Derrière l'expulsion d'un squat en pleine trêve hivernale à Amiens, "une réflexion sur l'habitat, le loyer et la spéculation immobilière"

En pleine trêve hivernale, une quinzaine de personnes ont été expulsées d'un squat situé rue Emile Lescot, à Amiens, dans un bâtiment voué à la destruction. Un appel à manifester a été lancé samedi 14 décembre en gare d'Amiens en leur soutien, mais également pour parler plus globalement du contexte du mal logement et du droit au logement pour tous.

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La trêve hivernale a débuté le 1er novembre, mais cela n'a pas empêché les autorités d'expulser une quinzaine de personnes d'un squat situé 45 rue Emile Lescot, à Amiens Nord. Parmi eux, on retrouve des étudiantes et étudiants, des travailleuses et travailleurs précaires, mais aussi des chômeuses et des chômeurs âgés de 20 à 40 ans. En somme, une assez large diversité de profils.

Parmi eux, Serge (son prénom a été modifié), un étudiant de 24 ans, qui a rejoint le squat dans la foulée de son ouverture, début juin. "Si je vis en squat, et je pense que je peux parler pour la majorité de mes camarades, c'est parce que c'est une démarche éminemment politique et de grande précarité", lance-t-il au bout du fil.

Pas de "commandement de quitter les lieux ni le délibéré du jugement"

Le jeune homme explique qu'une procédure d'expulsion a été lancée par la Société Immobilière Picarde (SIP) peu de temps après l'ouverture du squat, courant juin. Après la mi-octobre, une audience a lieu, et le 28 octobre, "on a eu le délibéré, le papier final dans lequel la juge remet ses conclusions, qui omettait de statuer sur la trêve hivernale en sachant que c'est une obligation".

Ils ont alors été renvoyés à une nouvelle audience, le 3 décembre. "Le 6 décembre était censé être émis un nouveau délibéré, un papier que normalement l'huissière est obligée de nous remettre en main propre, et donc, le 10 décembre, à 9 heures du matin, sans avoir reçu de commandement de quitter les lieux ni le délibéré du jugement, les flics ont explosé la vitre du rez-de-chaussée, ont pénétré notre bâtiment avec derrière, une équipe de déménageurs, de maçons, l'huissière et une responsable de la SIP".

Les personnes installées dans le squat ont reçu le soutien "d'amis, de camarades" qui ont été prévenus et sont venus les aider à sortir leurs affaires pour les stocker "à droite et à gauche". Ils ont également pu compter sur celui du CRI (comité de relogement immédiat) qui organise d'ailleurs une manifestation samedi 14 décembre à 14 heures à la gare d'Amiens, "à la suite de notre expulsion et pour remettre ça dans le contexte plus global du mal logement et du droit au logement pour tous".

Si on fait appel, ça aura comme seul impact d’avoir une jurisprudence qui pourra aider les futurs procès des prochains squats expulsables. Cette expulsion est illégale selon nous et notre avocate également.

Serge, étudiant de 24 ans

"Une occupation illégale et très problématique au niveau de la sécurité", répond la SIP

Dans le cadre du renouvellement urbain, le bâtiment en question devait être démoli pour construire des logements individuels. "Ce bâtiment a été progressivement vidé de ses locataires et il restait encore une locataire au mois de mai. C'est cette locataire qui nous a prévenus qu'il y avait des squatteurs au numéro 45, elle habitait à l'autre bout du bâtiment. C'était la dernière personne à être relogée, donc le bâtiment n'était pas complètement vide", explique la Société Immobilière Picarde.

Le bailleur social explique "avoir invité dans un premier temps les personnes à partir, ce qu'ils ont refusé. Comme ce bâtiment était prévu à la démolition, on a décidé de la surseoir le temps que la justice fasse son œuvre, et d'ailleurs, ça a pris un peu plus de temps". En effet, les personnes concernées ont sollicité "un délai supplémentaire via son avocat auprès de la justice, qui a naturellement fait droit à cette demande, de manière à ce qu'ils puissent présenter leurs arguments".

Finalement, la décision a été rendue en faveur de la SIP pour une "occupation illégale, et surtout une occupation très problématique au niveau de la sécurité". La SIP note que pour pénétrer dans l'immeuble, dont les accès avaient été fermés, "les personnes se sont introduites par une fenêtre à l'étage dans le bâtiment dans lequel on avait naturellement coupé l'eau, l'électricité et où les sanitaires ne fonctionnaient plus".

La seule chose qu’a demandé la SIP, c’est le respect du droit. La décision d’avoir le concours de la force public, c’est la justice qui le demande, c’est contresigné par la Préfecture. Tout ce qu’on a fait, c’est signifier aux squatteurs, au collectif, la décision de justice.

Société Immobilière Picarde

"Nous ne sommes que témoins, pas acteurs"

Tous ces paramètres posent "deux problèmes majeurs" : l'absence de logement décent et la responsabilité du bailleur en cas d'accident à l'intérieur du bâtiment. "Il n'y a pas d'électricité, vous pouvez avoir des chutes, des blessés et comme ce bâtiment était fermé et pas accessible, les secours n'auraient absolument pas été en mesure d'intervenir dans des délais compatibles avec le fait de ne pas mettre en danger la vie de la personne concernée". Autre problème qu'avance le bailleur : l'amiante qui circule dans les logements après le retrait des sanitaires et des revêtements : "avant, l'amiante était enfermé derrière des carrelages, maintenant, il est à l'air libre".

Dès lors qu'une procédure a été respectée et que la justice s'est prononcée, "que la réquisition des forces publiques a été faite dans les règles et signée par la préfecture, donc que le droit a été respecté de toutes les parties, à ce moment-là, nous comprenons que l'expulsion se fasse, même si nous n'en sommes que des témoins et pas des acteurs". La SIP affirme avoir prévenu en amont les personnes qui squattaient le bâtiment : "la seule chose qu'ils ignoraient, c’est à quel moment les forces de police allaient intervenir, nous non plus on ne savait pas", jusqu'au matin même.

La SIP précise que leur combat quotidien réside dans le logement pour tous et le logement décent pour tous. "Nous n'avons rien contre ces personnes, contre le collectif. Nous comprenons parfaitement que nous puissions ne pas être d'accord que des personnes puissent défendre une vision alternative de la société et nous disons aussi que nous devons agir en responsabilité".

"Le désir politique de s'organiser de manière autonome, de réquisitionner des logements"

Pour Serge et les personnes qui vivaient dans le squat, "vivre dedans, ça a du sens pour nous, c'est une réflexion sur l'habitat, le loyer et sur le phénomène de la spéculation immobilière et de la gentrification". Il rappelle notamment que le bâtiment duquel ils se sont fait expulser est une zone "où il y a un projet de construction de l'annexe de la BNF (Bibliothèque nationale de France). Ils rasent ces bâtiments-là pour construire les logements et augmenter les loyers". C'est notamment dans cette optique qu'ils organisaient "des distributions alimentaires pour les gens du quartier deux fois par semaine", ajoute Serge.

Il y a également la question de la précarité, mais aussi "le désir politique de s'organiser de manière autonome, de réquisitionner des logements", dont certains appartiennent à des multipropriétaires. Serge note que le bâtiment qu'ils occupaient a vu ses locataires être "expulsés à partir de 2021, et ça a couru jusqu’à cette année, au mois de juillet, il y avait encore quelqu'un dans le bâtiment qui y payait son loyer". Parmi les personnes qui ont été délogées, "elles ont systématiquement été relogées dans des logements à loyer plus cher. Il y a une continuité dans la répression, les locataires pauvres et ensuite les squatteurs".

Pour le moment, Serge a réussi à trouver où se loger "pour quelques jours", mais ne sait pas combien de temps cela va durer pour lui. Sa situation est "très précaire et très dans l'urgence, et il y a un moment où je vais me retrouver très vite à la rue".

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