Amiante, le préjudice d'anxiété reconnu : "à chaque contrôle médical on se dit, qu'est-ce qui va me tomber dessus ?! "

La Cour de Cassation a ouvert la voie à l'indemnisation du préjudice d'anxiété des salariés exposés à l'amiante. La décision rendue le 5 avril 2019 ouvre de nouvelles perspectives aux victimes de l'amiante. Explications

Tous les deux ans, au moment des contrôles médicaux, on se dit : qu'est-ce qui va nous tomber dessus ? J'ai encore un copain qui vient de déclarer un cancer de la plèvre, il a mon âge, explique Jackie Tarin, ancien salarié de Trefimetaux.

En 2014, le Haut Conseil de la Santé Publique estimait que l'amiante, interdite en 1997, pourrait encore tuer entre 68000 et 100000 personnes en France entre 2009 et 2050.

La Cour de cassation a ouvert la voie (vendredi 4 avril)  à l'indemnisation du préjudice d'anxiété pour tous les travailleurs exposés à l'amiante, sous certaines conditions qui laissent présager des débats complexes devant les tribunaux.

la Cour de cassation reconnaît que "le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements listés"

 

"faire payer ceux qui nous ont empoisonné pour faire des profits"

Pour Jean-Pierre Rocard, Président du collectif des victimes de l'Amiante de Trefimetaux, la décision de la Cour de Cassation est le fruit de plus de 25 ans de travail de toutes les associations de victimes en France. "C'est la juste concrétisation du préjudice amiante, explique-t-il, ça ouvre des perspectives. On a réglé le préjudice d'anxiété". 

Jackie Tarin a appris la nouvelle avec beaucoup de recul : "on a appris à ne pas sauter de joie". Ce qu'il veut désormais c'est "faire payer tous ceux qui nous ont empoisonné pour faire des profits" Lui, c'est aux patrons qu'il en veut : "Ils savaient. En 1972, ils savaient. Ca volait dans l'usine, même des gens des bureaux ont été touchés" dit-il. 
 Reportage J-Y Gélébart et F Levasseur 
Sont interviewés : Jean-Pierre Rocard Président du Collectif des Victimes  de l'Amiante de Tréfimétaux / Pierre Mouraret Maire de Dives-sur-Mer / Jackie Tarin
ex salarié Tréfimétaux

Qu'est-ce que ce préjudice d'anxiété reconnu au salarié ayant été exposés à l'amiante ?


Le "préjudice d'anxiété" permet l'indemnisation de personnes qui ne sont pas malades, mais qui s'inquiètent de pouvoir le devenir
à tout moment. 

"De nombreux salariés" dont l'angoisse de devenir malade ne pouvait être indemnisée jusqu'ici "ont pu être exposés à l'inhalation de poussières d'amiante dans des conditions de nature à compromettre gravement leur santé", a reconnu la haute juridiction. 

S'agissant de l'amiante, la Cour de cassation restreignait jusqu'ici ce mécanisme aux seuls salariés dont l'établissement est inscrit sur
des listes ouvrant droit à la "préretraite amiante" : les travailleurs de la transformation de l'amiante ou de la construction et de la réparation navale. Les salariés de Trefimetaux de Dives-sur-Mer se battent depuis 18 ans pour que leur entreprise soit classée en site amianté.

Est-ce que cette décision règle tous les problèmes à venir liés à l'amiante ?

Lors de l'audience, le 22 mars, l'avocat général avait préconisé ce revirement de jurisprudence. La Cour était saisie du cas d'un ancien salarié d'une centrale thermique d'EDF, qui demandait réparation pour avoir inhalé des fibres d'amiante entre 1973 et 1988.

Le 29 mars 2018, la cour d'appel de Paris avait résisté à la jurisprudence qui avait cours en accordant 10000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété à ce salarié d'EDF, qui ne figure pas sur les listes "préretraite amiante", et 107 de ses collègues. EDF s'était pourvu en cassation. 

La Cour de cassation a posé des conditions : le travailleur voulant être indemnisé devra justifier de son exposition à l'amiante, et l'employeur pourra s'exonérer s'il justifie avoir pris "toutes" les mesures de sécurité et de protection de la santé prévues par la réglementation.

Pour les associations, c'est "la fin d'une injustice"

Dans un communiqué, plusieurs syndicats et associations de victimes ont salué vendredi soir la fin d'une "injustice", une "étape essentielle" dans leur combat.

"On a gagné", s'est aussi réjoui Valentin Quadrone, retraité d'EDF et militant CGT, lui-même "malade de l'amiante". Le dossier de ses collègues d'EDF comporte "encore des risques", a-t-il reconnu, car devant les tribunaux il faudra "apporter la preuve de la faute de l'employeur et de l'exposition", et "l'entreprise va chercher à dire qu'elle a fait tout ce qu'il faut".
    
Manuela Grévy, avocate des salariés d'EDF, estime qu'il sera "très difficile" pour l'employeur de s'exonérer en établissant que les mesures prises protégeaient les salariés de l'amiante, matériau isolant très volatile.
    
Une position que ne partage pas l'avocate d'EDF, Anne Sevaux, qui se félicite que la Cour ait "posé des bornes" et anticipe des débats "très compliqués devant le juge du fond", au cas par cas.
    
De leur côté, l'Association des victimes de l'amiante et autres polluants (Ava) et le Comité anti-amiante Jussieu ont déploré "une règle qui livrera la décision finale à l'arbitraire des tribunaux".
  


    
    
 
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