Après la finalisation de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur le vendredi 6 décembre 2024, des agriculteurs et élus des Hauts-de-France s'inquiètent. Baisse des prix, normes sanitaires, pesticides... La liste des interrogations est longue.
Les négociations sur un projet d'accord entre l'Union européenne et le Mercosur ont été finalisées ce vendredi 6 décembre 2024 à Montevideo, en Uruguay. Cette nouvelle survient malgré l'opposition de la France et du secteur agricole.
Les agriculteurs des Hauts-de-France ne dissimulent pas leur colère et leurs inquiétudes. C'est le cas de Guillaume Lavaquerie, exploitant agricole à Beaumont-Hamel, dans la Somme. "On se retrouve assignés à un accord avec des pays de l'autre bout du monde qui n'ont pas les mêmes normes de production qu'on a en France, en Europe", déplore-t-il.
Pour lui, "à partir du moment où on importe des produits qui ne sont pas tracés et avec l'obligation de respecter des normes comme on a chez nous", il s'agit d'une concurrence déloyale.
"Ils utilisent des produits et des pesticides interdits en France"
Guillaume Lavaquerie rappelle que les pays du Mercosur "utilisent des produits et des pesticides" interdits en France. La viande est produite à l'aide "des hormones, des antibiotiques". Il souligne que "de grosses sociétés produisent énormément de bovins" dans des conditions trop différentes.
De plus, "on n'est pas du tout sur les mêmes coûts de production, ça vient concurrencer une viande produite localement". La peur de la baisse des prix de production en France est d'ailleurs bien présente pour lui et certains de ses collègues.
Même s'il produit de la viande qui part en vente directe, à travers les cantines scolaires, la restauration, les magasins spécialisés ou encore les particuliers, l'inquiétude est bel et bien là. "Je vais être forcément moins touché, je pense, par rapport à la vente du produit. Après, si le prix de la viande vient à descendre, même la viande de qualité va perdre de la valeur. C'est toujours l'offre et la demande."
"Énormément de produits sont interdits en France"
Du point de vue des pesticides, "énormément de produits sont interdits en France, mais sont autorisés dans certains pays européens". Donc il existe déjà une concurrence intracommunautaire. "Alors, derrière, on sait très bien que dans ces pays d'Amérique du Sud, ils ont le droit à beaucoup de choses qui nous sont interdites", souligne-t-il.
Pour Bertrand Roucou, aviculteur de Briquemesnil-Floxicourt (Somme), la classe politique savait "que c'était fait" et n'a pas mis les moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs, c'est-à-dire la souveraineté alimentaire : "ils en parlent tout le temps, mais ils ne font rien".
Il pointe également du doigt l'impact écologique que représente l'importation de viande, comme le poulet, depuis le Brésil, par exemple, à l'heure "où on parle du zéro carbone". La qualité des produits n'est pas garantie à ses yeux, notamment du côté des normes sanitaires. Il se dit prêt, ironiquement, à "faire du poulet aux hormones", si les consommateurs le demandent. "Mais on a une certaine éthique derrière l'élevage" en France.
"Une grande provocation de la part d'Ursula Von Der Leyen"
Julien Dive, député de la deuxième circonscription de l'Aisne, voit dans cette proclamation d'accord "une grande provocation" de la part de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen. "Elle sait très bien qu'aujourd'hui, la France s'oppose à cette question de l'accord de traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur. La France est le fer de lance de cette opposition".
Depuis quelques semaines, le pays mène d'ailleurs des négociations pour rallier une "minorité de blocage" à ce texte, qui doit rassembler "quatre pays minimum qui représentent 35% de la population européenne".
L'Assemblée nationale s’est prononcée de manière quasi-unanime contre ce traité de libre-échange. L’ensemble de la classe politique y était opposé. C’est au moment où il n'y a plus de gouvernement qu’elle profite de la faiblesse de la France pour valider ce traité, c’est du pur cynisme.
Julien Dive, député de la 2e circonscription de l'Aisne
Il rappelle que plusieurs filières sont concernées par ce traité de libre-échange. D'abord, la filière de la viande bovine, "qui est déjà une filière très fragile, où il y a à la fois une crise structurelle et conjoncturelle". Ensuite, celle de la volaille, où "on sait qu'on est très concurrencé". En effet, aujourd'hui, en France, "70% du poulet que vous consommez dans un restaurant, en dehors de votre domicile, est importé".
Enfin, la troisième filière concernée, propre aux Hauts-de-France, est celle de la betterave à sucre. "Dans le traité qui est discuté, il y a l'équivalent d'une sucrerie, 200 000 tonnes de sucres importés au sein de l'Union européenne, donc évidemment que ce traité fait craindre et peser de lourdes menaces sur l'agriculture française", poursuit-il.
"Des mois ou des années" avant une ratification
Selon lui, Ursula Von Der Leyen a profité de la "faiblesse de la France" après la motion de censure et l'effondrement du gouvernement Barnier pour valider les négociations et les contours du traité de libre-échange, "même si son déplacement était prévu".
Malgré cela, "tout n'est pas mort" puisqu'il faudra "des mois ou des années" avant une ratification des États membres de l'Union européenne. "On a encore tout ce temps-là pour continuer, dès qu'on aura un gouvernement avec un ministre de l'Agriculture, des affaires européennes et un Premier ministre". Il faudra donc continuer de "mobiliser sur cette question".
C’est une belle déclaration d’intention, mais pour éviter ça et pour s’assurer que c’est bien respecté, il faudra recruter des armées de douaniers pour contrôler chaque denrée qui va rentrer sur le marché européen. On sait très bien que ce n'est pas faisable.
Julien Dive, député de la 2e circonscription de l'Aisneà propos de la synthèse de l’accord qui précise que les standards ne seront pas moindres pour l'importation de nourriture
Car si aucune mobilisation n'a lieu, notamment à travers cette minorité de blocage, "on ne pourra pas interdire ce type d'implantation, c'est là où est la menace, c'est là où nous crions de manière très vigilante et très forte", explique le député.
"Nous, ce qu'on souhaite, c'est de préserver l'agriculture, les assiettes de nos concitoyens et de ne pas importer des denrées alimentaires qu'on ne veut pas sur notre territoire parce qu'ils ne respectent pas les normes de production qu'on établit en France, que ce soit sur l'élevage ou la production végétale", conclut-il.
Avec Naïm Moniolle / FTV