Yusuf Cinar a-t-il encouragé le terroriste à tuer Samuel Paty ? Retour sur le parcours d'un jeune homme au destin presque tout tracé

Depuis le 4 novembre 2024, huit personnes sont jugées dans le cadre de l'attentat terroriste qui a visé le professeur Samuel Paty le 16 octobre 2020. Parmi les accusés figurent trois Normands, dont Yucuf Cinar originaire d'Évreux (Eure). Il est aujourd'hui âgé de 22 ans et il est mis en examen pour association de malfaiteurs terroristes.

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Dans la salle d'audience des grands procès de la Cour d'assises spéciale de Paris, la photo du corps décapité de Samuel Paty est diffusée. Au premier rang d'une salle comble, Gaëlle Paty, sœur du professeur assassiné est restée, malgré l'avertissement du président de la Cour. Un silence d'un court instant s'est installé.

Ce jeudi 5 décembre 2024, le profil de Yusuf Cinar a été soumis à la Cour pour en savoir plus sur le rôle de ce jeune ébroïcien dans l'assassinat de Samuel Paty. Il a notamment reçu, le jour de l'attaque, le 16 octobre 2020, une photo de revendication de l'attentat.

Le jeune homme est soupçonné par la justice d'avoir "conforté le terroriste dans son projet juste avant la commission des faits", et "d'avoir diffusé des photos en hommage à Abdoullakh Anzorov" après l'attentat.

Solitude et rigorisme religieux au sein du foyer

Devant la cour, un policier de la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) est entendu en visioconférence et de façon anonyme pour décrire le parcours de Yusuf Cinar. "Il a eu une enfance malheureuse due à l'éducation rigoriste de ses parents." 

D'origines turques, la mère et le père de l'accusé sont déjà connus par les services de police pour être des fondamentalistes religieux. En garde à vue en 2020, Yusuf Cinar raconte sa jeunesse. "Il était victime de violences, explique le policier, il y avait une forme d'emprise de la part de son père. [...] Il avait une emprise sur toute la famille les contraignant au rigorisme religieux. Yusuf a été obligé de faire la prière dès ses cinq ans et le ramadan à sept."

Durant l'enquête, sa mère explique qu'il "voulait être une célébrité, un Youtubeur." Un projet professionnel assez flou après une scolarité chaotique. Lors de sa jeunesse dans le quartier de la Madeleine à Évreux (Eure), Yusuf Cinar fréquente différents établissements scolaires. Ses absences sont nombreuses et son comportement irrespectueux l'amène à se faire exclure définitivement en classe 4e.

Yusuf Cinar est déscolarisé, en conflit avec ses parents, "qu'il déteste" et la plupart du temps livré à lui-même. Entre deux audiences dans la salle des pas perdus, son avocate Me Lucile Collot ajoute : "sa jeunesse est véritablement marquée par une très grande solitude".

À la barre, à la mi-novembre l'un de ses anciens professeurs décrit un élève en perdition. Malgré de nombreuses alertes faites auprès des services sociaux, le jeune homme reste isolé. "Je savais que Yusuf finirait aux assises", raconte, les larmes aux yeux, le professeur désormais retraité. 

Le témoignage de sa mère comme les enquêtes de police ont également montré que Yusuf Cinar est très peu entouré, "il a un cercle amical disons... très restreint, souligne le policier des services de renseignements avant d'oser une interprétation toute personnelle. Le profil habituel des jihadistes."

Un jeune homme et ses contradictions

Devant la cour, le policier de la DGSI poursuit son exposé. "On observe une consommation excessive de drogues et d'alcool", assure l'enquêteur. Loin donc de ce qu'on pourrait imaginer d'un jihadiste rigoriste, souligne Me Lucile Collot.

"M. Cinar, c'est quelqu'un qui se scarifie, c'est quelqu'un en dépression qui ne dort pas la nuit, c'est quelqu'un qui consomme des stupéfiants à longueur de journée. [...] Il n'est absolument pas religieux et tous les témoins le disent. Il n'est ni de près, ni de loin, dans la religion", assure l'avocate.

De son côté, durant ses huit auditions de garde à vue à la DGSI, le jeune homme se décrit comme un musulman pratiquant. L'enquête montrera qu'il ne se rendait pas régulièrement à la mosquée. Alors était-il radicalisé ?

Yusuf Cinar a-t-il encouragé Anzorov à tuer Samuel Paty ?

La nature des liens qui unissent Yusuf Cinar et Adboulkah Anzorov restent flous. Selon l'avocate Me Collot, "ils sont des amis de quartier mais sans réelle proximité. Il n'y a eu que très peu d'interactions entre eux".

De son côté Yusuf Cinar indiquera en garde à vue qu'il considérait "Anzorov comme un frère".

Les deux se sont rencontrés par l'intermédiaire du frère du terroriste, à la sortie du collège Pablo-Neruda à Évreux (Eure) en 2015, avant de s'éloigner petit à petit jusqu'en 2020.

Au cours de l'enquête, les policiers seront amenés à découvrir que Yusuf Cinar et Abdoullakh Anzorov se trouvaient dans un même groupe de conversation sur l'application "Snapchat".

Dans ce groupe, l'historique des échanges écrits n'a pas pu être reconstitué que partiellement par les enquêteurs.

Le 16 octobre 2020, à 15h39, Abdoullakh Anzorov, écrit un message à tous les membres de ce groupe : "J'ai une épreuve faite des dou'a [des prières] pour que je réussisse les frères, tout de suite, qu'Allah vous récompense".

À 16h58 le même jour, Anzorov envoie la photographie de la tête décapitée du professeur Samuel Paty. Ce à quoi répondra, quatre heures plus tard, Yussuf Cinar : "?? ya quoi les gars". Durant l'enquête,

Yusuf Cinar assure qu'il pensait que le terroriste, alors déscolarisé, allait passer des "épreuves à l'école". 

Selon Me Lucile Collot, la présence de Yusuf Cinar dans le groupe de conversation Snapchat ne signifie absolument pas qu'il souscrit à l'idéologie islamiste.

"Il y avait 10 personnes dans ce groupe dont M. Anzorov et M. Cinar, les huit autres personnes ne sont pas poursuivies. Ce groupe s'est appelé par des noms parfois farfelus qui n'avaient rien à voir avec la religion, estime l'avocate. M. Cinar explique qu'il a été mis dans ce groupe pour se moquer de lui parce qu'il faisait des vidéos plutôt amusantes, comme l'a dit son instituteur, c'est un clown. [...] Il faisait rire, il faisait des vidéos et des vocaux quand il était ivre et c'était véritablement sa seule contribution à ce groupe."

Des images d'une extrême violence 

Dans le téléphone de Yusuf Cinar seront retrouvés des photomontages de lui-même en tenue militaire ainsi que des images d'une extrême violence issues, pour certaines, de la propagande de l'État islamique.

Diffusées dans la salle d'audiences, certaines photographies montrent des décapitations ou des scènes de tortures.

Quelques heures après l'assassinat du professeur Samuel Paty, Yusuf Cinar publiera une photo d'Anzorov accompagnée de plusieurs "émoji cœur". Une forme d'hommage au terroriste qui lui est aujourd'hui reproché par la cour.

En garde à vue, il se désolidarisa finalement du tueur du professeur d'histoire-géographie, indiquant "qu'il avait sali la religion".

Yucuf Cinar n'a pour le moment pas pris la parole. Il sera entendu par la Cour le 12 décembre 2024. Il est poursuivi pour association de malfaiteurs terroriste et encourt 30 années de réclusion criminelle.

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