Jérome Crépin est avocat pénaliste à Abbeville depuis 29 ans, bien connu des salles d’audience pour son franc-parler et sa verve théâtrale. Ne croyez pas que c’est de la comédie car dans la vie il est exactement pareil. Celui qui aurait fait sa vie en mer est finalement passé au barreau.
La première fois que j’ai croisé Jérôme Crépin c’était dans les tribunes du centre omnisports d’Abbeville. Je couvrais alors un match de hand féminin quand mon attention s’est portée à plusieurs reprises sur un supporter particulièrement déchaîné. Au point que je me suis intéressé à ce phénomène en pensant que ce n’était qu’un simple supporter venu encourager son équipe préférée. Un collègue journaliste me glisse que c’est Jérôme Crépin le célèbre avocat...
Ici, je semblais être le seul intrigué par autant d’énergie. Tout le monde devait être coutumier de le voir crier, encourager, chanter pendant l’heure complète de match avec autant de maquillage sur le visage qu’un supporter de l’équipe de france un soir de finale de coupe de monde. Jérôme est un personnage atypique, amoureux de sa ville, de son métier, de sport et de sa famille. Il me reçoit au téléphone entre deux rendez-vous d’avril en plein confinement...
Plus attiré par les copains de bateau que par les premiers de la classe
Jérôme Crépin est un pur produit abbevillois. Il y est né le 24 septembre 1964, à quelques mètres de son étude qu’il occupe actuellement avec Delphine son épouse et associée. Son enfance, il la passe au Crotoy, le village de pêcheurs au cœur de la baie de Somme. Son grand-père y était cordonnier, son arrière-grand-mère boulangère, et son arrière-arrière-grand-mère charpentière de bateau.
En tant que Titi-Crotellois, il garde des souvenirs de gamin toujours les pieds sur l’eau avec ses copains fils de pêcheurs. "On était des mômes de la Libération et de la Résistance. Il ne pouvait rien nous arriver. En tant que fils d’enseignant, j’étais plus attiré par les copains de bateau que les premiers de la classe."
D’ailleurs, il n’était pas vraiment mauvais élève mais plutôt dissipé, très très bavard, impertinent et insolent. Quand on connaît le personnage maintenant on esquisse forcément un sourire... "Quand tout le monde est parti en seconde, moi je suis parti à l'école hôtelière du Touquet. Aujourd’hui je me dis que je ne voulais pas faire comme les autres. Je n'aimais pas plus que ça la cuisine mais pourquoi pas... Et puis les jolies jeunes filles en tenue de serveuse m’ont conforté dans ce choix. Mais au bout d’un an j’ai arrêté car passer des bateaux à la cravate de l’école ça n’allait pas."
Retour au lycée Boucher de Perthes, on est en septembre 1980. Bac G (gestion) avec de super notes en français. C’est cette aisance qui le décide à se lancer dans le droit. Et le destin lui donnera raison car son parcours d’étudiant sera brillant. Il prête serment le 22 janvier 1990. "Ça fait partie de ces dates qu’on retient. J’allais enfin pouvoir aller à la bagarre. Quand j’étais en stage je ne pouvais pas m’empêcher de me sauver pour aller respirer quelques minutes le parfum des assises".
Combattre seul contre tous
L’idée de combattre seul contre tous était ancrée au fond de lui depuis longtemps. "Déjà quand gamin on m’avait accusé à tort d’avoir volé une trousse... Et puis surtout après avoir entendu le célèbre chroniqueur judiciaire Frédéric Potcher raconter comment Robert Badinter avait sauvé de la guillotine la tête de Patrick Henry. J’étais en 4e et à jamais marqué par ce que je venais d’entendre."
Depuis mai 1992, le voilà donc installé à Abbeville avec un carnet de rendez-vous qui se remplit facilement. En 1996, il s’associe avec Delphine sa deuxième épouse et avocate elle aussi. Hortense naît de leur union et fait de Jérôme un père pour la troisième fois. Il avait déjà deux filles d’un premier mariage. Hortense Crépin que vous pouvez d’ailleurs entendre à la présentations des journaux matinaux du week-end sur RTL.
Je suis très clan. trois enfants, deux petits-enfants, tout le monde s’entend à merveille et ça c’est ma plus grande fierté.
Dans les salles d’audience Jérôme sait aussi se faire remarquer. Par son éloquence. Mais aussi avec une certaine manière d’expliquer les choses. Les démonstrations qui surprennent sont toujours les plus marquantes. Et surtout, il sait se nourrir de maîtres en la matière. Comme Jean Bouli ou Jean-Yves Liénard, des pères spirituels...
Exemple de ces leçons avec une anecdote qu’il me raconte concernant une affaire de meurtre : "Emile Pollak (1914-1978) est l’avocat d’un homme accusé du meurtre de son voisin à coups de couteau. Toute la vie de cet homme aura été de supporter les moqueries quotidiennes de son voisin le matin au moment de partir travailler. Jusqu’au jour où, le couteau vient clore cette histoire de harcèlement. Aux assises de Marseille, Pollak commence sa plaidoirie avec ces mots :
"Monsieur le Président, madame le Procureur, mesdames et messieurs les jurés..."
"Monsieur le Président, madame le Procureur, mesdames et messieurs les jurés... "
"Monsieur le Président, madame le Procureur, mesdames et messieurs les jurés..."
Et cela pendant 10 minutes... Jusqu’au moment ou le président fini par l’interrompre excédé par cette répétition insolente. Pollak : "Monsieur le President, il vous a fallu 10 minutes pour vous énerver contre moi, imaginez ce que mon client a ressenti au bout de 10 ans !"
Phénoménal !
Des plaidoieries inspirées
Jérôme se souvient aussi d’une de ses plaidoiries du même ordre, nous sommes à ses débuts en 2000.
"J’étais partie civile dans une affaire où un bébé de 18 mois avait été martyrisé et avait succombé sous les coups du concubin de sa mère. Je défendais le père biologique de cette enfant. La petite fille a subi tout ce qu’un enfant pouvait subir de pire. L’homme lui aurait donné sept coups de pieds alors qu’elle était dans son trotteur, jusqu’à en mourir. Le jour du procès j’ai pris le trotteur avec moi et je lui ai donné 7 coups de pieds pour montrer la violence réelle que cela représentait. Le jury était médusé. Choqué. Au delà d’avoir volé la vie d’un enfant, cet homme a aussi enlevé la chance d’être père au père biologique. À ce moment-là ma fille Hortense avait trois ans, je l’avais accompagnée au manège la veille et j’avais encore le ticket dans la poche. Dessus était marqué: "Au paradis des enfants", je l’ai déposé devant le juge en lui disant qu’au moins la place de la petite fille devait sûrement se trouver là." Imparable.
Il se souvient aussi de cette affaire sordide encore d’un infanticide sur un bébé de trois mois. Nous sommes à Compiègne avec un couple dans la misère sociale. Les seules sorties sont celles du samedi dans la galerie marchande de Venette. La mère s’absente, le père garde le bébé. Pleurs et énervements, le père finit par secouer son enfant. Hémorragie cérébrale, décès immédiat.
Jérôme défend le père qui ne reconnaît rien. Il est paralysé par la tristesse et le remord. Le jour du procès il ne vient pas car il est cloué à la tombe de son enfant. L’affaire se complique et Jérôme plaide finalement à l’envers. Il parle en son nom après s’être longuement entretenu avec son client dont il avait perçu la détresse psychologique. Il dit au jury tout ce qu’il voulait entendre et tout ce que l’homme n’aurait jamais osé avouer. Mettre des mots sur des maux ça fonctionne. La peine de son client est passé de 14 ans à 7 ans.
"Je ne défends pas une cause mais un humain"
Alors me vient cette question que nous sommes nombreux à nous poser. Comment peut-on défendre un homme qui a commis de tels actes ?
"Ah ça cette question normalement elle arrive entre le fromage et le dessert. Je ne défends pas une cause mais un humain avec ses forces et ses faiblesses. C’est pas juste le défendre dans ses actes, c’est surtout comprendre pourquoi et comment il en est arrivé là."
Pour comprendre la personnalité de Jérôme il faut aussi prendre la mesure de son engagement pour le sport. D’abord l’OM pour qui il ferait n’importe quoi. C’est lui qui a créé la première section des Ultras dans le Nord. Pas peu fier...
Et puis la bicyclette, entre 5000 et 7000 km par an. "Mon idole c’est Bernard Hinault. J’adorais son côté "m’emmerdez pas..." dans une volonté de tous les instants. Il avait du talent, c’est à dire ce mélange entre des qualités réelles et du courage. Je me souviens d’une soirée passée avec lui grâce à Henri Sannier, croyez-le ou non mais on a parlé de tout sauf de vélo."
Jérôme Crépin, l’homme qui se voyait passer sa vie à la barre d’un bateau au large du Crotoy passera finalement sa vie professionnelle à la barre d’un autre navire, celui de la justice dans laquelle il a connu quelques tempêtes mais sans aucun naufrage.