"On se sent en échec et on ne peut en parler à personne" : Agriculteurs en détresse, le poids de la solitude

Quand les dettes s'accumulent et que les créanciers font le siège de la ferme, bien des agriculteurs s'isolent et se taisent. Par pudeur, par honte. L'association Solidarité Paysans tente de briser leur solitude en apportant un soutien moral. En Normandie, le nombre d'agriculteurs "accompagnés" est en forte augmentation. Les temps sont durs.

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Il est des jours où la ferme est bien lourde à porter. Sébastien le concède, il se sent "fatigué". À 40 ans, il se démène seul dans une exploitation de 140 hectares située près de Saint-Lô, avec des prairies, 25 hectares de cultures et un troupeau de 160 blondes d'Aquitaine.

Sébastien est seul pour conduire un troupeau de 160 bovins. © France Télévisions

Pour des raisons sur lesquelles il ne souhaite pas s'étendre, la ferme perd de l'argent. Sébastien n'a plus les moyens d'employer un ouvrier agricole pour le seconder. Le travail l'accapare donc sept jours sur sept : il faut bien nourrir les vaches. "Le courage, je le dois à mes bêtes, à l'élevage. Elles sont là elles n'y sont pour rien".

"Il était submergé"

Il pare toujours au plus pressé. Les vaches, les semis, les foins. Le temps et l'argent manquent pour réparer des gouttières qui fuient, pour entretenir les bâtiments qui vieillissent. Le soir, "après la journée de boulot", Sébastien doit affronter les factures, les courriers de relance de la banque, la comptabilité.

"Souvent, les gens soit seuls face à leurs difficultés" © France Télévisions

Un jour, il a eu l'impression "de ne plus être maître de la situation". Sébastien a appelé Solidarité Paysans. Cette association d'entraide est animée par des gens du métier, souvent des agriculteurs en retraite qui interviennent en binôme. Dominique Deglaire se souvient de la première visite à la ferme : "Il n'était pas bien. Il donnait l'impression d'être usé, submergé, perdu". 

"Souvent, les gens sont en détresse et personne ne vient à eux, sauf pour leur réclamer de l'argent", explique Didier Bouguillon, l'autre "accompagnant". Les visites sont régulières. Solidarité Paysans se donne d'abord pour mission de briser la solitude.

Le poids de la solitude

"Les gens sont seuls pour régler leurs problèmes. Sébastien, par exemple, a une vie à l'extérieur, mais il est tout seul face à ses difficultés", observe Didier Bouguillon.

Nous, on n'amène pas de solution. La solution, on essaye de la trouver ensemble. C'est important pour l'exploitant qu'on accompagne. Avec Solidarité Paysans, on n'est pas assisté, on est acteur.

Didier Bouguillon

Solidarité Paysans

Quand un agriculteur appelle l'association, c'est souvent parce qu'il est en proie à des soucis comptables et administratifs. Il peut aussi être confronté à des soucis de santé, à des problèmes familiaux, des conflits de succession. Ou un peu tout à la fois...

En 2024, Solidarité Paysans a apporté son soutien à 193 exploitants dans les départements de la Manche, de l'Orne et du Calvados, "dont 67 nouveaux, ce qui représente une hausse de 44% de nombre total d'accompagnements". 

"Malheureusement, en agriculture, quand on rencontre des difficultés, on se retrouve tout seul sur l'exploitation, raconte Hubert Poupion, non sans émotion. Il y a quelques années, il est passé par là. "On ne peut pas en parler aux voisins, on ne peut pas en parler à sa famille et on se sent en échec".

"Des idées noires" : le spectre du suicide

Son exploitation laitière, située près de Vire, a passé un cap très difficile. "Il y a eu la crise laitière, des sécheresses récurrentes. J'ai eu un sinistre sur un tracteur, j'avais la mise aux normes à faire. Je me suis retrouvé avec des emprunts un peu plus forts à rembourser et le prix du lait n'était pas au rendez-vous à cette époque. Financièrement, ça a coincé".

Hubert Poupion, producteur de lait près de Vire (Calvados) est bénévole et administrateur au sein de Solidarité Paysans. Il y a quelques années, l'association lui est venue en aide. © France Télévisions

"C'est une exploitation familiale qui venait de mes parents, de mes grands-parents. Cela représente beaucoup tout ça". Il marque un silence. Les souvenirs remontent, douloureux. "J'ai cogité. Dire que j'ai eu des idées noires, non, mais j'y ai un peu pensé quand même".

Quand la banque vous tanne un peu, quand les créanciers vous tannent, vous vous dites que ce ne sera pas possible de passer le cap.

Hubert Poupion

Agriculteur à Burcy (Calvados)

Le mot suicide n'est pas prononcé, mais il hante la profession. Dans une étude datée de 2021, la Mutualité Sociale Agricole souligne que "les assurés agricoles ont un risque plus élevé de décès par suicide que la population générale". La surmortalité concerne en premier lieu les éleveurs de bovins.

"On me tend la main, je me dois de la saisir"

Un jour, Hubert est tombé sur un article dans le journal qui évoquait le travail de l'association Solidarité Paysans. "Je les ai appelés et ça m'a sauvé, dit-il. On a mis cartes sur table avec la salariée de l'époque et les bénévoles. On a regardé ce qu'il était possible de faire et on a tenu compte de ce que je voulais. Je suis vraiment fier du chemin parcouru". Aujourd'hui, Hubert est bénévole au sein de l'association, pour rendre à d'autres un peu de ce soutien moral qu'il a reçu en son temps.

Sébatien, éleveur dans la Manche, est épaulé par deux bénévoles de l'association Solidarité Paysans. © France Télévisions

Quand il se sentait pris en étau, Sébastien n'ouvrait plus certaines enveloppes. Le courrier s'empilait. Aujourd'hui, tout est sur la table, les factures, des tableaux d'amortissement, des pièces comptables. "On me tend la main, je me dois de la saisir", dit-il.

"Cela va bientôt faire un an qu'on vient le voir mais les choses avancent", note Didier Bouguillon. Ensemble, ils ont tout épluché pour trouver des issues. "J'ai arrêté les taurillons, je me suis aperçu que je perdais de l'argent", explique Sébastien. Un prêt vient d'arriver à échéance, des dettes ont été échelonnées.  Le moral est encore fragile, mais "ça s'éclaircit. On n'a plus le droit de flancher".

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