Inauguré en 2008, l'aéroport de Méaulte (Somme) a été construit en grande partie pour les activités d'Airbus dans la région. Mais depuis quelque temps, l'Aviation civile pense à remplacer les contrôleurs aériens par des agents de guidance, ce qui changerait complètement les procédures d'atterrissage... Et fait grincer les dents de la direction et celles d'Airbus.
Lourdement endettée, l'aviation civile française doit réaliser des économies. C'est pourquoi la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) a entrepris de grosses réformes, dont la fermeture d'un quart des tours de contrôles dans les aéroports français d'ici à 2035.
L'aéroport international Amiens Henry Potez, connu comme celui de Méaulte, fait partie de la première vague concernée. Tous les ans, 12 000 avions en décollent ou y atterrissent. Et on trouve un peu de tout : des avions privés, des vols sanitaires, du délestage quand le Bourget encombré, mais surtout, le Beluga, un cétacé des airs qui convoie les pointes avant des Airbus fabriqués en Picardie jusqu'à Saint-Nazaire.
Si pour le moment, cinq contrôleurs aériens se relaient pour réguler le trafic du lundi au samedi, de 9 heures à 19 heures, ils pourraient être remplacés par des AFIS (Aerodrome Flight Information Service), de simples agents de guidage. Une éventualité qui pose problème à la direction de l'aéroport.
Une différence fondamentale entre contrôleur aérien et AFIS
Mais quelle est la différence entre un agent de guidance et un contrôleur aérien ? "Concrètement, l'agent de guidance donne des informations tandis que le contrôleur aérien va donner des ordres, explique Arnaud Soulet, directeur de l'aéroport. Donc le contrôleur aérien prend la main sur le vol, quel qu'il soit, et le pilote de l'avion, si on prend le Beluga par exemple, va se laisser guider, piloter même".
Angle, inclinaison, sens, météo, conditions adéquates... C'est le contrôle aérien qui devient, en quelque sorte, responsable de son atterrissage. Il a une vue d'ensemble sur le terrain et les alentours, notamment grâce à un radar. Il donne ainsi des ordres aux avions autour et priorise le Beluga, parce qu'il s'agit du plus grand et du plus imposant.
Avec un avion comme le Beluga, le risque est complètement différent, que le Beluga soit chargé ou non d’ailleurs. Mais avec une cargaison pleine, cet avion ne représente pas le même risque qu’un charter avec des passagers ou qu’un petit avion léger.
Virginie Caron-Decroix, présidente de l'aéroport
L'agent AFIS, de son côté, est un agent salarié de l'aéroport. Il ne donne que des informations et n'a pas accès aux radars. Sa vue est donc plus restreinte. S'il se retrouve à s'occuper de l'atterrissage, il ne pourra qu'informer, sans donner des ordres. Cela signifie que la responsabilité incombera au pilote qui devrait prendre la décision d'atterrir sans être guidé.
Arnaud Soulet nuance toutefois : "non pas qu'un AFIS ne sache pas faire ce boulot, mais il ne dispose pas des mêmes outils" que les contrôleurs aériens et ne possède pas le même pouvoir sur l'avion.
"L'impact financier est double"
Pour Arnaud Soulet, l'impact financier sera double. "Il faudrait qu'on remplace ces contrôleurs pour combler l'étendue du service sur tous les horaires de la semaine, et ce serait effectivement nos employés". Selon lui, il faudrait alors doubler l'équipe qu'ils possèdent aujourd'hui. Ce scénario a également un impact sur les assurances que devront prendre les compagnies des pilotes et l'aéroport pour savoir qui est responsable, en plus de les renforcer, "ce qui serait forcément non négligeable".
Si les contrôleurs disparaissent, les pilotes de Beluga affirment qu'ils ne prendront pas le risque d'atterrir à Méaulte. Une déclaration qu'il ne faut pas prendre à la légère puisque l'aéroport a été construit à l'origine pour le site d'Airbus Méaulte. "Airbus est notre client historique, c'est pour lui qu'on a créé cet aéroport à l'époque puisqu'il était nécessaire pour que son développement puisse se passer dans de bonnes conditions, que des Belugas puissent atterrir et décoller de notre aéroport pour transporter les pièces avant fabriquées ici", souligne Virginie Caron-Decroix, présidente de l'aéroport.
Lors de la réunion que Monsieur le Préfet a organisé, il y avait aussi un pilote qui était en visio. Il a été clair dans ses propos, il a dit : moi, je me pose que si c’est un controleur aérien de la DNSA (Direction des services de la Navigation aérienne), pas un AFIS. C'était vraiment extrêmement clair.
Stéphane Demilly, sénateur (UDI) de la Somme
Si plus aucun Beluga n'atterrit, l'industrie aéronautique autour d'Airbus, qui compte 3 000 salariés, risquerait d'en pâtir alors que de nombreux acteurs locaux ont investi dans le projet : entreprises, sous-traitants, groupe Blondel, Industrie Lab (qui accueille le lycée Henry Potez), la Région, un hub de start-ups porté par la Communauté de communes du Pays du Coquelicot...
Cet aéroport et les activités qui l'entourent représentent tout un tissu du territoire, mais aussi du département. "Il n'y a pas une personne dans ce département qui ne connaît pas quelqu'un qui travaille ou avait travaillé sur le site Airbus, ou un membre de sa famille concerné de près ou de loin" par cette activité.
L'aéroport "n'est pas menacé"
Stéphane Demilly, sénateur (UDI) de la Somme, se veut un peu plus rassurant. Non, l'aéroport de Méaulte n'est pas menacé. "Simplement, on souhaite garder le système que nous avons au niveau du contrôle aérien, un système mixte entre les AFIS et les contrôleurs aériens" qui ont un niveau de technicité plus rassurant, notamment pour les gros-porteurs, comme c'est le cas avec le Beluga.
Selon lui, la Direction générale de l'aviation civile a dû regarder le nombre de mouvements (décollage et atterrissage) au sein de l'aéroport, "et quand elle a vu qu'il n'avait pas une très grosse activité, elle s'est dit : c'est bon, je peux faire des économies". Néanmoins, elle n'a pas considéré le fait que cet aéroport a été surtout construit pour l'activité d'Airbus.
Un tel changement pourrait donc également fragiliser l'activité d'Airbus à Méaulte. Les cockpits, et plus précisément les pointes avant, sont systématiquement envoyés en zone de semi-assemblage ou d'assemblage par la voie aérienne. "C'est plus pratique, plus rapide", affirme Stéphane Demilly. Si demain, l'aéroport ne peut plus accueillir le Beluga, "on va devoir reprendre le système de transport routier systématique, parce qu'il y en a encore de temps et temps, et je pense que ce ne serait pas un bon point pour l'établissement picard d'Airbus".
Pour le moment, la décision finale n'a pas encore été prise et l'Aviation civile a annoncé se donner un an pour réfléchir. Virginie Caron-Decroix espère qu'il reste une marge de discussion. "C'est surtout Airbus qui l'espère, puisqu'il s'est positionné" sur la nécessité de garder les contrôleurs aériens. Si la DGAC venait à retirer les contrôleurs aériens, l'aéroport de Méaulte deviendra la première escale européenne d'Airbus sans contrôle aérien. "Airbus n'imagine pas que ça puisse être possible", souffle-t-elle.
Avec Marie Roussel, Dominique Patinec / FTV