des difficultés financières non négligeables : l'établissement, comme de nombreux autres dans la région, est déficitaire. Une situation qui ne permet pas de combler le manque d'effectif. "On est très attentifs à la question du maintien du personnel au contact des patients. Mais aujourd'hui, les établissements de santé ont des trajectoires financières compliquées qui font qu’on ne peut pas ajouter des effectifs là où on le souhaiterait", répond Hélène Deruddre, directrice du centre hospitalier d'Abbeville. 

Dans l'attente de la mise en place des ratios de soignants, la directrice avoue devoir recourir au remplacement de personnel par d'autres agents de l'hôpital : "Parfois, il y a des situations d’absentéisme qui obligent à rappeler du personnel et c’est ainsi qu’on constitue de la dette sociale en générant des heures supplémentaires. Toutefois, ces heures ne sont jamais perdues, elles sont soit récupérées, soit indemnisées. L’année dernière, on a rémunéré plus d’un million d’euros d’heures supplémentaires, ça représente 25 heures par soignant payées aux agents".

En lien constant avec l'Agence régionale de santé pour trouver des solutions, Hélène Deruddre affirme mettre en place des groupes de travail, avec les syndicats, et ainsi engager un dialogue social pour mettre fin à la grève et surtout, redonner des conditions de travail dignes aux soignants de l'hôpital d'Abbeville.

Avec Claire-Marine Selles / FTV

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