Une "journée internationale du sport féminin" a été décrétée le 24 janvier pour promouvoir les sportives et éveiller les consciences. Mais pourquoi ne pas casser les stéréotypes tous les jours ? Et si ça commençait dès la cour de récré ?
La cour de récréation en dit long. Cet espace de jeu s'avère un formidable terrain d'observation sociologique. À tous les niveaux. À l'école, au collège et au lycée, les élèves s'approprient les lieux en fonction des âges, les 6ème d'un côté et les 3ème de l'autre par exemple, mais aussi en fonction du genre.
À votre avis, qui occupe le terrain de sport ?
Sans surprise, des garçons, ravis de jouer au ballon, pour se faire des copains et s'intégrer. Les filles, elles, ont bien du mal à trouver leur place.
Dans son enquête, " La cour de récréation à l'épreuve du genre", Emmanuelle Gilles, docteure en géographie à l'université de Caen, a constaté : "Garçons et filles se côtoient mais ne fréquentent pas les mêmes lieux : aux garçons les espaces de jeux collectifs, et aux filles les coins, les recoins, la marche".
La chercheuse s'est entretenue avec des chefs d'établissements, des surveillants et des élèves. "Les filles racontent leur exclusion des terrains sportifs, une exclusion parfois intériorisée puisque l’expression "ça ne m’intéresse pas" a été entendue à plusieurs reprises dans les entretiens.
Les jeunes filles sportives sont également marginalisées : "avant il y avait une fille qui faisait du basket mais personne ne lui passait la balle alors elle a arrêté", confient les élèves, "ils ne nous passent jamais la balle", "les surveillants privilégient les garçons, un surveillant dit aux filles de ne pas jouer parce qu’on est nulles."
Ces lieux de pratiques sportives deviennent ainsi des espaces producteurs d'inégalités de genre, sans que les acteurs de l'institution scolaire n'en aient forcément conscience.
Emmanuelle Gilles, docteure en géographieAutrice de "La cour de récréation à l’épreuve du genre au collège"
Une solution ? Un planning pour le "city stade"
A l'Institut Saint-Pierre à Caen, l'égalité homme-femme est prise au sérieux. Le 24 janvier, des rencontres sont organisées, chaque année, avec des sportives de haut niveau, pour faire réfléchir toute la communauté éducative du collège.
"Les filles nous ont expliqué, à ce moment-là, qu'elles n'avaient pas accès au city stade librement. Les garçons décidaient si elles avaient le droit de jouer ou pas. On a trouvé cela inadmissible et on a décidé d'élaborer un planning avec les élèves pour que filles et garçons puissent accéder au city stade et pratiquer du sport, comme bon leur semble" explique Jérôme Cousin, professeur de sport et référent "égalité fille-garçon".
Le lundi est donc réservé aux filles, le vendredi aux garçons et les mardis et jeudis, ils jouent tous ensemble pour favoriser la mixité, à des sports bien définis. Après un an et demi de pratique, les premières réticences ont disparu.
Pendant le match de basket, le ballon tourne désormais entre garçons et filles. "On joue plus ensemble. Avant, le city était principalement occupé par les garçons pour le foot. Je n'y allais pas, je restais sur les côtés, à regarder. Alors que maintenant, on fait d'autres sports comme le volley, le basket, c'est beaucoup mieux, précise Camille, une élève de 3ème, qui prend visiblement beaucoup de plaisir à jouer avec ses copains.
On aime bien jouer au basket avec les filles, car nous, les garçons, nous sommes trop dans l'agressivité. Les filles posent plus le jeu et ça permet de faire de bonnes passes et d'améliorer les shoots.
Maxence et Constant, élèves de 3ème, Institut Saint-Pierre
Le collège poursuit ses actions. Deux référents "égalité fille-garçon" ont été nommés, Jérôme Cousin, professeur de sport et Marie-Caroline Onnée, adjointe à la direction.
"Les stéréotypes se transmettent dès la naissance. On le voit déjà à l'école primaire, les garçons s'imposent et les filles s'excluent. Au collège, c'est donc ancré et notre rôle consiste à faire évoluer les mentalités et changer les mauvaises habitudes.", explique Marie-Caroline Onnée, qui vise l'obtention d'un label, décerné par l'académie.
L'équipe prépare déjà la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, avec le CDI et des élèves ambassadeurs pour les impliquer et les inciter à passer le message. "Entre pairs, ça marche souvent mieux." précise-t-elle.
Des expériences encourageantes, note Emmanuelle Gilles, qui a observé dans son enquête que "deux collèges sur sept" ont commencé à changer leur pratique pour créer une cour de récré plus égalitaire.
L'éducation peut en effet inverser l'ampleur croissante du sexisme en France, en particulier chez les jeunes. D'après le rapport annuel du Haut Conseil à l'Egalité, qui sera remis au chef de l'Etat, le 25 janvier, "94 % des femmes de 15 à 24 ans considèrent qu’il est difficile d’être une femme dans la société actuelle, une progression très importante de 14 points par rapport à l’an dernier" .