Thomas Levesque participera à son premier prix d'Amérique le 25 janvier avec sa jument Iroise de la Noë. Son père et son arrière-grand-père ont marqué l'histoire de la course mais "non, ce n'est pas naturel de courir l'Amérique, c'est surtout beaucoup de travail et il faut avoir la chance de tomber sur un bon cheval".
Un nom prestigieux peut être parfois lourd à porter. Dans la famille Levesque, c'est plutôt une garantie d'humilité. Le caractère bien trempé se transmet en héritage, comme le goût du travail et l'abnégation.
Ce lundi 20 janvier, il fait encore nuit noire. Un épais brouillard enveloppe l'écurie située à Beuzeville-la-Bastille, dans les marais du Cotentin. Le thermomètre affiche 1°C. Thomas Levesque est rentré de Vincennes la veille à 21h. Un de ses chevaux courait le prix de Cornulier. Il est à sa tâche le lendemain à l'aube avec Iroise, sa "princesse".
"On est plus persévérant avec un cheval qui a de la classe"
Dans son box, Iroise trépigne. "C'est une jument plutôt calme, mais quand elle sait qu'elle va aller dehors, ce n'est pas la même". Ils se connaissent par cœur. Iroise de la Noë est arrivée toute jeune à l'écurie. Thomas l'a débourrée, il l'a vue grandir et il l'a accompagnée dans les moments difficiles.
Cette grande jument de 1,71m au garrot a souvent été freinée par des pépins de santé. À six ans, elle n'a disputé que 25 courses. Au début de l'hiver, elle était encore en méforme. "Mais on est plus persévérant avec des chevaux qui ont de la classe, souligne Thomas Levesque. On savait qu'elle avait un potentiel. On a pris notre temps et là, on va faire le prix d'Amérique. Maintenant, ce n'est que du bonus".
Le 12 janvier, dans le prix de Belgique, une des Amérique Races qualificatives, Iroise de la Noë a surclassé ses adversaires. Thomas Levesque, qui était sur le sulky, l'a très tôt installée en tête. Elle a ensuite imprimé un tempo élevé qui a écœuré la concurrence. "C'est une jument de train qui manque un peu de vitesse, mais quand il y a du rythme, elle est à l'aise. C'est bien pour un prix d'Amérique".
"Quand on est qualifié pour le prix d'Amérique, on y va"
Pierre Levesque saute d'un sulky. Il revient de la piste d'entraînement. Lui aussi était à Vincennes la veille avec un de ses chevaux qui courait également le Cornulier. La qualification de son fils pour le prix d'Amérique le rend fier : "À 32 ans, c'est une belle réussite. Sa jument est quand même restée près d'un an sans courir. Il tablait plutôt sur 2026, mais là, elle est en forme et quand on est qualifié pour le prix d'Amérique, on y va !"
Il faut dire que la famille Levesque entretient un lien particulier avec cette course, qui passe pour être le championnat du monde des trotteurs. Dans les années 1960, Henri Levesque a inscrit cinq fois son nom au palmarès. Il était notamment l'entraîneur et le propriétaire de Roquepine, un des rares chevaux à s'être imposé trois années de suite.
"C'était mon grand-père. J'étais très jeune, mais ce sont de bons souvenirs. Il l'a gagné cinq fois en huit, c'est exceptionnel", raconte Pierre Levesque, lui-même vainqueur de trois prix d'Amérique en 2007, 2008 et 2009. Il était entraîneur et driver d'Offshore Dream et entraîneur de Meaulnes du Corta. "C'étaient des chevaux de propriétaires, ce n'était pas la casaque familiale, mais c'est tout aussi savoureux".
"On ne se rend pas compte combien c'est dur"
Thomas est au sulky avec Iroise pour un des derniers entraînements sur la ligne droite. La jument transpire. "Il n'y a pas de secret. Ou plutôt, le secret, c'est le travail et la passion. C'est un métier exigeant, parce qu'il faut être là du matin au soir aux petits soins des chevaux", explique Pierre Levesque.

"On a bénéficié de tout le savoir de mon grand-père. On a amélioré ses infrastructures. Quand il y a du succès, il y a une ambiance. C'est sûr que quand on grandit dans ce milieu-là, ça marque", sourit Pierre Levesque. Ses deux enfants portent fièrement la casaque : Camille, la sœur de Thomas, est jockey. C'est elle qui monte les chevaux de la maison.
Iroise est apaisée. Elle a couru. Un jeune lad lui offre une douche chaude. Thomas sait qu'il ne partira pas favori dimanche à Vincennes, mais il mesure le chemin parcouru. "Quand j'étais gamin, je pouvais penser que c'était facile puisque mon père en a gagné trois de suite. On ne se rend pas compte combien c'est dur, rien que pour avoir un partant. Ça fait dix ans que je suis dans le métier et je sais qu'il faut en profiter parce que ça ne va pas arriver souvent".