Sur la côte de Nacre, les algues jonchent en grande quantité les plages depuis plusieurs jours. Le phénomène est connu depuis plusieurs années et prend une certaine ampleur cet été. Pour autant, la comparaison avec la Bretagne n'est pas justifiée.
Il aura fallu attendre la mi-juillet pour profiter enfin d'un temps estival. Bernard, retraité installé depuis trois ans à Lion-sur-Mer, profite de cette parenthèse ensoleillée pour emmener ses petits enfants à la plage. Un peu plus tôt dans la semaine, les enfants auraient eu bien du mal à faire un château de sable. La plage était littéralement recouverte d'un épais tapis d'algues. "Cette année, c'est assez impressionnant : il y avait des monticules d'un bon mètre voire un mètre 50 à certains endroits. Il en reste encore mais les services de la ville en ont retiré 80 à 90%." Le plus jeune des petits enfants, la pelle à la main, rechigne à s'aventurer hors du sable. Pas de quoi inquiéter son grand-père. "Il n'y a rien à craindre, à part l'odeur. Les petits on les emmène sans aucun souci. Ça fait partie du cycle de la nature. Faut faire avec."
Philosophe, Béatrice l'est aussi. Cette habitante de Lion-sur-Mer affectionne particulièrement les promenades au bord de l'estran quand la mer s'est retirée au loin. Pour elles, les algues font partie du paysage. Même si elles sont plus nombreuses que d'ordinaire cette année. "Si on n'aime pas les algues, on ne vient pas habiter à Lion-sur-Mer. Si on n'aime pas la nature, on ne vient pas habiter ici", estime-t-elle. "J'habite à 50 mètres de la plage, l'odeur je ne l'ai pas dans mon jardin. Si on vient se balader en bord de mer, c'est aussi pour sentir l'ai iodé. Ça ne me gêne pas plus que ça et ce n'est pas tous les jours. Ça dépend du sens du vent."
"Dès l'entrée de ville, on sait qu'on est à Lion-sur-Mer"
L'odeur, c'est pourtant un sujet qui fait débat au sein de la commune. "Dès l'entrée de ville, on sait qu'on est à Lion-sur-Mer parce qu'on sent cette odeur iodée", affirme Paul Aoustin, le président de l'Union des Commerçants et Artisans de Lion-sur-Mer. Son établissement, un restaurant avec vue sur mer, est aux premières loges. "Ça a un impact au niveau de l'odeur mais aussi des baigneurs. La zone de bain s'est totalement déplacée. Peu de baigneurs s'aventurent devant notre établissement parce qu'il y a beaucoup trop d'algues et ça crée une situation d'inconfort."
Le chef d'entreprise ne peut chiffrer l'impact sur son chiffre d'affaire. Mais estime que les algues causent un préjudice en terme d'image à la commune. "Les clients arrivent et forcément nous font la réflexion : pourquoi vous ne faites rien ?", raconte Paul Aoustin, "On leur explique que la plage ne nous appartient pas. On aimerait des passages plus réguliers des services de la collectivité sur la plage pour rejeter ces algues en mer. La plage, c'est notre vitrine, notre carte postale et il faut qu'elle soit la plus belle possible. Le problème est connu depuis des dizaines d'années. Auparavant, les algues duraient entre 15 jours et trois semaines. Aujourd'hui, on est plus près d'un mois et elles sont beaucoup plus consistantes. On n'avait pas cette odeur ni ce développement les autres années."
Pas de marée verte en Normandie ?
Le problème n'est pas nouveau, le maire de la commune en convient. "C'est un phénomène naturel. On a des algues qui se développent sur les rochers. En cas de forts coups de vent, de petites tempêtes, ça se décroche et ça atteint le rivage, inévitablement", rappelle Dominique Régeard. La météo exécrable ces trois derniers mois pourrait expliquer en partie l'ampleur du phénomène cette année. "Il y a un volume qui s'est réparti sur l'ensemble des communes du littoral jusqu'à Colleville alors que souvent c'est plus localisé à Lion-sur-Mer."
Pour autant, pas question de parler de phénomène de marées vertes comme chez nos vosins bretons. "En Bretagne, ce sont des espèces particulières d'algues vertes, des Amoricanas, qui se développent sans être fixées sur le platier rocheux. Elles se fragmentent et se multiplient dans l'eau de mer", explique Isabelle Mussio, chercheuse au laboratoire de biologie des organismes et des écosystèmes aquatiques de l'université de Caen. "Les échouages d'algues qu'on a sur la Côte de Nacre c'est tout simplement des algues du platier rocheux qui sont arrachées lors d'un coup de vent et qui viennent s'échouer. Ce qui s'échoue, ce ne sont pas que des algues vertes. Ce sont toutes les espèces d'algues qu'on peut avoir sur le platier : des algues vertes, des algues rouges et des algues brunes. " En été, toutefois, l'algue verte, qui apprécie la lumière et la chaleur, prédomine.
"Les algues ne sont pas toxiques"
Si la nature de l'algue et son mode de développement diffère entre les deux régions, ces échouages peuvent présenter le même danger. "Les algues ne sont pas toxiques, elles en sont pas vénéneuses, contrairement à certaines plantes terrestres", souligne Isabelle Mussio, "Ce qui va être toxique, c'est quand on va avoir des échouages extrêmement importants et que ces échouages vont rester sur place. Une fermentation va se produire. Comme tout matière organique qui se décompose sans oxygène, vous allez avoir la production d'hydrogène sulfuré. Quand vous avez de gros tas qui stagnent, une croûte blanche se forme en surface et sous cette croûte vous avez des poches d'hydrogène sulfuré."
D'où l'intérêt de les enelever de la plage. "On les repousse en fonction des marées. La mer les reprend puis les ramène. Mais au bout d'un moment, elles finissent par disparaître. Il faut un peu de temps", explique Dominique Régeard, le maire de Lion-sur-Mer. "La solution extrême serait de les retirer mais ça suppose une logistique très très importante que nous n'avons pas aujourd'hui - on parle de milliers de tonnes d'algues - et qui suppose aussi une zone de retrait qui n'existe pas aujourd'hui." Un coût très important qui devrait être assuré par la communauté urbaine de Caen-la-Mer, qui a la compétence de l'entretien du littoral.
"Actuellement, la seule solution qu'on ait c'est de repousser à la mer les algues pour ne pas qu'elles pourissent sur place. Si on voulait véritablement extraire les algues de la plage il faudrait avoir une filière de valorisation derrière", indique Isabelle Mussio. Dans la région, une expérience est menée à Grandcamp-Maisy, dans le Calvados. Les algues collectées sur la plage de la commune sont utilisées comme engrais par deux agriculteurs.