En 2020, la France s’est fixé l’objectif ambitieux de réduire le gaspillage alimentaire de 50% en 2025 par rapport à 2015 dans les restaurants collectifs. La Normandie est-elle une bonne élève ? Zoom sur les initiatives qui fonctionnent dans notre région.
Direction Hérouville-Saint-Clair, près de Caen (Calvados). Dans la cuisine centrale de cette commune, Robert Jauneaux le responsable de la restauration collective et son équipe préparent 1 700 repas par jour.
"Nous livrons huit écoles, trois centres de loisirs et trois crèches", détaille Robert Jauneaux. "Il y a 10 ans quand nous avons commencé à travailler sur le gaspillage alimentaire, la moyenne était de 160 grammes jetés par jour et par enfant. Aujourd’hui, nous nous situons à 35 grammes" résume-t-il fièrement.
Se remettre en question
Cette réflexion n’a pas toujours été simple, reconnaît-il. "Quand nous avons mené les premières pesées, les agents ont été nombreux à se demander s'ils faisaient mal leur travail. 180 grammes qui partent à la poubelle chaque jour à la fin du repas d’un élève, il y a de quoi s'interroger."
Accompagnées par le REGAL, le Réseau pour Eviter le Gaspillage Alimentaire en Normandie, les équipes de la cuisine centrale d’Hérouville-Saint-Clair ont donc testé de nombreuses initiatives depuis 10 ans, de la préparation des repas jusqu’au service auprès des enfants.
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Anticiper la demande
Ici, les repas sont préparés en moyenne trois jours avant leur consommation. Anticiper le nombre de convives et les quantités est le maître mot pour réduire le gaspillage alimentaire à la source.
"Et tout le monde a un rôle à jouer, y compris les parents que nous responsabilisons, précise Robert Jauneaux. À chaque rentrée, lors de l'inscription à la cantine, nous demandons aux familles de remplir sur un portail informatique les jours de fréquentation et le régime alimentaire de leur enfant : avec ou sans viande, avec ou sans porc…"
Chaque école avertit également en amont des éventuelles sorties ou voyages scolaires tout au long de l'année.
Ensuite, comme l'explique Philippe Parrotin en charge de la préparation du quinoa aux petits légumes ce matin-là, "le logiciel nous informe du plan de production c’est-à-dire de la quantité à fournir pour chaque recette en fonction des absents et des présents. La pesée est au gramme près pour chaque établissement afin de ne pas gaspiller".
Car les règles de conservation sont drastiques : tout ce qui part de la cuisine centrale vers les écoles n'y revient jamais. Le nombre de portions livrées est donc ajusté le matin même en fonction des éventuels élèves malades.
Grâce à l'informatisation et à l'anticipation, Robert Jauneaux l'assure : "le réalisé est désormais bien plus proche du prévisionnel qu'avant : c'est autant de gaspillage alimentaire évité".
Voir le reportage de Grégory Thélu, Pierre Léonard et Jean-Baptiste Lepors. (Montage : Noémie Cuvelier) :

Accompagner les enfants lors du service
À 12h, la cloche retentit. Juste au-dessus de la cuisine centrale, les élèves de l'école Poppa-de-Valois terminent leur matinée. Direction la cantine.
Au menu pour commencer : soupe à la tomate. Robert Jauneaux décrypte pour nous tous les aménagements qui ont été mis en place au moment du service pour éviter le gâchis.
"Systématiquement, pour les entrées, nous proposons des formats de présentation différents. Ce midi, il y a les petits bols de soupe pour les petites faims et les plus garnis pour les grandes faims. On s'adapte à l'appétit et à l'humeur de l'enfant."
Même astuce de bon sens lors du service du plat. "Nous avons sensibilisé et formé les agents pour qu'ils soient toujours à l'écoute des élèves. Ils leur demandent donc la quantité qu'ils souhaitent. En général, nous leur servons une cuillère de légumes et nous les invitons à repasser s'ils ont encore faim. Chacun peut reprendre une fois de la viande et deux fois des légumes selon son appétit", détaille le responsable.
Et visiblement ça marche : Aïssatou, huit ans, raconte :
J'ai pris petite faim pour l'entrée parce qu'en fait, je n'aime pas trop la soupe. Mais je vais essayer de la boire quand même. Il faut être reconnaissant de ce qu'on nous donne car il y a des enfants qui n'ont pas à manger sur la terre.
Aïssatou, huit ans
Et Sofia, élève de CE2, d'ajouter : "c'est nous qu'il faut remplir, pas les poubelles".
Le pain, c'est à la fin
Moment souvent apprécié par les enfants, le service du pain a lui aussi fait peau neuve. Désormais c'est à la fin, juste avant de regagner sa table, et non plus au début au moment de prendre son plateau et ses couverts.
Une technique pour inciter chacun à doser la quantité en fonction de ce qu'il voit déjà sur son plateau.
Et pour sensibiliser encore davantage les écoliers : un "gâchimètre" a été installé au niveau de la table de tri sélectif. Une boîte transparente qui permet de visualiser le volume de pain jeté après chaque service.
L'éducation au goût
Ne serait-il pas alors plus simple pour les cuisiniers d'Hérouville-Saint-Clair de proposer systématiquement un jambon purée ou un steak frites pour s'assurer l'adhésion des élèves ?
Nous devons leurs proposer une alimentation diversifiée et des recettes nouvelles. Car nous avons pour mission de les éduquer au goût dans une cantine scolaire. Par contre, les enfants remplissent s'ils le souhaitent un questionnaire en fin de repas pour nous dire ce qu'ils ont apprécié. Si le plat n'a pas plu, nous ne renonçons pas à le présenter mais nous adaptons la recette.
Robert Jauneaux, responsable de la restauration collective à Hérouville-Saint-Clair
Et ce jour-là justement, les équipes d'Hérouville ont pris un risque en servant des flageolets. Résultat : pour les 250 repas servis, 3,2 kg de haricots ont fini à la poubelle.
Le responsable de production ne cache pas sa déception mais reste optimiste : "la prochaine fois, nous tenterons peut-être de mettre une sauce".
Le personnel au cœur de la démarche
Depuis 10 ans, au sein du REGAL Normandie, Nathalie Villermet accompagne la restauration collective dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. Elle souligne l'importance de l'engagement des équipes.
"Quand on a la chance d'avoir des structures qui veulent agir ou des décideurs qui portent le projet au sein des collectivités, on obtient des résultats à chaque fois, affirme la chargée de mission. Bien sûr que certains outils techniques ou de planification vont aider mais l'humain reste central. Les personnels de cantine qui accompagnent les enfants ont un rôle primordial : il faut les sensibiliser, les former mais aussi écouter ce qu'ils ont à dire car ils connaissent leurs convives."
Pour Nathalie Villermet, le plus simple reste d'avoir un cuisinier sur place au sein de l'établissement : "les goûts et les habitudes alimentaires ne sont pas identiques sur tout le territoire. Certains produits seront davantage prisés dans un quartier en particulier et pas dans un autre. Avoir un cuisinier sur place dans la cantine facilite donc la lutte contre le gaspillage alimentaire car celui qui prépare est en contact direct avec les élèves".
Souvent, ce qui fonctionne le mieux relève du bon sens, un peu comme à la maison.
Le lycée Marguerite-de-Navarre à Alençon vient de tester l'assiette unique avec de bons résultats. L'élève a une assiette pour tout son repas. Il doit donc avoir fini son entrée avant d'aller se servir le plat puis le fromage et le dessert. Il fait vraiment en fonction de sa faim.
Nathalie Villermet, animatrice REGAL Normandie
Un coût environnemental et économique
Pour le REGAL Normandie, l'objectif réaliste serait d'arriver à un maximum de 35 grammes de nourriture jetés par élève et par jour. C'est ce qu'obtient déjà la cuisine centrale d'Hérouville-Saint-Clair, qui pèse ses déchets tous les deux mois pendant une semaine.
Au niveau national, selon l'ADEME, en 2024, sur les 4 milliards de repas servis chaque années, les établissements scolaires ont jeté en moyenne 100 grammes par jour et par enfant.
Mais au-delà des restaurants collectifs, ce sont les ménages qui restent la principale source de gâchis. Selon l'ADEME, ils sont responsables de 40% du gaspillage alimentaire en France.
Outre son coût environnemental, le gaspillage alimentaire a aussi un coût économique. En 2024, chaque Français a jeté en moyenne 58 kg de déchets alimentaires. Cela représente 100 euros par an et par habitant.