Le syndicat autonome SPP-PATS a demandé à rencontrer le prefet du Calvados. Depuis le début de l'année, les violences physiques à l'encontre des soldats du feu en intervention se multiplient. Il réclame le soutien des autres services publics sur certaines missions.
"On a franchi un cap au niveau de la violence", juge Hugues Roussel, vice-président du syndicat autonome SPP-PATS du Calvados. Ce mardi 7 juillet, l'organisation syndicale a adressé un courrier au prefet du département pour être reçue et entendue. "Ce qui nous a alerté, c'est l'augmentation de façon importante depuis le début de l'année, de la gravité des faits de violence constatés. Avant, c'était essentiellement de la violence verbale. Là, on est dans l'agression physique caractérisée." Ce phénomène affecterait l'ensemble du département, même si ces faits sont plus nombreux dans l'agglomération caennaise, compte tenu de "la densité de population".
Publiée par Syndicat Autonome SPP PATS Calvados sur Mercredi 8 juillet 2020
"Tu me lâches, je te tue !" Ces mots lancés le 6 mai dernier par "un colosse" de 100 kilos et de près de deux mètres sont gravés dans la mémoire de Stéphane. Le sapeur-pompier et ses collègues ont été appelés quelques instants plus tôt pour "une personne incosnciente sur la voie publique". A leur arrivée, ils découvrent un homme très alcoolisé (2 grammes) couché sur la voie de tram en plein soleil. Rapidement, l'individu se montre agressif. "Ça part tout de suite en pugilat, des insultes, des menaces de mort". Et Stéphane Bleuzé de le plaquer au sol quand il voit l'individu "armer son poing" en direction d'un de ses collègues.
Le soldats du feu sont contraints de l'immobiliser durant plus de dix minutes, le temps que la police intervienne. "Pour nous, il ne relevait pas d'une urgence mais devait être placé en garde à vue." Les pompiers n'obtiennent pas gain de cause et doivent embarquer l'individu dans une ambulance. "Il a essayé de nous donner des coups de boule, même menotté, et s'est laissé tomber sur moi au moment d'entrer." Stéphane ressent alors une douleur au niveau du poignet. A première vue, rien de grave. Mais la douleur se fait plus vive au fil des jours. Et le diagnostic tombe : rupture des ligaments scapho-lunaire.
"J'ai peut-être tout perdu"
Après une première intervention en juin dernier, Stéphane devra repasser sur la table d'opération au mois d'août. "La chirurgienne m'a dit qu'il faudrait attendre les premières séances de rééducation pour savoir quel degré de mobilité je vais récupérer." L'attente est longue. Et angoissante pour ce conseiller technique (le plus haut niveau) en groupe de reconnaissance et d'intervention en milieu périlleux. Cette spécialité "c'est toute ma vie, je veux bien reprendre le boulot mais je veux reprendre MON boulot. Je ne veux pas y aller avec un handicap. J'ai peut-être tout perdu pour une intervention qu'on n'aurait pas dû faire."Mais la perspective de devoir renoncer à ce métier n'est peut-être pas la pire. "Moi ce qui m'a tué, c'est qu'on en perd une part d'humanité, d'empathie. C'est la première fois que ça m'arrive en 20 ans de carrière. Je me pose de grosses questions. Le prochain mec alcoolisé, je ne sais pas comment je vais le traiter. J'ai hâte de reprendre mais ma prochaine intervention de ce type, quelle va être ma réaction ?" L'individu alcoolisé, déjà condamné par le passé, a écopé de sept mois de prison en comparution immédiate.
"Il n'y a pas encore eu de drame mais on n'est pas à l'abri que ça arrive"
Ces dix derniers jours, d'autres soldats du feu ont été victimes de violences sur le même type d'intervention à Caen, avec notamment "un coup porté au visage (à l'un d'entre eux) et une indisponibilté de plusieurs jours". Pour le moment, les guets-apens ou phénomènes de violence en bande organisée à l'encontre des soldats du feu n'ont pas été constatés dans le Calvados, selon le vice-président du SPP-PATS. "Heureusement, il n'y a pas encore eu de drame mais on n'est pas à l'abri que ça arrive." Et Hugues Roussel d'appeler à la vigilance. "Ces derniers jours, il y a eu des feux de poubelle répétés dans le quartier de la Guérinière. Des nuits comme ça, on doit être sécurisé. C'est là qu'arrivent les débordements."La majorité des agressions recensées se sont déroulées sur fond de "surconsommation d'alcool ou de drogue." Avec une particularité sur Caen. "Avec un hôpital pyschiatrique en centre-ville, on se retrouve avec beaucoup de prises en charge de personnes souffrant de troubles pyschiques, notamment des schizophrènes, qui, même s'ils font l'objet d'une prise en charge médicale, peuvent présenter un danger réel." Or, pour ces situations, "on n'est pas formé ni équipé pour ça", explique Hugues Roussel, "C'est comme si on demandait à un policier d'intervenir sur un feu de voiture."
Une plainte chaque semaine
Le réprésentant syndical l'assure, "le sujet est pris en compte par le SDIS. La direction a déjà fait remonter ces problématiques". Et demande un dépôt de plainte systématique. La hiérarchie accompagne chacun des agents dans cette démarche. "Tous ne le font pas, faute de temps", déplore Hugues Roussel, "les chiffres pourraient être bien plus élevés." Selon le vice-président du SPP-PATS 14, c'est environ une plainte chaque semaine qui est déposée par un soldat du feu du Calvados depuis le début de l'année.Mais ces démarches ne permettent pas résoudre le problème, un problème qui dépasse les compétences du SDIS. "Quand on reçoit un appel au 18 et qu'on a connaissance d'un contexte violent, alcool ou bagarre, on prévient immédiatement nos collègues de la police ou de la gendarmerie mais ils n'ont pas les moyens d'intervenir partout", déplore Hugues Roussel qui tient à préciser :" On attaque pas nos collègues." Et le responsable syndical de demander plutôt davantage de moyens pour ces derniers.
Il y a suffisamment de risques dans notre profession"
Le syndicat autonome SPP-PATS 14 a bon espoir d'être reçu par le représentant de l'Etat dans le département. "Le préfet ne laissera pas un sujet comme ça sans retour", veut croire Hugues Roussel. Et ce d'autant plus qu'il apparaît comme l'acteur clé d'une résolution possible du problème, selon le syndicat. "Aujourd'hui, on ne peut pas continuer à exposer des gens qui viennent en aide à des dangers pour lesquels ils ne sont pas formés. Il y a suffisamment de risques dans notre profession. Le pompier est spécialiste du feu et de l'urgence, en aucun cas du maintien de l'ordre. On veut être épaulé, sécurisé et que les services de l'Etat adaptés (forces de l'ordre mais aussi médecins pour les troubles pyschiques) soient utilisés en fonction des situations et interventions."
Depuis le début du déconfinement, les véhicules des sapeurs-pompiers arborent de nouveau le mot "grève" sur leur carrosserie. "C'est la reprise d'un mouvement de grève national débuté au mois de juin de l'année dernière", explique Hugues Roussel. Au coeur des revendications, la reconnaissance du métier à risque et l'augmentation de la prime de risque de feu. Un sujet en passe de "se débloquer", selon le vice-président du SPP-PATS 14. Mais d'autres sujets demeurent sur la table. "On demandait également la sécurisation des interventions et la réparition des missions de chaque service public."