Des éboulements de falaises, un rocher qui dévale près d'une habitation ou encore une route fissurée. Avec les fortes précipitations et le froid des dernières semaines, ces phénomènes s'accentuent sur le littoral normand. Selon les spécialistes, ils sont loin de s'arrêter.
"C'est tombé d'un seul coup, heureusement qu'il n'y avait personne sur le bord". Qu'ils soient témoins de la scène ou simplement curieux, les riverains sont nombreux à constater les conséquences de l’éboulement survenu ce samedi 1ᵉʳ février en fin d’après-midi à Port-en-Bessin (Calvados), au pied de la tour Vauban.
Les éboulements s'enchaînent
L'événement est impressionnant. Quelques pierres commencent à rouler, puis c'est tout un pan de la falaise qui s’écroule. Sonia Beaupré, une habitante de Port-en-Bessin, était aussi sur les lieux durant l'événement : "Le bruit et la projection des roches étaient troublants", nous confie cette dernière. La zone a été sécurisée par la municipalité et interdite au public jusqu'à nouvel ordre.
VIDÉO. L'impressionnant éboulement d'un pan de falaise sur le littoral normand à Port-en-Bessin, dans le Calvados, ce samedi 1ᵉʳ février 2025 en fin d'après-midi (crédits : Sonia Beaupré) pic.twitter.com/CaMh9stuwC
— France 3 Normandie (@f3normandie) February 1, 2025
Des falaises fragilisées, à cause notamment des conditions météorologiques. Avec les fortes pluies, le sol se gorge d'eau. Les écarts de températures importants, passant du gel au dégel, fragilisent la terre et avec la montée des eaux, des bouts de falaise s'écroulent : "En effet, les falaises ne font que reculer et ça évolue sous l'action de la mer, mais aussi du ruissellement, et aussi de la gravité qui attirent les abruptes comme les falaises", explique Stéphane Costa, géographe et professeur à l'université de Caen. Il ajoute :
Les fortes précipitations de ces dernières semaines sont venues davantage imbiber les matériaux rocheux. Et les coups de vent avec les différentes tempêtes ont fait que la mer a frappé fort contre les falaises.
Stéphane CostaGéographe et professeur à l'université de Caen
Un phénomène loin d'être inédit
Et le phénomène n'est pas inédit. Il se répète même un peu partout sur le littoral normand. Plus au nord, à Villerville, un affaissement de terrain s’est produit vendredi 31 janvier 2025, à proximité d’un chemin menant à la plage des Graves, à peine à quelques mètres de certaines maisons du village.
Le plan communal de sauvegarde a été activé : "Les dix mètres qui sont proches de cet affaissement de falaise nous inquiètent. Il y a quelques habitations qui sont immédiatement concernées. C'est surtout le cas d'une maison qui se trouve à 7 mètres de l'éboulement qui s'est produit", nous explique Michel Marescot, maire de Villerville.
Quant à la D513, la route départementale du littoral qui va de Trouville-sur-Mer à Honfleur, elle a subi, elle aussi, de nouvelles dégradations : "Ici, le problème se pose depuis déjà plusieurs années", lance l'édile. En effet, le tronçon de la D513 reliant Villerville à Trouville-sur-Mer est fermé depuis trois ans aux poids lourds. La route a également été totalement fermée plusieurs semaines au printemps dernier après un glissement de terrain et l'apparition d'une fissure d'environ 15 cm. Les riverains craignent une fermeture totale. Un projet de route rétro-littoral, soutenu par le Département du Calvados, est en cours de discussion.
Des habitations menacées ?
Un peu plus loin, cette fois, un rocher s'est décroché d'une falaise et a dévalé jusque dans la cour d'une maison de la rue Berthier-prolongée, à Trouville-sur-Mer. "J'étais dans ma maison, j'ai entendu un grand boom. J'ai constaté qu'un gros rocher avait atterri dans ma cour. Il s'est arrêté devant le garage", témoigne la propriétaire chez nos confrères de Ouest-France.
Estimé à une tonne, le rocher a fini sa course à l'arrière de la maison, près d'autres bouts de roches plus ou moins gros, tombés de la falaise ces dernières années. Dans l'attente du passage d'un expert, la mairie a pris un arrêté de mise en sécurité pour quatre maisons du secteur. Leurs habitants ont été priés de quitter les demeures, mais personne ne le souhaite.
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"La mairie nous demande de loger ailleurs, mais nous, on veut rester dans notre maison, plaide Pierre, un habitant d'une maison en haut de la falaise. Elle n'est pas fissurée, et pour nous, il n'y a aucun risque", poursuit celui qui a signé une décharge auprès de la municipalité pour éviter d'avoir à quitter les lieux précipitamment.
Le quartier est construit sur une ancienne carrière. Il y a une dizaine d'années, devant des effritements déjà constatés, le propriétaire d'une maison en haut de la falaise avait demandé l'installation d'un grillage de protection, "ça avait coûté 80 000 euros à la mairie", précise Pierre, qui explique que le pan de falaise décroché hier provient d'une zone non couverte pas le filet de protection.
Quelles solutions ?
Pour ce Trouvillais qui habite sur les hauteurs de la commune balnéaire depuis quinze ans, les intempéries et de nombreuses sources situées en amont de sa maison sont responsables de l'érosion de la falaise. Et ce n'est pas propre qu'au secteur où il vit : "Il y a plein de sources. De Trouville à Honfleur, ça bouge de partout. Pas très loin, on a le chemin de Callenville où il y a un ruissellement presque en continu".
Alors que faire contre l'érosion du littoral ? Y a-t-il une solution ? Pour Stéphane Costa : "Il n'y a pas pléthores de solutions. On ne peut pas lutter contre ce type de phénomène naturel ou l'empêcher".
Selon le géographe, il faut déplacer la population qui se trouve dans les zones à risques : "C'est la seule solution aujourd'hui. La nature mène sa vie et nous ne pouvons rien y changer. Par contre, on peut déménager les gens et les zones d'habitations. Mais bien sûr, c'est compliqué. C'est coûteux avec un enjeu de société, économique, financier et politique. Et il faut l'acceptation des personnes concernées".
L'érosion des côtes : "Un phénomène qui est loin de s'arrêter"
Selon ce dernier, il faudrait, dès à présent, se pencher sur cette problématique : "L'érosion des côtes, c'est un phénomène qui est loin de s'arrêter et on n’aura pas le choix à un moment. Alors, plus tôt on déplace la population concernée, moins ce sera fait dans la précipitation. Ça doit se faire avec les habitants, les élus et les acteurs publics et on sait que ça prend du temps".
Et pour le spécialiste, le phénomène est loin de s'arrêter. Il risque même de s'accentuer avec le réchauffement climatique : "C'est sûr qu'on sera moins affronté aux gels et dégels des rochers. Mais en hiver, les fortes précipitations continueront avec des minéraux qui continueront de s'imbiber. Et on sait que le niveau de la mer va monter. Alors oui, les éboulements et affaissement risquent de devenir de plus en plus importants en fonction de l'endroit du littoral normand".
En attendant d'imaginer tous ensemble le littoral de demain, voici le conseil de Stéphane Costa : "C'est tentant, mais durant les périodes de tempêtes, même faibles et durant l'hiver en général, il vaut mieux ne pas se balader près des falaises. C'est une mauvaise idée, ça peut être dangereux". En effet, le froid et les précipitations risquent d'être au rendez-vous durant encore plusieurs semaines.