Grève à Saint-Frères Enduction : une revalorisation des salaires obtenue, mais la question de la santé des ouvriers demeure

Les ouvriers de l'usine Saint-Frères Enduction sont en grève depuis jeudi 16 janvier, après l'échec des négociations salariales annuelles. Le premier dialogue organisé vendredi avec la direction française de l'usine n'ayant pas débouché sur un compromis, ce mardi un représentant de la direction est venu sur place pour tenter de trouver un accord. Les syndicats ont obtenu quelques-unes de leurs revendications, le travail reprend dans un climat mitigé.

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Serrés autour des braseros pour résister au froid, les ouvriers de l'usine Saint-Frère Enduction tiennent leur piquet de grève pour la cinquième journée consécutive, dans la matinée du 21 janvier. La production est à l'arrêt, d'après les syndicats, la totalité des 80 ouvriers a cessé le travail. Sur la grille de l'usine, une banderole réclame un partage plus juste de la valeur.

C'est en effet l'échec récent des négociations salariales annuelles qui a mis le feu aux poudres dans l'usine. La direction a proposé aux syndicats une revalorisation des salaires de 2,5 %. "Nous avons prévenu la direction que si nous descendions dans l'atelier avec cette offre-là, ça n'allait pas bien se passer, se souvient Emmanuel Brailly, délégué CGT et membre du CSE de l'usine. On ne parlait pas de grève à ce moment-là, mais on a dit qu'il y avait un risque et en effet, les salariés ont pris eux-mêmes la décision de débrayer. On en a marre que ce soit en pourcentage, ce sont toujours les mêmes qui s'engraissent et les plus bas salaires prennent le moins."

La direction belge du groupe est venue rencontrer les syndicalistes en fin de matinée : après plusieurs heures de bras-de-fer, les ouvriers mobilisés ont voté la reprise du travail. Ils ont obtenu quelques-unes de leurs revendications, mais des concessions bien en deçà de leurs attentes sur d'autres points.

Rupture du dialogue

Les syndicalistes défendent une revalorisation plus juste pour les petits salaires : 50 centimes en plus sur le taux horaire. Après le déclenchement de la grève, ils ont rencontré une première fois la direction de l'usine pour défendre cette proposition.

"Ce qu'on aurait voulu faire, c'est une année sur deux : 50 centimes cette année et l'année prochaine on partait en pourcentage pour que les cadres aient aussi une augmentation significative sur leurs salaires. Ça a été refusé d'entrée de jeu", souligne Philippe Varin, délégué du syndicat majoritaire dans l'usine, FO, et secrétaire du CSE de l'entreprise.

Les ouvriers de l'usine Saint-Frères Enduction réclament une revalorisation des salaires équitable pour les plus bas revenus : quelques centimes en plus pour le taux horaire, plutôt qu'une augmentation en pourcentage du salaire. © Guillaume Destombes / FTV

Face au refus de leur direction, les syndicalistes font alors évoluer leurs revendications. "Là, on demande un euro de l'heure, la prime de douche pour l'ensemble du personnel, une prime de 1 000 € et le paiement des heures de grève, expliquait Philippe Varin, samedi 18 janvier. Ça fait six mois qu'on évite la grève, là, les salariés en ont assez(...). C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. On aurait eu les 50 centimes, ce serait peut-être passé, mais là, les salariés en ont vraiment marre."

Si la coupe est pleine à l'usine, c'est surtout en raison des conditions de travail, dénoncées par les ouvriers depuis plusieurs années.

Des fumées qui inquiètent

Sur les téléphones portables des ouvriers, les images prises dans l'usine sont atterrantes. Par peur des représailles, ils ne les fourniront pas à notre équipe, mais acceptent de les montrer. Sur de gigantesques machines, des dizaines de mètres de toiles sont enduits de revêtements. Grâce à ce traitement, elles peuvent être utilisées pour construire des bâtiments, par exemple des parvis d'aéroports ou des couvertures de tribunes de stades.

Mais le procédé dégage de la fumée. Beaucoup de fumée. Blanche, dense, elle s'accumule et descend progressivement dans l'atelier. Vincent Ledru, 25 ans d'ancienneté, est aux premières loges de ce processus.

"Beaucoup de personnes sont gênées. Ce sont des maux de tête, des yeux qui piquent, des grattements de gorge, etc. Nous avons alerté la direction, qui n'arrête pas de dire qu'ils vont régler le problème, ils font des projets, mais pas grand-chose n'avance. Une cabine a été installée sur un poste, ça fonctionne bien, mais il reste tous les autres postes."

Personne n'est venu nous demander pourquoi on faisait ce droit de retrait.

Peter Klak

Ouvrier de Saint-Frères Enduction

À plusieurs reprises, les ouvriers ont exercé leur droit de retrait quand les conditions devenaient trop insupportables. "On s'arrête une heure pour évacuer la fumée, ensuite, on reprend l'activité pour que la production continue, mais on sait très bien qu'une heure après, on est toujours enfumés, résume Peter Klak, qui travaille au contrôle qualité de l'atelier. C'est surtout pour montrer l'impact, appuyer sur ce problème pour qu'il soit résolu. Mais personne n'est venu nous demander pourquoi on faisait ce droit de retrait. Pourtant, ils le savent puisque le droit d'arrêt est entré sur l'ordinateur pour la production."

En plus d'alerter, les ouvriers ont filmé les conditions de travail pour aider leurs dirigeants à comprendre le phénomène. Des analyses ont été faites, mais pour les ouvriers, elles n'apportent pas de réponses suffisantes. "Il y a beaucoup de problèmes de santé au niveau de l'entreprise et on se demande si ce n'est pas ça qui les crée", souligne Peter Klak.

La santé en question

Depuis qu'il travaille dans cette zone de l'usine, Peter Klak a développé de l'asthme. "On finit notre weekend, le lundi matin, on est pris de la gorge, on n'est pas bien. Lundi, mardi, mercredi, il faut que je prenne de la Ventoline systématiquement, au moins deux fois par jour, sinon ça ne va pas", constate-t-il.

La médecine du travail lui a conseillé de changer de secteur, mais l'entreprise peine à lui trouver un remplaçant pour ce poste qualifié où il travaille le week-end. Plusieurs inspections des services de l'État auraient eu lieu dans l'atelier en question, comme le souligne l'un des ouvriers présents sur le piquet : "ils ont eu la DREAL sur le dos et l'inspection du travail les a mis en demeure, ça devrait suivre, mais il serait temps de faire quelque chose, car le personnel en a marre."

Beaucoup sont inquiets pour leur santé. Les cadres n'ont pas l'air de s'en soucier.

Philippe Varin

Délégué FO et secrétaire du CSE de Saint-Frères Enduction

Une des raisons du ras-le-bol est l'inertie que dénoncent plusieurs grévistes. "Les gars bossent dans l'atelier sans masque. Une commande a dû être faite, mais pour le moment, il n'y a pas de masques, constate Philippe Varin. Ce sont des masques Jupiter qui coûtent 2 500 €, mais on n'a pas de date. Quand on pose des questions au CSE, CSSCT, en réunion, ce sont des dates approximatives, c'est flou, on nous dit 'c'est en signature', il y a toujours quelque chose et on ne voit pas d'évolution. Beaucoup sont inquiets pour leur santé. Les cadres n'ont pas l'air de s'en soucier."

"Les conditions de travail sont de plus en plus difficiles à Saint-Frères. Que ce soit au niveau communication, hiérarchie, conditions avec les fumées, c'est de pire en pire, renchérit Emmanuel Brailly. Ça fait six ans que je suis délégué syndical, depuis la première année, on a mis un point d'honneur à faire que cette question des fumées soit résolue par la direction. Actuellement, on est toujours au point mort."

Compromis et négociations

Si ces ouvriers ont continué à travailler malgré la peur pour leur santé, c'est qu'ils tiennent à leurs emplois. En visite sur le piquet de grève, le député Picardie Debout ! de cette circonscription, François Ruffin, souligne la violence de cette situation.

"Lorsque les pompiers sont venus, ils ont dit aux salariés 'ici, vous êtes enfumés comme des renards'. L'inspection du travail voulait fermer tout un secteur, le vernissage, qui aurait interdit aux autres salariés de travailler. C'est le syndicat qui a dit 'ne fermez pas ça, on veut travailler', rappelle l'élu. Donc, il y a eu de grandes concessions qui ont été faites par les salariés sur leurs conditions de travail et là, on vient leur refuser une petite augmentation alors que l'entreprise, que l'actionnaire, se porte très bien."

La question des salaires a mis le feu aux poudres, mais les ouvriers dénoncent aussi leurs conditions de travail dans l'atelier, ils craignent pour leur santé. © Guillaume Destombes / FTV

De nombreux politiques sont passés soutenir les grévistes, notamment la députée LFI-NFP de la deuxième circonscription de la Somme Zahia Hamdane, le député RN de la troisième circonscription Matthias Renault, le maire PCF de Flixecourt Patrick Gaillard et son prédécesseur, maintenant conseiller départemental, René Lognon.

Un bilan en demi-teinte

Mardi 21 décembre, le n°2 du groupe SIOEN qui possède l'usine, Arne Autekeete, est venu de Belgique rencontrer les grévistes. Les discussions ont débuté à 11 heures et demie. Elles devaient durer une heure, finalement, à 15h30, la rencontre se terminait à peine. Des concessions ont été faites des deux côtés.

Les représentants syndicaux ont réussi à obtenir leur principale demande initiale : le taux horaire sera revalorisé de 50 centimes pour l'ensemble des salariés. La prime de 1 000 € a finalement été réduite à 300 €. Les primes de douche et de passation de consigne n'ont pas été accordées, les jours de grève ne seront pas payés.

Les votes sont mitigés lorsque les syndicalistes demandent aux ouvriers s'ils veulent reprendre le travail ou continuer le mouvement. Finalement, c'est le redémarrage du travail qui l'emporte. Les hommes et les machines devraient reprendre du service en début de soirée.

On est un peu dépités, mais on va reprendre le travail, on n'a pas le choix, il faut vivre

Philippe Varin

Délégué FO et secrétaire du CSE de Saint-Frères Enduction

"On a eu un petit quelque-chose, mais franchement, on s'attendait à avoir un peu plus, c'est comme ça, déplore l'un des ouvriers grévistes, déçu par ces négociations. On va reprendre le boulot mais pas motivés. On ne s'attendait pas à ça, la direction aurait pu faire un geste."

"On est un peu dépités, mais on va reprendre le travail, on n'a pas le choix, il faut vivre, constate Philippe Varin, soulignant que l'équipe week-end a eu une grosse perte de salaire. (...) La direction s'engage à avoir plus de transparence.

La question des conditions de travail ne peut en effet pas être réglée en une après-midi. Les représentants syndicaux promettent toutefois de continuer cette lutte de longue haleine et d'être particulièrement vigilants sur ce point, pour obtenir plus de transparence de la part de leur direction. Cette dernière a refusé de répondre à nos questions.

D'après les représentants syndicaux, elle s'est engagée à réunir les équipes tous les trois mois pour expliquer les projets en cours. La direction n'aurait pour l'instant aucune solution au problème des fumées. "Il faut que cette année, ce soit réglé, il est hors de question de continuer comme ça", conclut le délégué FO. Si rien n'est fait, il l'assure, le syndicat ira au tribunal pour accélérer la cadence. 

Avec Camille Di Crescenzo / FTV

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