Un traducteur en série en Normandie : il est "la voix française" des polars norvégiens

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C'est un travailleur de l'ombre qui fait tomber les barrières linguistiques. Installé à Caen, Alex Fouillet est l'un des rares traducteurs de Norvégien. Il a permis de faire connaître Gunnar Staalesen, un auteur de romans policiers invité du prochain festival des Boréales de Normandie.

Le bruit feutré de ses doigts qui courent sur le clavier résonne dans l'appartement silencieux. Alex Fouillet est assis à sa table de travail, chez lui. Son regard navigue d'un écran d'ordinateur à un autre. Sur celui de gauche, des phrases avec des ø et des å. À droite, un texte en Français qui prend forme, peu à peu. La traduction est un travail de bénédictin. "Chaque phrase est un défi en soi, avoue-t-il. Le plaisir, c'est de voir qu'on passe d'un texte que personne en France ne peut lire à un texte accessible à tous".

 





Avancer pas à pas n'implique surtout pas de traduire mot à mot. "Si on s'en tenait à Google Translate, les gens seraient pliés en deux. On doit sans cesse adapter, pour que ce soit acceptable et lisible en Français. C'est un travail de réécriture et de formulation". Alex Fouillet se voit un peu comme le doubleur des acteurs de cinéma :

 

Je suis la voix française de l'auteur. C'est ma voix, mais ce sont les mots de l'écrivain.



Le traducteur jouit donc d'une certaine liberté d'interprétation devant son ordinateur. "Oui, c'est vrai, mais j'ai du mal à admettre que certains de mes confrères puissent supprimer des paragraphes jugés peu intéressants. Moi je suis un puriste de la version originale". Un jour, en s'attaquant à une prose norvégienne sans doute peu exaltante, il est tombé sur le message d'un éditeur griffoné dans la marge : "Faites-vous plaisir, réécrivez à votre guise". Il ne s'en est toujours pas remis.

 


 

Tout a commencé un peu par hasard, par jeu. Il avait imaginé devenir banquier. Mais, pas n'importe où, en Scandinavie. Alex Fouillet s'est donc inscrit à la Sorbonne, à Paris, pour apprendre le Norvégien, une langue que l'on pourrait localiser aux confins de l'Anglais et de l'Allemand. "Pour travailler, le prof nous distribuait des polycopiés. Souvent, il y avait des débuts de romans de Gunnar Staalesen, toujours vifs, amusants et bien écrits, ce qui ne gâte rien".



Staalesen n'est pas encore publié en France. Alex Fouillet se rend dans une librairie du Marais qui est alors le repaire de tous les locuteurs nordiques. Il tombe sur un de ses romans. Le titre résume à lui-seul la nécéssité de la tâche : "Bregravde hunder biter ikke". "J'ai commencé à le traduire pour le plaisir. Et au fur et à mesure, je le faisais circuler sous le manteau, pour que les amis en profitent. Staalesen a beaucoup ri quand je lui ai raconté ça".

 




Il n'est alors qu'un étudiant de licence. "J'avais des bases linguistiques, une batterie de bons dictionnaires et l'envie d'aller au bout". Les réactions des premiers lecteurs l'incitent à contacter une maison d'édition. En 2000, la littérature nordique est encore un marché de niche, mais Gaïa flaire le bon filon.



 



Depuis, un puissant vent du nord a soufflé dans les librairies. Le succès de la trilogie Millenium du Suédois Steig Larsson aidant, tous les éditeurs se sont mis en quête de nouveaux auteurs, et... de traducteurs. "Nous sommes cinq ou six en France pour le Norvégien, et on ne doit pas être plus d'une douzaine pour toute la Scandinavie, explique Alex Fouillet. Autant dire que nous sommes choyés".





Alex Fouillet traduit les romans de Gunnar Staalesen, une star des lettres en Norvège, qui ne cesse de décrire sa ville de Bergen :



Le travail est payé au signe, ou au feuillet. Il faut à peu près trois mois pour venir à bout d'un polar. "Avant le salon du livre de Paris en 2011 qui mettait l'accent sur la littérature nordique, des éditeurs se sont parfois réveillés quelques semaines avant. Personne ne voulait rater le coche". L'intéressement à la vente demeure marginal. Mais le succès d'un livre confère un certain prestige à son traducteur. "Je me souviens avoir vu des lumières dans les yeux de certaines personnes quand je disais être le traducteur de Jo Nesbø". Ses romans qui figurent systématiquement dans les classements des meilleures ventes ont aiguisé des appétits, et peut-être encouragé des intrigues. "Je ne traduis plus Jo Nesbø". Alex Fouillet n'en dira pas plus.





Alex Fouillet a traduit les ouvrages de plusieurs des auteurs qui sont invités au festival des Boréales (du 14 au 24 novembre 2019) 



En un peu moins de vingt ans de carrière, il affiche soixante-cinq traductions au compteur. Du Norvégien, essentiellement, mais aussi du Danois et du Suédois. Avec le temps, il s'est forgé quelques convictions. "Je laisse des nom de lieux et les noms propres dans la langue d'origine. Le bureau de Varg Veum, le héros de Staalasen, donne sur Strandkaien dans le centre de Bergen. Si j'écris que c'est le quai de la plage, quel est l'intérêt ? On doit proposer au lecteur du dépaysement, de l'exotisme. J'essaie aussi de restituer l'humour distancié des norvégiens, leur art de la litote".

 




Certains livres sont oubliables. D'autres lui procurent toujours autant de plaisir. "Quand j'ouvre un nouveau roman de Gunnar Staalesen, c'est comme si j'enfilais une vieille paire de chaussons qui est à la forme du pied. C'est la paire qui vous attend à la maison. On y est bien". Alex Fouillet en a déjà traduit dix-huit. Et à chaque fois, son nom est celui qui est discrètement écrit en italique, sous les gros caractères qui anoncent le titre et le nom de l'écrivain. "Mais il faut que chacun soit à sa place : si l'auteur n'écrit pas, on n'existe pas".











 
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