"C’est très, très dur. On ne comprend pas" : retour à la rue pour 50 personnes après la levée du plan grand froid à Amiens

Le plan "grand froid" avait été déclenché le 9 janvier dernier à Amiens et permis l'ouverture de 50 places d'hébergement d'urgence supplémentaires dans un gymnase. Il a été fermé le 22 janvier, laissant des dizaines de personnes dont des familles avec enfants sans solutions. Les associations retrouvent une détresse qui leur est devenue familière.

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Treize jours de répit, puis à nouveau la rue, la pluie, le vent. Le redoux des températures a signé l'arrêt de l'hébergement d'urgence au gymnase la Teinturerie d'Amiens. Un dispositif déployé par la préfecture dans le cadre du plan "grand froid", en partenariat avec la mairie et la Croix-Rouge, qui assurait l'accueil sur place. 

D'après plusieurs membres d'associations en contact régulier avec le 115, le gymnase affichait complet tous les soirs. Cinquante personnes, parmi lesquelles au moins trois familles, soit dix enfants, se retrouvent à nouveau sans solution d'hébergement.

Les associations tentent à nouveau de faire face à leur détresse, palliant les carences de l'Etat, normalement responsable de l'hébergement d'urgence. "C’est très, très dur. On ne comprend pas, souligne Sibylle Luperce, bénévole du Réseau éducation sans frontières (RESF). Intellectuellement, on comprend pourquoi le plan 'très grand froid' a été levé, mais ne rien mettre derrière, on ne comprend pas.

Pas de place pour les familles et les femmes 

C'est une routine de l'urgence qui a repris : le matin à 9 heures, les personnes sans hébergement pour la nuit appellent le 115 pour se signaler. Puis, elles et ils rappellent à 14 heures 30, afin de demander une place. S'il n'y en a pas, il faut rappeler à 19 heures 30. Puis, pour les femmes avec enfant, à 22 heures 30, pour savoir si l'unique place d'accueil d'urgence pour les familles qui existe à Amiens est disponible. 

"C’est une place prioritairement attribuée aux femmes victimes de violence, donc si elle est réquisitionnée, il n’y a rien, c’est ce qui s’est passé hier", constate Sybille Luperce. RESF tente alors de trouver des solutions avec ses propres moyens. "Hier, nous avons mis deux familles à l’auberge de jeunesse, mais à 22 heures 30, un de nos bénévoles qui maraude à la gare a trouvé une famille de cinq, dont quatre enfants, raconte la militante. Il a réussi à trouver une bénévole qui a accepté de les recevoir chez elle. Ça, ce sont les personnes que l’on connaît, mais il y a celles qu’on ne connaît pas."

La préfecture connait les difficultés, la dangerosité de la rue pour les femmes, on ne protège pas les femmes.

Sibylle Luterce

Bénévole RESF

  

Trois familles, dix enfants, étaient ainsi hébergés avec ces solutions bricolées par RESF hier. Dans l'après-midi de ce samedi 25 janvier, une nouvelle maman avec son enfant de trois ans a été signalée au réseau, qui va tenter de lui trouver une place à l'auberge de jeunesse. "Le 115 les renvoie à l'appel de 19 heures 30, on sait qu'il y a un faible espoir de prise en charge" déplore Sibylle Luperce. Une situation malheureusement familière pour l'association, qui alerte régulièrement sur la situation des familles sans-abris à Amiens. 

La priorité du réseau est d'éviter que les enfants ne dorment à la rue. Parfois, après 23 heures, la Croix-Rouge a quelques places d'accueil supplémentaires. Mais il y a aussi de nombreuses femmes seules et sans-abris à Amiens.

"On sait malheureusement que certaines femmes acceptent des hébergements 'sous certaines conditions', ajoute la bénévole RESF. C’est ce qui nous inquiète le plus, il y a des prédateurs qui profitent de leur vulnérabilité, ce sont des choses que racontent les travailleurs sociaux et c’est catastrophique. Des femmes contraintes à des rapports sexuels non consentis pour un hébergement. La préfecture connaît les difficultés, la dangerosité de la rue pour les femmes, on ne protège pas les femmes."

Espoirs déçus, absence de refuges  

"J’étais très en colère mercredi. Le gymnase avait été reconduit une fois, on espérait... Mais non. Ça a été dur à admettre, reconnaît Sybille Luperce. Cela devait être ouvert de manière stable, au moins jusqu’à la fin de la trêve hivernale.

Bertrand Rubin est bénévole aux Maraudes citoyennes amiénoises depuis quatre ans. Il souligne qu'il "faut voir le verre à moitié plein, c’est une bonne chose que ça ait ouvert, même si on aurait préféré que ça reste ouvert plus longtemps." Car les conditions restent très défavorables pour les personnes qui doivent vivre dans la rue.  

Le gymnase leur permettait de dormir au chaud pendant quelques jours.

Bertrand Rubin

Bénévole aux Maraudes citoyennes amiénoises

"Il continue à pleuvoir et les situations les plus critiques quand on fait des maraudes, ce n’est pas le froid, c’est la pluie, souligne Bertrand Rubin. Il m’arrive de discuter en fin de maraude, demander où ils vont dormir et de voir toute la détresse dans leurs yeux quand ils disent qu’ils vont dormir dehors, ça fait mal aux tripes même quand on est habitué."

Les hommes bénéficiaires de ces distributions hebdomadaires de repas chaud et de produits de première nécessité refusent souvent d'aller dans les principales plateformes d'hébergement amiénoises, par crainte des vols et de l'alcoolisation courante dans ces lieux.

"Le gymnase leur permettait de dormir au chaud pendant quelques jours, constate le bénévole. Ils vont dans des parkings souterrains, mais il y a des vigiles partout maintenant, il ne leur reste pas grand-chose, ils essaient de trouver des coins, car squatter est aussi de plus en plus compliqué.

"Quand la gare ferme, après le dernier train, à minuit au plus tard, il n’y a plus d’abris à Amiens, pas une église qui ouvre ses portes, fait écho Sibylle Luperce. À Amiens, ce constat est très angoissant, il n’y a pas de refuge. Le seul refuge, c’est sur des cartons, dans des recoins. Aux risques et périls des femmes. Les hommes souffrent aussi, certains sont malades.

Froideur administrative 

Pourtant, en novembre 2024, l'ouverture de 100 places d'hébergement d'urgence avait été promise par la préfecture de la Somme. Une cinquantaine auraient été ouvertes dans le courant de l'automne, les 50 restantes devaient ouvrir "début janvier". 

"On essaie d’avoir des infos, on ne les a pas, quand on appelle les accueils de jour, le 115, personne ne sait, regrette Sibylle Luperce. Ces places seraient réparties sur toute la Somme, avec certaines à Amiens pour les familles, on n’en sait pas plus. Je ne vois pas d’issue tant que ces places promises n’ont pas été créées. On est dans l’urgence, tous les soirs on essaie d’être en veille, mais on est impuissants. Voir la détresse des gens, c’est dur."

RESF interpelle les élus pour qu'ils relaient leurs questions et l'urgence de la situation auprès du préfet. Certains prennent position sur les réseaux sociaux. 

Pas plus d'information du côté des Maraudes citoyennes, fatalistes face à la situation. "On est habitués, on est toujours présent le réveillon de Noël, on est là le 31 décembre, on aurait aimé avoir une salle chauffée pour cette soirée, la mairie nous a répondu qu’il n’y avait pas de salle. On est habitués à ce manque de moyens, remarque Bertrand Rubin. Heureusement qu’il y a des bénévoles pour contrecarrer les actions qui ne sont pas faites par les autorités publiques." Pour continuer à apporter un peu d'aide aux personnes sans-abris, l'association organise une nouvelle collecte de nourriture le 8 février au magasin Noz d'Amiens. 

Quant à la fermeture du gymnase, la préfecture de la Somme indique que le dispositif était mis en place en raison des alertes météo, "ces critères n'étaient plus réunis pour l'activation de ce dispositif temporaire et justifiaient la fermeture du gymnase. Le dispositif pérenne d'hébergement d'urgence reste en revanche pleinement opérationnel." Pas de réponse pour l'heure sur sa saturation et les places promises à l'automne. 

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