Coronavirus : le vague à l’âme des services des pompes funèbres

Inhumer et accompagner les familles dans le processus de deuil, c’est le quotidien des services de pompes funèbres. Mais le coronavirus et son cortège de précautions modifient les rituels. Voici les témoignages de deux professionnelles.
 

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  • Comment ont évolué vos pratiques avec l’épidémie de Covid-19 ?

Anna-Rita Adam co-gérante d’une entreprise de Pompes funèbres et marbrerie à Caen

« Après un premier contact par téléphone, on explique que seules deux personnes peuvent venir nous rencontrer.
Nous anticipons au maximum l’aspect administratif pour que le temps passé avec les personnes touchées par un deuil soit consacré à l’écoute de leur peine et de leurs demandes et pas à la paperasse.
Au lieu de 8 personnes, nous sommes 3 maximum sur place.
 

Un autre aspect concret de la crise sanitaire, c’est que les parutions dans la presse des avis de décès n’ont plus tout à fait le même rôle social :
auparavant un avis permettait d’inciter les personnes qui avaient connu le défunt à venir lui rendre un dernier hommage.
Une cérémonie c’est un événement social. Aujourd’hui, quand les familles font paraître un avis elles incitent les gens à rester chez eux. »
 

Anita Cosseron, co-gérante d’une entreprise de pompes funèbres à Bretteville-sur-Odon, et représentante de la confédération des Pompes Funèbres à Paris.

« le plus gros changement à mes yeux, c’est la limitation du nombre de personnes présentes lors des cérémonies. Désormais 20 personnes maximum (personnel funéraire compris) sont acceptées au cimetière ou à l’église.

On n’imagine pas ce que cela provoque chez les proches de devoir sélectionner ceux qui seront présents ou pas, d’après quels critères ? Les cérémonies à plusieurs centaines de personnes sont devenues inenvisageables. »
  • Quel impact cette limitation peut avoir sur le processus de deuil ?

Anita Cosseron

« Pour certaines personnes dans le deuil, quand une cérémonie funéraire accueillait des centaines - voire des milliers de personnes quand le défunt était une personnalité publique – c’est très réconfortant.
La famille pouvait penser que la cérémonie et donc le dernier hommage était très réussi. Cela facilitait le travail psychologique de deuil. 

Aujourd’hui, le covid-19 change tout cela : les contraintes sont tellement pesantes que le deuil est rendu plus délicat : le conjoint s’il est âgé ne peut pas être présent à la cérémonie afin de le protéger.

On ne peut pas se consoler en se prenant dans les bras, ou en étant pris dans les bras de proches de la famille.
Autre exemple : les fleurs qui accompagnent nos morts lors des rites funéraires ont disparu des cérémonies, c’est un service que l’on ne peut plus proposer, les fleuristes étant fermés. »
 
  • Comment ces mesures sont-elles vécues par les familles ?

Anna-Rita Adam :

 « Les mesures sont plutôt bien intégrées et comprises. Mais cela n’empêche pas la frustration. Voire la colère parfois.

Dans le cas des crémations, on constate que la situation est moins facile à vivre pour les familles puisque toute cérémonie est bien souvent interdite dans les crématoriums.
Les proches tiennent parfois à accompagner le défunt jusqu’aux portes de l’établissement. L’urne funéraire leur est ensuite remise. »

 « De manière générale, le plus dur à vivre pour la famille c’est quand le défunt est décédé du coronavirus : dans ce cas, nos équipes doivent placer le corps dans une housse, et le cercueil est fermé immédiatement.
Cela va aussi à l'encontre de certaines traditions religieuses : pour les musulmans, il faut renoncer à un rite important dans l'accompagnement du défunt : la toilette mortuaire est impossible.

Quand le décès lié au coronavirus a lieu dans un Ehpad ou à l’hôpital, les proches n’ont pas la possibilité de revoir le défunt une dernière fois.
La mise en bière est vraiment immédiate. 

 


Anita Cosseron:

« Il a été question qu’on entrouvre cette housse qui entoure le défunt d’une dizaine de centimètres afin que la famille proche puisse encore voir le visage du défunt. Mais à ma connaissance c’est un avis émis par le Haut conseil de la santé et tant que ce n’est pas un décret, par mesure de précaution, il n’est pas question d’appliquer cette mesure ».
  • Pour aider le travail de deuil, que pouvez-vous proposer aux familles de disparus ?

Anita Cosseron:

« Nous envisageons de mettre à disposition nos chambres funéraires aux familles afin qu’une autre cérémonie puisse avoir lieu plus tard, avec des prises de parole autour du portrait du défunt par exemple. 

Nous craignons que la mise en terre en présence de la famille proche soit interdite dans les semaines à venir, nous réfléchissons à la possibilité de filmer la cérémonie afin que les proches puissent la visionner grâce à un lien… Je ne suis pas encore prête à vivre ça mais on réfléchit à de possibles solutions pour accompagner les familles. »

Anna-Rita Adam :

« Le risque de ne pas pouvoir accompagner les défunts comme les proches le souhaitent, c’est que la peine soit intériorisée. Faut-il leur proposer des cérémonies plus tard ?
Je ne sais pas si cela fait sens, on ne peut pas demander à quelqu’un de mettre son chagrin en veille puis le faire ressurgir plus tard.

Cet état d’esprit-là ne se contrôle pas comme on le veut, cela ressurgit parfois quand on s’y attend le moins… Je crains des empêchements du processus de deuil »

Anita Cosseron :

« De mon côté, je redoute qu’on ne puisse pas consacrer le temps nécessaire à l’écoute des familles. Mais on va veiller à conserver notre bienveillance envers elles, et surtout à préserver tout le respect que l’on doit aux défunts. »
 
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