C'est un projet colossal : le consortium FertigHy projette de construire une immense usine d'engrais azotés dans l'est de la Somme. Si les matières utilisées provoquent des inquiétudes sur la sécurité et l'impact environnemental du site, les porteurs du projet se veulent rassurants. Les concertations publiques commencent le 3 décembre et se poursuivront jusqu'au 30 janvier.
500 000 tonnes d'engrais produites chaque année, 20 hectares de site industriel Seveso seuil haut, un investissement de plus d'un milliard d'euros, 250 emplois directs : le projet FertigHy collectionne les superlatifs. Son objectif est de créer une immense usine de production d'engrais à Languevoisin-Quiquery, qui est pour l'instant un paisible village de moins de deux cents habitants au sud de Nesle.
Le projet devait initialement s'installer en Espagne, mais le consortium d'investisseurs industriels qui porte le projet a préféré ce site de la Somme, notamment en raison de la facilité de raccordement au réseau électrique haute tension. Car de l'électricité, il en faudra beaucoup pour produire cet engrais.
Autres avantages du petit village : les 20 hectares nécessaires sont disponibles et le canal du nord, puis le futur canal Seine-nord Europe faciliteront l'approvisionnement de certaines matières. La Picardie étant une zone de grandes cultures, des débouchés pour l'engrais pourront être trouvés au niveau local, si son prix s'avère suffisamment compétitif.
De Verdun aux grandes cultures : l'épopée du nitrate d'ammonium
L'engrais azoté, dont l'usine FertigHy prévoit de produire 500 000 tonnes par an, c'est du nitrate d'ammonium calcaire ou "CAN 27", pour les connaisseurs. Son histoire prend racine dans un triste épisode. À l'issue de la Première Guerre mondiale, certains observateurs se rendent compte que les sites lourdement bombardés, comme Verdun, se couvrent d'une végétation exceptionnelle. Le responsable, c'est le nitrate d'ammonium, une substance produite en mélangeant de l'ammoniac et de l'acide nitrique et utilisé comme explosif sur les champs de bataille.
Cette substance est en effet riche en azote, or l'azote stimule la croissance des plantes. L'agriculture intensive est progressivement devenue la plus grande consommatrice de nitrate d'ammonium, sous forme d'engrais appelés ammonitrates. La France est le deuxième pays au monde qui en utilise le plus dans ses champs, après la Turquie.
Chaque année, 1,5 million de tonnes d'ammonitrates haut dosage sont utilisées en France en moyenne, ainsi qu'un million de tonnes d'ammonitrates moyen dosage. Une grande partie de cette matière est importée, notamment depuis la Russie et le Moyen-Orient. L'objectif affiché de FertigHy est donc d'améliorer la souveraineté européenne sur la production de cet engrais.
La première catégorie d'ammonitrates, appelée "haut dosage" en raison de la forte concentration de nitrate d'ammonium qu'elle contient, s'est rendue tristement célèbre avec les explosions de l'usine AZF de Toulouse ou plus récemment, celle de Beyrouth. Si la substance est aujourd'hui utilisée comme engrais, elle reste en effet explosive dans certaines conditions, la plupart des accidents ayant lieu lors de son transport. En 2022, les rapporteurs du Sénat travaillant sur la question soulignaient le manque de données et de suivi concernant son stockage sur les exploitations agricoles et sa manutention par voie fluviale.
Mais la substance que FertigHy envisage de produire, c'est du nitrate d'ammonium calcaire qui rentre dans la catégorie "moyen dosage". Le taux de nitrate d'ammonium dans ce produit est moindre et l'ajout de roches calcaires le stabilise. Il n'est plus considéré comme explosif.
Cependant, son site de production sera tout de même classé Seveso seuil haut : le niveau maximal de sécurité industrielle lié à un risque important. Le projet FertigHy prévoit en effet de rassembler tout le procédé industriel de fabrication sur le site. L'usine produira donc de l'hydrogène et de l'ammoniac en grandes quantités, puis du nitrate d'ammonium, sous une forme hautement concentrée, avant qu'il ne soit mélangé à la roche calcaire.
Les sites Seveso dans la Somme
Pour l'heure, il y a huit sites Seveso seuil haut implantés dans le département. La plupart sont concentrés sur la zone industrielle d'Amiens nord, mais l'un d'entre eux est déjà présent à Nesle : il s'agit du site Ajinomoto Foods Europe, qui produit des acides aminés à partir de sous-produits de l'industrie agroalimentaire. FertigHy deviendrait donc le neuvième site de ce type dans la Somme.
Un site est classé Seveso seuil haut s'il présente un risque technologique majeur, c'est-à-dire si les conséquences d'un accident sur ce site peuvent potentiellement s'avérer désastreuses pour les riverains et l'environnement. Ces sites font l'objet d'une étude de danger, qui recense tous les risques liés à son exploitation et un plan de gestion est ensuite établi pour réduire ces risques au maximum. Ils sont régulièrement inspectés par les services de l'État.
L'implantation de ce site, sur 20 hectares, inquiète donc certains élus locaux. "J'ai des réunions internes avec des maires qui veulent me voir à ce sujet et je les reçois, nous n'allons pas faire n'importe quoi" rassure José Rioja, président de la communauté de communes de l'est de la Somme et fervent défenseur du projet. Il souligne qu'un classement Seveso implique de hautes exigences de sécurité.
Soit, mais il est aussi possible de constater qu'une fois un site Seveso construit, les visites d'inspection peuvent révéler de graves manquements à ces obligations de sécurité. En 2023, une inspection du site Metex à Amiens a ainsi mené à une mise en demeure de l'entreprise, car le site n'avait pas établi de plan d'inspection de la tuyauterie où circule l'acide chlorhydrique. En avril de la même année, une fuite mène au déversement d'azote ammoniacal dans la rivière Somme. Selon la qualité de leur gestion, les sites Seveso peuvent donc avoir des impacts importants sur l'environnement.
Eau, électricité et autorisation environnementale
Le projet FertigHy sera également une installation classée au titre de l'environnement. Il fera donc l'objet d'une étude d'impact qui pourra donner lieu à son autorisation environnementale. Cela permettra peut-être de lever certaines questions qui demeurent, notamment au niveau de l'approvisionnement en eau, qui n'est pas évoqué dans les documents de communication du projet.
L'usine prévoit en effet un procédé de production de l'hydrogène innovant. L'hydrogène est nécessaire pour produire l'ammoniac qui compose l'engrais azoté. Au lieu d'être extrait du gaz naturel, comme cela est souvent le cas, l'hydrogène de cette usine sera produit à partir de l'électrolyse de l'eau : une machine utilisera de l'électricité pour séparer l'hydrogène et l'oxygène qui constituent l'eau. Ce procédé n'émet pas directement de dioxyde de carbone, c'est ce qui permet aux porteurs du projet de qualifier l'engrais qu'ils produiront de "bas-carbone". Ce procédé nécessite par contre de très grandes quantités d'eau et d'électricité.
"L'énergie électrique va être une très grande partie de notre matière première", souligne ainsi Axel de Bienassis, directeur du développement de FertigHy. Il prévoit que cette électricité sera issue d'énergies renouvelables achetées à RTE et d'énergie nucléaire, donc, des énergies qui ne participent pas directement à l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Ce qui contribue, avec l'acheminement de la roche calcaire par voie fluviale, à cette dénomination "bas-carbone" dont les porteurs du projet font un argument de vente.
Après une première réunion relative au raccordement du site au réseau électrique haute-tension le 28 novembre, l'heure est maintenant aux études et aux concertations. La demande d'autorisation environnementale devrait être déposée en mai 2025. La décision finale d'investissement interviendra à la fin de l'année 2026 selon les résultats des différentes demandes d'autorisation. Si les investisseurs choisissent de continuer, le chantier démarrera en 2027.
Les concertations publiques sont ouvertes
Mais avant tout cela, un cycle de concertation publique commence le 3 décembre avec une première réunion prévue à la Nouvelle scène de Nesle, à 18 heures. Une rencontre lieu le lendemain, 4 décembre, à la médiathèque de Ham entre 14 heures et 16 heures. Une réunion sur la prévention des risques est prévue le 18 décembre à Nesles à 18 heures, toujours à la Nouvelle scène, suivie le lendemain d'une autre rencontre à l'Auchan de cette commune entre 10 heures et midi.
Un atelier sur les enjeux environnementaux est prévu à la salle polyvalente d'Ercheu le 8 janvier à 18 heures, un autre sur l'emploi, le 16 janvier à 18 heures à la salle Jean Dufeux de Ham. Ce cycle sera clôturé le 30 janvier à 18 heures par une réunion publique de synthèse. Aucun événement n'est prévu directement dans la commune du projet, Languevoisin-Quiquery.
"Il faut rassurer la population sur ce qui va être fait. La campagne qui commence, j'invite tous ceux qui sont intéressés à participer, il faut absolument que les gens participent" souligne toutefois José Rioja, président de la communauté de communes.
Pour participer aux réunions, ateliers et consulter l'intégralité du programme, il faut aller sur le site https://www.concertation-projet-fertighy.fr. Il était cependant inaccessible à l'heure de la rédaction de cet article. L'enquête publique, quant à elle, se tiendra du mois de mai 2025 au mois de février 2026.