La violence s'invite de plus en plus souvent dans le sport. Et les Hauts-de-France n'y échappent pas. Rares sont les matchs de foot, de rugby ou même de basket lors desquels il n'y a pas des accrochages. Il arrive également parfois que cette violence s'exerce de la part des entraîneurs sur les joueurs. Des comportements à l'opposé des valeurs que les instances sportives veulent véhiculer, mais de plus en plus difficiles à enrayer.
Vendredi 20 décembre, les vacances de Noël devront attendre. Insultes, bagarres, crachats... Comme chaque semaine, le programme de la commission de discipline du district de football de la Somme est chargé. Parmi les nombreux dossiers, celui qui oppose un joueur de 17 ans du club de L'Étoile et un dirigeant de celui de Crécy, par ailleurs arbitre assistant. Tous deux s'accusent mutuellement d'insultes lors d'une rencontre entre les deux équipes trois semaines plus tôt.
Un début de saison catastrophique
Les deux parties expliquent leur version de l'affaire aux membres de la commission qui n'hésitent pas à poser des questions et à repréciser les règles. Après deux heures d'auditions, la commission statue. Elle s'appuie sur les témoignages et le barème disciplinaire de la fédération française de football.
Il y a de plus en plus de faits de violences des joueurs et de comportements déviants de la part des supporters. Et puis, il y a aussi les comportements des parents qui sont de plus en plus insupportables.
Aurélien Hamel, président de la commission de discipline du district de football de la Somme
Considéré comme seul responsable, l'arbitre assistant de Crécy est suspendu pour douze matchs fermes et six avec sursis. La sanction, lourde, met fin à sa saison. Mais pas à la soirée de la commission qui va se prolonger encore quelques heures. "Il est 22h42. Depuis 17h, on a traité ça, explique Aurélien Hamel, le président de la commission en nous montrant deux dossiers. Il nous en reste trois. Et il y a une dizaine de dossiers qui ont été traités avant les auditions. C'est un chiffre exceptionnellement faible par rapport à tout ce qui a pu se passer depuis le début de saison. Il n'y a pas beaucoup de dossiers ce soir. Parce que cette saison, c'est une catastrophe. Il y a de plus en plus de faits de violences des joueurs et de comportements déviants de la part des supporters. Et puis, il y a aussi les comportements des parents qui sont de plus en plus insupportables. Ce qui nous a amenés à faire un week-end sans foot."
C'était les 9, 10 et 11 novembre dernier : aucun match de district, aucun plateau, aucun entraînement n'a été autorisé dans la Somme. Le District avait voulu marquer les esprits face à une situation jamais vue : deux mois après le début de la saison, dix-sept dossiers avaient déjà été instruits contre seulement huit la saison passée.
Rappeler constamment les règles
Plus effrayant encore : toutes les catégories, des U9 aux vétérans, sont concernées par des comportements déviants. Pour le président du District, par ailleurs pilote "incivilités" à la Ligue des Hauts-de-France, il fallait réagir et agir. "Ce week-end sans football a peut-être éveillé les consciences parce qu'on sent que, depuis, il y a un ralentissement des faits graves et importants. Mais il y a toujours des faits graves et importants qui se produisent sur nos terrains", constate Pascal Tranquille.
Chacun doit rester à sa place : l'éducateur doit éduquer et les parents, encourager et accompagner.
Rémi Savejvong, responsable de la formation à l'ASBO
Comment endiguer cette violence ? Par le rappel des règles du jeu, du respect de l'autre, dès le plus jeune âge. C'est le travail patient et constant des éducateurs dans les clubs, parfois entravé par les agissements toxiques de certains parents. Xavier Leroux est le papa de Théophile qui joue en U9 au club de foot de Beauvais. Il a été témoin de comportements inadaptés de la part de parents de joueurs : "ils mettent la pression aux enfants. Et ça se traduit par des enfants qui s’énervent ou qui mettent des coups. Il y a même des parents qui entrent sur le terrain pour mettre la pression aux éducateurs. Ça, oui, on l’a déjà vu dans des tournois où il n’y a même pas d’enjeu si ce n’est le plaisir des enfants", déplore-t-il.
Alors, désormais, à l'entraînement, pas un cri perturbateur n'est toléré. Seuls les éducateurs ont la parole. Une règle instituée par Rémi Savejvong, le responsable de la formation du club. "Il y a déjà l'éducateur qui donne des conseils, explique cet ancien joueur professionnel. À partir de là, il faut que les parents restent à leur place. Chacun doit rester à sa place : l'éducateur doit éduquer et les parents, encourager et accompagner. Mais il ne faut pas qu’ils crient après les enfants. Il ne faut pas qu’ils les perturbent."
Dans la même logique, le District de l'Oise vient d'éditer un guide des parents pour les catégories du Football Éducatif. Le document rappelle les bonnes pratiques sur et autour des terrains.
Les sentinelles du patinage
Il n'y a pas que le foot qui est confronté à la violence. Derrière la grâce et l'élégance, le patinage français vit une révolution. En 2020, les révélations de l'ancienne championne Sarah Abitbol, victime de violences sexuelles, libèrent la parole. Ce séisme ébranle la fédération française des sports de glace aujourd'hui engagée dans une lutte contre toutes les formes de violences. "Il peut y avoir des violences entre patineurs dans les vestiaires ou sur la glace. Il y a des fois où ils peuvent être méchants entre eux, reconnaît Faustine Van den Hove, l'entraîneuse principale du club Amiens Patinage. Les violences entraîneur-patineur, ça arrive souvent. L'inverse est plus rare mais ça peut arriver. Et puis des violences entre entraîneurs."
Notre rôle, c'est de développer ce réseau de sentinelles dans les clubs, d'être vigilant et de travailler sur la gestion des problématiques.
Marie-Pierre Deneuville, sentinelle de la ligue de patinage des Hauts-de-France
Au club d'Amiens, de nouvelles habitudes apaisent les tensions. Les parents ne peuvent assister aux entraînements que du 1er au 7 de chaque mois. Et les patineurs se soumettent à la "boitatel". "Les patineurs déposent leur téléphone dans cette boîte avant de rentrer dans les vestiaires. Ils se changent et montent sur glace, nous explique Faustine Van de Hove. Quand ils sortent de la glace, ils se changent à nouveau et viennent récupérer leur téléphone. On a mis en place ce système pour éviter d'avoir des problèmes dans les vestiaires en lien avec les réseaux sociaux, le droit à l'image, les vidéos qui circulent... Il n'y a pas de violences physiques mais ça peut être des attaques sur la vie personnelle. Et si certaines personnes ne désirent pas être sur les réseaux sociaux, il se peut que, dans les vestiaires, elles s'y retrouvent à leur insu."
Mais le grand changement en cours, c'est le programme national "Sentinelles". Depuis quelques semaines, Marie-Pierre Deneuville, est l'une des premières sentinelles de ligue formées spécifiquement à Paris. "Notre rôle, c'est de développer ce réseau de sentinelles dans les clubs, d'être vigilant et de travailler sur la gestion des problématiques au sein des clubs, précise celle qui est par ailleurs secrétaire du club. Et éventuellement de faire remonter les informations au niveau du comité 'Intégrité' ou vers des institutions puisque le ministère des Sports est doté d'une cellule dédiée aux violences dans le sport."
Quand les violences deviennent physiques
Si Marie-Pierre est sentinelle pour la ligue, le club Amiens patinage a sa propre sentinelle. Amélie est la maman de deux patineuses qui évoluent dans des niveaux différents. C'est à elle qu'incombe désormais la charge de repérer les cas de violence ou de recueillir les témoignages de victimes. Les cinq autres principaux clubs de la région, Compiègne, Beauvais, Valenciennes, Dunkerque et Wasquehal nommeront bientôt chacun leur sentinelle.
Pour le vice-président de la Ligue des Hauts-de-France, ces bénévoles ne remplacent pas les structures de lutte contre les violences dans le sport mais les complètent. "Ce système vient en relais, en complément pour détecter au plus près au plus vite pour éviter qu'il n'y ait un ancrage de la violence ou de mauvaises pratiques, indique Bruno Travail, et tenter la médiation pour traiter ça le plus localement et le plus rapidement possible."
Le coach adverse a traversé le groupe pour venir me mettre une série de coups de poing. Il m'en a mis une deuxième série quand je l'ai empêché de s'approcher de mes jeunes.
Benoît Venin, entraîneur de rugby au RCA
Retour sur un terrain, mais de rugby cette fois. Malgré le froid glacial, ils ne rateraient leur entraînement pour rien au monde. Plusieurs fois par semaine, les U19 du Racing club d'Amiénois répètent inlassablement les gestes techniques. Pour eux, le rugby est le plus beau des sports, un art de l'évitement joué par des gentlemen.
Pourtant, parfois, certains l'oublient. Leur coach Benoit Venin en fait l'amère expérience à l'automne 2023, à l'issue d'une rencontre dans le Nord. "Les jeunes adverses ont commencé à s'accrocher avec mes jeunes. Moi, je suis intervenu pour les séparer et repousser mes joueurs de notre côté pour qu'on finisse le match correctement. Et là, ça a commencé à déraper, se souvient-il. Il y a eu notamment le coach adverse qui a traversé le groupe pour venir me mettre une série de coups de poing. Il m'en a mis une deuxième série quand je l'ai empêché de s'approcher de mes jeunes."
Quand un entraîneur dérape, c'est tout le modèle du formateur qui vacille. Une réalité à peine atténuée par les sanctions disciplinaires. "Il y a eu des suspensions lourdes, notamment pour le coach, une amende financière pour le club et un retrait de points pour l'équipe, énumère Benoît Venin. Le plus choquant, c'est que ça vienne d'un éducateur. Le mot éducateur extrêmement important : on est les garants du cadre qu'on pose à nos jeunes. On doit aspirer à ce qu'ils deviennent meilleurs que nous. Et pour ça, c'est une vigilance de tous les instants. On ne peut pas se permettre ce genre de dérapage parce que quel message on leur envoie ? Il a touché un peu à l'image de notre travail. Moi, c'est mon métier, mais pour des milliers de personnes, c'est du bénévolat. Et je trouve que ce coach est venu piétiner et chiffonner le travail de ces gens qui s'investissent auprès de nos jeunes."
Fidèle à ses convictions, Benoît a préféré en tirer une bonne leçon pour ses joueurs. "Il faut insister sur le fait que ce n'est pas la norme. Que oui, c'est choquant. Oui, il faut le traiter et avec le plus de sérieux possible parce que le week-end d'après, il y a à nouveau un match de rugby, et le week-end suivant, il y a encore un match de rugby qui, ceux-là, vont bien se passer. Et que c'est le sport qui doit gagner", conclut-il.
À l'Étoile aussi, le sport gagne. Deux semaines après le triste match qui les avait conduits en commission de discipline, les U17 affrontent à nouveau les jeunes de Crécy. Un arbitre expérimenté et des équipes invitées à bien se tenir offrent un beau spectacle aux parents massés au bord du terrain. Finalement, ces jeunes nous montrent que la violence dans le sport n'est pas inéluctable. Mais le chemin est encore long pour en finir avec ce fléau.
Édité par Jennifer Alberts / FTV