PORTRAIT. "Je suis un pur produit des quartiers" : Ouissam Hattab, d'enfant dyslexique à entrepreneur dans le textile, l'homme qui s'accroche à ses rêves

À 37 ans, l'Amiénois Ouissam Hattab a traversé bien des épreuves personnelles, mais son parcours fracturé ne l'a jamais empêché de croire en ses passions. Aujourd'hui, ce boxeur et créateur textile, est un homme en paix avec lui-même, qui s'exprime sereinement sur son histoire de vie.

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"Je suis un pur produit d'Amiens Nord, un gosse des quartiers, et j'en suis fier", affirme d'emblée Ouissam Hattab. Issu d'une famille de cinq enfants, son père, cardiaque, est en invalidité. "Il s'est beaucoup occupé de moi, j'ai toujours été proche de lui. Il cuisinait, faisait le ménage et m'a élevé dans le respect des valeurs, des femmes, du foyer. Ce n'est pas parce qu'il passait la serpillière que ce n'était pas un homme, un vrai."

"Maman, c'était wonder woman : pour nous faire vivre, eu égard à l'état de santé de papa, elle a exercé deux métiers, dont celui de couturière. Grâce à elle, on vivait simplement, mais on avait tout ce dont un enfant a besoin". Une enfance heureuse, affirme Ouissam Hattab, simple, mais heureuse, ponctuée par des séjours de deux mois chaque été, dans la maison familiale au Maroc. "Nous avons été élevés dans le culte de la valeur travail", complète le jeune entrepreneur.

"J'ai fait de la boxe pour briller sur un ring"

Mais Ouissam est dyslexique, et durant toute sa scolarité, sans suivi véritable, il connaît de sérieuses difficultés de lecture et d'écriture. "Alors je me suis caché derrière la tchatche et à l'âge de 9 ans, j'ai commencé à pratiquer la boxe anglaise".

Une sorte de continuité familiale : son père et son grand frère sont, ou ont été eux-mêmes, pratiquants de boxe. Une discipline sportive qu'il continue toujours aujourd'hui, à raison de deux entraînements par semaine. "Ce sport m'a appris la rigueur, le courage ainsi qu'à canaliser mon énergie, à rester serein face aux provocations. Ça m'a beaucoup servi dans la vie".

Ouissam Hattab lors d'un combat de boxe au Coliseum d'Amiens en mai 2024. Une discipline exigeante qui l'a beaucoup aidé lors des périodes difficiles. © Akim Abderrahmane

À 15 ans, le créateur de la marque Hattab 1949, intègre un CAP carrosserie au lycée Delambre à Amiens. "Ce n'était pas un choix de ma part. J'étais déjà attiré par la création textile et la vente". Puis il poursuivra jusqu’à obtention, à l'âge de 19 ans, d'un BEP vente au lycée professionnel Peltier à Ham dans la Somme.

Les années noires d'un jeune homme déboussolé

Le 17 avril 2005, alors que Ouissam sort vainqueur d'un combat de boxe à Guise, dans l'Aisne, Hoummad Hattab, son père, venu l'accompagner, s'effondre, terrassé par une crise cardiaque. Il a 57 ans. "Il est mort dans mes bras. En un instant, j'ai basculé dans le monde adulte. Recueillir le dernier souffle de son père, ça change un homme. C'est moi qui ai dû annoncer cette terrible nouvelle à mes grands frères."

J'ai commencé à faire des bêtises. Surtout à partir de mes 22 ans. Et je suis passé par la case prison.

Ouissam Hattab

À partir de cet instant, Ouissam l'admet lui-même, "j'ai commencé à faire des bêtises. Surtout à partir de mes 22 ans. Et je suis passé par la case prison". Trois mois de détention, à la maison d'arrêt de Beauvais, dans l'Oise. "C'est une vieille prison, nous étions six dans une cellule de neuf mètres carrés. On se met en mode caméléon pour survivre".

Une expérience éprouvante pour le jeune homme, confronté à des détenus aux peines lourdes. "Certains étaient là pour vingt ans. Quand on est enfermé 23 heures sur 24 dans ce qu'on peut qualifier de cage, nécessairement, on gamberge, on se ramollit, on prend du poids".

Pour s'évader un peu, au moins par la pensée, Ouissam Hattab s'accroche à ses rêves et dessine des t-shirts. "Mes rêves, voilà ce qui m'a fait tenir. Et ma famille aussi, leur amour. Je refusais que ma mère et ma sœur viennent me rendre visite dans cet univers, mais elles m'ont soutenu durant toute cette période."

C'est en s'accrochant à ses rêves que l'Amiénois Ouissam Hattab a réussi à se sauver lui-même. Ici, en plein travail pour un 'drop', ou 'capsule' : dans le jargon textile, une collection flash de quelques mois. © Akim Abderrahmane

Le temps de la maturité et de l'apaisement

Dès sa sortie, en 2011, Ouissam se lance à corps perdu dans le travail pour se réinsérer au plus vite. Il a décidé de devenir entrepreneur dans le textile et de lancer sa propre marque de vêtements. Alors il enchaîne les stages dans les organismes de formation. "Je visite des entreprises textiles, des fournisseurs, pour m'imprégner du métier et je mets au point ma marque. Ce sera Hattab 1949, du nom de mon père et de sa date de naissance. Et je choisis un logo : un gorille surmonté d'une couronne".

Créer sa propre ligne de vêtements : un rêve que Ouissam Hattab porte en lui depuis vingt ans. Et le défi est en passe de devenir un vrai succès. © Akim Abderrahmane

Ce gorille incarne, aux yeux de Ouissam, la force, le caractère et le sens de la famille. "L'idée m'est venue en regardant un documentaire animalier : on y voyait un papa gorille faire traverser un par un les membres de sa famille sur une route fréquentée par les voitures. Cette scène m'a marqué et j’ai immédiatement opté pour cet animal pour incarner ma marque".

En parallèle, Ouissam ouvre une boutique d'impression textile au centre d'Amiens et se lance dans la rédaction d'un livre : Sur le ring de ma vie aux éditions Les Soleils Bleus, qui paraît en 2018. Et Ouissam de s'amuser : " j'en ai vendu au moins une centaine d'exemplaires !".

En 2018, l'Amiénois Ouissam Hattab a écrit un livre sur son parcours de vie, marqué par la mort, sous ses yeux, de son père, lors d'un combat de boxe qu'il vient de gagner. © Akim Abderrahmane

Et aujourd'hui ? "Aujourd'hui, j'ai un rayon dédié aux Galeries Lafayette à Amiens. Vous imaginez, moi, le gamin des quartiers nord, dyslexique ? Je suis très fier bien sûr. Je ne vais pas le cacher."

La marque au gorille de Ouissam Hattab séduit tous les âges et l'entrepreneur amiénois a doublé son chiffre d'affaires en quelques mois l'an passé. Une ligne de vêtement vendue essentiellement en ligne. Et celui qui a reçu en novembre dernier un "Profil de la Réussite", décerné par la ville d'Amiens, conclut ainsi : "j'ai la joie d'être papa d'un petit garçon de 8 ans. Et j'espère bien lui transmettre le goût de la valeur travail et de l'effort, les conditions absolues pour que nos rêves se concrétisent".

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