C'est un lieu bien connu des passionnés d'histoire. À Pozières, le Tommy, un restaurant-musée, a enrichi ses collections, avec des armes de la Grande Guerre cédées par le propriétaire d'un musée nordiste. Dirigé par Dominique Zanardi depuis plus de cinquante ans, l'endroit est un véritable sanctuaire érigé à la mémoire des millions de soldats morts sur les champs de bataille de la Somme.
C'est un endroit singulier à l'ambiance pourtant conviviale. À Pozières dans la Somme, on ne sait pas très bien si le Tommy est un restaurant-musée ou un musée-restaurant.
Entièrement dédié à la Grande Guerre, il est en tout cas une halte obligée pour les touristes britanniques venus arpenter les sentiers de la mémoire et pour les passionnés de 14/18.
Un hommage aux combattants
À l’extérieur, une tranchée d’une ampleur surprenante a été reconstituée avec force de réalisme. À l’intérieur, les armes d'époque et les canons s’entassent entre les tables. Dans ce sanctuaire qu'il ne faudrait pas confondre avec un bric-à-brac, on croise aussi des fantômes. Soldats de tous pays fauchés par la mitraille durant la difficile bataille de la Somme, leurs photos ornent les murs. Dominique Zanardi, le propriétaire des lieux, voyage à leur côté depuis cinquante ans. "Ici, c'est l'histoire des hommes. Chaque objet a été en contact avec des jeunes soldats. Les gourdes que vous voyez ont touché leurs lèvres. Il y a l'ADN de ces soldats sur tous les objets qui traînent ici. Il y a leur âme ici", s'émeut-il.
Le musée-restaurant évolue au gré des acquisitions. Dernière en date, une rareté : une arbalète lance-grenade conçue en 1915 à Imphy dans la Nièvre. Sur les 1 500 exemplaires construits, il n'en resterait que deux selon Dominique Zanardi : celle exposée dans son musée et une au musée des Armées aux Invalides.
Simple d'utilisation, facile et peu coûteux à fabriquer, cette arme pouvait envoyer une grenade jusqu'à 120 m : "sur le côté, il y a un tableau de tir qui indique la distance à laquelle on veut tirer la grenade. On choisit la distance avec ce curseur, situé sur le corps central de l’arbalète, et on tend les ressorts avec une crémaillère à pédalier, montre-t-il. Pour envoyer la grenade, il y a une gâchette. C’est une arme qui a été très efficace. Après 1915, elle va être abandonnée parce qu’on a inventé des mortiers beaucoup plus efficaces. C’est très moyenâgeux comme arme ! Quand on voit qu’en face, les Allemands avaient déjà les Minenwerfer qui sont beaucoup plus efficaces, nous, les Français, on essayait de combler les trous !"
Des pièces rares et méconnues
Les Minenwerfer font justement partie des nouveautés que le propriétaire du Tommy a acquises récemment : deux de ces pièces d'artillerie allemande lui ont été cédées par le propriétaire d'un musée du Nord. Ces mortiers de tranchée de 100 kg étaient capables de détruire un abri construit à six mètres sous terre. Pour être transportés, ils nécessitaient quatre hommes et un matériel spécifique : la civière à mines.
Le canon, également exposé au Tommy, pèse 1,2 tonne. Pour Dominique, ce qu'il considère comme "l'arme de tranchée la plus puissante que les Allemands ont inventée pendant la Première Guerre mondiale" a une importance historique méconnue : utilisés contre les offensives alliées, les Minenwerfer contribuèrent à briser l’assaut anglais du 1er juillet 1916, au début de la bataille de la Somme. "Ils peuvent être utilisés de deux façons : la fusée va venir percuter la cible, des abris qui sont à 5/6 m de profondeur et créer un trou d’obus de 6 m de profondeur sur 20 m de circonférence. Ou alors, on peut régler la fusée différemment pour que l’obus explose à hauteur d’homme. Et dans cet obus, il y a 100 kg d'explosifs. Ce qui veut dire que 100 m par 100 m, il n'y a plus rien qui vit. On n'a pas besoin d'être touché pour mourir. Le souffle de l'explosion suffit à tuer. La cadence de tir, c’est 20 coups à l’heure. Mais 20 coups, c’est 20 fois 100 m² qui sont nettoyés. Avec une portée maximale de 960 m. C’est un tir très court, pour détruire les tranchées de première ligne", explique le passionné.
Dominique n'oublie jamais les hommes pris dans le tourbillon de cette folie guerrière et leur histoire. Comme celle du lieutenant allemand Hans Killian qui dirigea les premiers tirs de Minenwerfer en France.
Derrière l'Histoire, des hommes
C'était contre une compagnie de chasseurs alpins, au Vieil-Armand dans les Vosges, en décembre 1915. "Le lieutenant Killian a un destin. Pendant la Première Guerre mondiale, il va pulvériser des soldats et après la guerre, il va devenir chirurgien. Il va réparer les gens. C'est phénoménal comme destin !"
Phénoménal aussi que le destin de Dominique Zanardi. Lui, dont la passion pour 14-18 est née quand il avait 14 ans et qu'il fouillait les champs à la recherche de métal. Du métal qu'il revendait pour se payer les plus belles mobylettes du lycée. Son histoire a touché le sculpteur Thierry Drommelle qui a façonné un soldat avec des matériaux que Dominique lui avait confiés. Un Digger fait d’obus et de fusils accueille désormais les visiteurs.
"Cet acier est chargé. Quand on le travaille, c’est très particulier. Il renvoie beaucoup d’énergie, explique l'artiste. En réalisant ces sculptures, ça me permet de faire œuvre de mémoire. Le défi pour faire ces sculptures, c’est de ne pas utiliser du métal qui ne vienne pas d’un champ de bataille. Par exemple, ce sont des canons de fusils qui m’ont servi à faire les doigts. Le visage, c’est une pelle. C’est un hommage aux combattants, quelle que soit leur nationalité. Parce qu’ils étaient tous faits de la même matière. Un hommage à cette génération qui n’avait que 20 ans."
Si vous passez sur la ligne de front de la bataille de la Somme, arrêtez-vous au Tommy à Pozières. Entrez dans cet endroit singulier à l'ambiance pourtant conviviale. Et Laissez le propriétaire des lieux vous raconter des histoires de fantômes, celles de ces soldats de tous pays fauchés par la mitraille et dont l'âme a enfin trouvé un refuge.