500 personnalités ont lancé un appel au "lundi vert", s'engageant à ne plus consommer de viande ni de poisson chaque lundi. Parmi eux, trois maîtres de conférence en philosophie de l'Université de Picardie Jules Verne. Entretien avec l'un d'eux, Christophe Al-Saleh, vegan depuis sept ans.
Pourquoi avez-vous signé cet appel ?Cela fait déjà sept ans que je ne consomme plus du tout de produits d'origine animale, et pas uniquement dans mon alimentation, cela concerne aussi l'habillement. Et il est important que les universitaires s'adressent aux non-universitaires. Je considère que la recherche et les réflexions pointues, c'est bien, mais ça ne sert à rien si ce n'est pas diffusé. Et c'est un appel modéré, qui n'appelle pas à arrêter entièrement la consommation de ces produits : manger un peu moins de viande, c'est déjà bien. On peut y aller progressivement.
Arrêter la viande, c'est toucher à notre rapport à la nourriture... Ça ne risque pas de bouleverser nos codes culturels ?
Bien sûr, la nourriture chez nous, c'est fondamental. Ça touche à la convivialité, aux souvenirs. Dans le cercle familial par exemple, avec les repas du dimanche, ça introduit une rupture. Ce n'est pas évident de demander à tout le monde d'accepter cette rupture. Certains renoncent au végétarisme car les repas en France sont centrés autour de la viande : les repas de famille ou entre amis, les barbecues, ce sont parfois des causes de renonciation. Il ne faut pas négliger cette importance de la culture et du vivre-ensemble. Donc d'après moi, c'est aux végétariens et aux vegans de proposer de la nourriture sans origine animale, mais conviviale, attractive, savoureuse, et d'avoir une position pédagogique par rapport à ceux qui consomment de la viande. Être agressif, ça ne sert à rien.
La prise de conscience autour de la consommation de la viande, c'est très récent ?
Ce n'est pas si nouveau. Ça remonte à l'Antiquité, on retrouve très tôt des textes sur la sensibilité animale, avec Sénèque notamment. L'idée de ces textes à l'époque, est de prendre en compte le fait que les animaux ne sont pas des machines, ont une sensibilité et à ce titre méritent des égards. Les pythagoriciens, par exemple, s'abstenaient de manger de la viande, et Platon était issu de cette école. En Orient, cela existe depuis des siècles pour des raisons religieuses, mais chez Pythagore, il s'agit réellement d'une prise de conscience de la sensibilité de l'animal.
Ensuite, le mouvement pour la libération animale, lui, est apparu dans les années 70, et a récemment pris de l'ampleur à cause des révélations sur l'abattage, ou l'élevage de masse. D'autant que les recherches scientifiques montrent que la consommation excessive de viande peut être mauvaise pour la santé.
Qu'est-ce que ça dit sur notre société, en termes philosophiques ?
En philosophie, on appelle ça l'élargissement du cercle moral. Au départ, on ne sent concerné que par les siens. On s'intéresse à sa famille et à ses proches. Et le rapport à l'humanité est assez abstrait, puisqu'on n'est pas en relation avec le reste de l'humanité en dehors de ses proches. Au fil du temps, l'humanité a évolué en élargissant ce cercle moral. Aujourd'hui, on est tout à fait capables d'intégrer que d'atteindre l'intégrité d'un humain, quel qu'il soit, c'est mal. Nous sommes désormais dans une phase où on intègre les animaux à ce cercle moral.
Et puis le rapport à la nature évolue : on s'aperçoit qu'elle n'est pas juste un moyen pour l'humain, un moyen dont il peut disposer à sa guise sans courir à sa perte. Alors rendre service à la nature, c'est sauver l'humain. Tout le monde a conscience qu'il y a un problème sur la planète avec les extinctions d'espèces. L'humain est en train de redéfinir sa place sur cette planète, et il est temps car l'heure est grave ! On repense notre rapport à notre environnement, et par conséquent, aux autres humains : apprendre à bien traiter les animaux, ça amène aussi à être plus respectueux envers ses semblables.
Il y a donc un aspect moral, et l'argument un peu plus égoïste de se sauver soi-même ?
Se sauver soi-même, mais aussi les générations futures ! Pour la première fois, on sait qu'on va leur léguer une situation qui est pire que celle qu'on connaît actuellement. Depuis le début du XXème siècle, on avait en tête qu'on laisserait à nos enfants quelque chose de certes difficile, mais de meilleur. Depuis une dizaine d'années, on sait que ce sera pire pour eux, mais on se demande même si on va pouvoir leur laisser un monde vivable.
L'appel au lundi vert a également été signé par deux autres universitaires d'Amiens, Jean-Luc guichet et Lorenzo Vinciguerra. Retrouvez la liste complète des signataires ici.