"Ce sont des vestiges du patriarcat" : pourquoi, 50 ans après la loi Veil, l'avortement est encore souvent considéré comme un "traumatisme"

50 ans après la promulgation de la loi Veil, l'IVG reste toujours un sujet très sensible. 50 ans après, certains évoquent encore le terme de "traumatisme de l'avortement". Pourquoi et à qui la faute ? Réponses par ici.

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"Cette mort tragique a toujours été taboue". Marie*, une Normande quinquagénaire, cherche toujours à comprendre ce qu'il est vraiment arrivé à sa grand-mère paternelle dans les années 40 : "Elle est décédée prématurément alors que mon père avait sept ans. Elle était divorcée. Des rumeurs faisaient état d’un avortement qui "aurait mal tourné"".

"Le traumatisme de l'avortement"

Dans sa famille, on ne parle pas de cet événement. On évite le sujet : "Les seuls mots de mon père étaient "elle ne voulait plus vivre". Elle ne s’est pourtant pas suicidée". Mais aujourd'hui, elle veut que les choses changent : "C'est la première fois que j'en parle. Le tabou a poursuivi sa route jusqu'à aujourd'hui. La sororité m'a sans doute décoincée. Il faut que le combat continue".

50 ans après la promulgation de la loi Veil, soit le 17 janvier 1975, l'IVG reste toujours un sujet extrêmement sensible. 50 ans après, on entend encore constamment ces propos : "Tu ne devrais pas faire ça", "elle devrait avoir honte" ou encore le fameux "c'est quelque chose de traumatisant".

"Quand j'entends ça, je ne peux pas m’empêcher de penser à toutes ces femmes qui sont mortes d’un avortement clandestin", lance Isabelle Asselin, une gynécologue du CHU de Caen, retraitée depuis 2020.

Le traumatisme de l’avortement, c'est avancé majoritairement par les anti-choix, les anti-IVG. Ça veut dire qu'on n'est pas forcément favorable à ce qu'une femme ait le droit de continuer ou arrêter une grossesse.

Isabelle Asselin

Gynécologue retraitée

1 femme meurt toutes les 9 secondes dans le monde des suites d’un avortement clandestin, selon l’Organisation mondiale de la Santé : "Si une femme ne trouve pas le moyen d’avorter dans son pays, elle peut traverser les frontières pour le faire là où c’est autorisé, si ce n’est pas possible, elle aura peut-être recours à un avortement clandestin qui peut mettre sa vie en danger ou avoir des conséquences sur sa santé physique, psychologique ou avoir comme un impact sur sa vie affective ou sur sa santé et là oui ça peut être traumatisant", explique Isabelle Asselin.

1 femme sur 3 a recours à l'avortement

Dans le cadre de sa profession et ses recherches, Isabelle Asselin a souvent demandé aux femmes comment elle se sentait après l'acte : "La réponse qui revient le plus souvent, c’est le soulagement d’avoir arrêté cette grossesse".

Elles se retrouvent dans un moment de leur vie où la grossesse n'est pas envisageable pour des raisons qui leur sont propres : "Certaines femmes ne se sentent pas prêtes à être mère ou elles ne veulent pas de cette grossesse avec cet homme-là, ou encore la grossesse était un projet de couple et le partenaire est parti et ne veut pas s’investir. Parfois, c'est juste une rencontre d’un soir, une grossesse accidentelle, il n’y avait pas de contraception ou bien un échec de contraception. D'autres procèdent à cet acte, car elles ont subi un viol", précise la gynécologue retraitée.

C’est leur choix et leur droit de le faire.

Isabelle Asselin

Gynécologue retraitée

"Cette loi qui dépénalise l’IVG depuis 1975 est une vraie avancée. Les femmes ne sont pas que des pondeuses, elles ont le choix de travailler, de choisir le moment où elles veulent se lancer dans la maternité, ou même ne pas être mère", rappelle Isabelle Asselin.

En France, 1 femme sur 3 a recours à l’avortement au moins une fois dans sa vie, avec le sentiment pour beaucoup que, cinquante ans après, ce droit des femmes est encore à défendre sans relâche.

"L'ombre de l'opprobre plane toujours sur la femme qui avorte"

"L'ombre de l'opprobre plane toujours sur la femme qui avorte : elle est toujours sociétalement soupçonnée de mœurs légères alors que cette question ne se pose jamais du côté des hommes", s'esclaffe Juliette Lamy, militante au sein de l'association Osez le féminisme !, dans le Calvados.

En effet : "Chaque femme en situation d’IVG va vivre ce choix différemment". Et souvent, ça dépend du contexte dans lequel elles évoluent :"Ça sera en fonction de ses origines, valeurs culturelles, familiales, avec d’éventuels principes moraux et religieux. La valeur des pairs, des milieux qu’on côtoie compte énormément. Dans certains milieux, on va parler ouvertement de sujets comme l’argent, la sexualité, et dans d’autres, c'est tabou. Certaines femmes sont immigrées et ont aussi leur histoire et culture", ajoute de son côté Isabelle Asselin.

Des valeurs culturelles et familiales que certains professionnels de santé ont du mal également à mettre de côté : "Ils ne sont pas tous progressistes. La loi autorise l’IVG jusqu’à 14 semaines de grossesse. Ils doivent appliquer la loi, l’accepter. Ils peuvent faire valoir la clause de conscience spécifique à l’IVG. Oui ça existe et certains le font et y tiennent. Mais ils se doivent de rediriger une femme vers un.e professionnel.le qui peut les prendre en charge. On doit exercer avec les lois en vigueur et le Code de la santé publique. Nous ne sommes pas là pour juger".

Des professionnels de santé culpabilisants

Séverine, une militante féministe normande de longue date, a vécu une mauvaise expérience avec le corps médical, un sentiment de solitude et d'isolement. Pourtant, elle a évolué dans un milieu urbain, favorisé et cultivé :

J'ai vécu des questions culpabilisantes du corps médical comme "Êtes-vous sûre de vouloir avorter ? On vous laisse deux semaines de réflexion". L'avortement a eu lieu juste à côté de femmes qui accouchaient.

Séverine

Militante féministe

"Le traumatisme, ça peut être la réaction des médecins ou du parcours pour avorter qui doit être rapide pour respecter les délais", précise Juliette Lamy.

Un parcours qui reste toujours inégal selon qu'on vit en ville ou en milieu rural : "Il reste difficile à assurer par le planning familial qui voit ses subventions fluctuer au bon vouloir des politiques élus", ajoute cette dernière. "Il n’y a pas un accès égal aux soins sur le territoire français. Des centres IVG ont fermé durant les 15 dernières années. Les centres doivent fixer un rendez-vous dans les 3 à 5 jours selon les recommandations de la Haute Autorité de Santé. Mais certains sont saturés, surchargés et ne peuvent répondre à toutes les demandes dans ce délai".

Former les professionnels de santé et sensibiliser

Isabelle Asselin est gynécologue retraitée, présidente de l'association ASSUREIPSS et aussi formatrice en santé sexuelle : "Il faut de la formation dans les cursus initiaux des professionnels et les former à la santé sexuelle". Elles pointent notamment du doigt la question de l'accompagnement de ces femmes : "Par exemple, l’entretien psychologique n’est plus obligatoire pour les femmes majeures depuis 2001 lors d’une demande d’IVG, à part pour les femmes mineures. Le professionnel de santé qui reçoit une femme qui va recourir à cet acte doit tout de même être à l’écoute".

Lors de la démarche, les femmes ont deux entretiens pré-IVG : "Durant ces rendez-vous, s'ils sentent une vulnérabilité, il faut pouvoir les orienter, leur conseiller de voir un psychologue. Des femmes sont fragilisées, car elles ont vécu des choses, parfois traumatisantes, dans leur vie, leur enfance. L'acte ne provoque pas de traumatisme en soi si l’accueil de l’équipe a été chaleureux, non jugeant". En effet, aucune étude scientifique ne prouve à ce jour "le traumatisme de l'avortement".

Ce sont des vestiges du patriarcat, même si beaucoup d’hommes et de femmes combattent ça.

Isabelle Asselin

Gynécologue retraitée

Pour cette dernière, il faut aussi miser sur l'éducation sexuelle dès le CP : "Il faut respecter les trois séances par an, renouvelées tous les ans. C’est une obligation depuis 2001".

Depuis son inscription dans la Constitution, l'IVG est devenue bien plus qu'un droit, c'est une liberté. De quoi rappeler ces mots de Simone Veil : "Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes".

*Marie est un nom d'emprunt

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