Pass Culture collectif gelé par l'Etat : "Une catastrophe pour les élèves et le monde culturel"

Depuis vendredi 31 janvier, la colère ne retombe pas. Profs, artistes, théâtres, cinémas, le monde culturel et enseignant fait ses comptes et la perte se chiffre en milliers d'euros, en Normandie, avec le risque de fragiliser des artistes et l'accès à la culture.

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Depuis plusieurs semaines, les collégiens de Mondeville (Calvados) étudient la musique afro-américaine, qui figure au programme de troisième. Ils s'intéressent, en particulier, au blues, à sa naissance pendant l'esclavage et à son influence.

"Un dispositif formidable" pour favoriser l'ouverture d'esprit 

Avec leurs professeurs d'anglais et de musique, ils ont même écrit une chanson qu'ils présenteront en fin d'année, pour l'oral du brevet. Pour les accompagner, Stéphanie Quenet, leur professeur de musique a sollicité pour ses six classes, Philippe Géhanne, un harmoniciste reconnu, auteur d'une méthode "Blues Harmonica".

"C'est passionnant, raconte Stéphanie Quenet. On découvre l'histoire de la musique sur 200 ans, à travers cet instrument mal connu. Philippe Géhanne nous a apporté différents harmonicas. On a pu voir son évolution. C'est tout de suite très concret. La quasi-totalité des élèves ne pratiquent pas de musique, ils peuvent ainsi découvrir un instrument, accessible et pas cher puisqu'un premier harmonica coûte 35 euros".

Le pass Culture, c'est une véritable chance pour les élèves. Nous l'utilisons dans le cadre de parcours culturels, en lien avec les programmes et c'est très enrichissant. Soit les artistes viennent en classe, soit nous organisons des sorties. Nos collégiens peuvent ainsi découvrir une pratique et échanger avec des musiciens. Ces rencontres favorisent l'ouverture d'esprit.

Stéphanie Quenet, professeur de musique au collège Gisèle Guillemot à Mondeville

Ces interventions ont été financées grâce à la part collective du pass Culture, pour un montant de 1 800 euros. Sans ce dispositif, la professeure de musique aurait dû renoncer, car "c'est onéreux, il aurait fallu puiser dans le fonds de réserve du collège et on n'a pas les moyens.

Avant le Pass culture, la mairie pouvait nous aider pour le prêt d'une salle, mais pas pour payer un artiste. Nous aurions peut-être pu frapper à la porte de la Drac*, mais est ce que ce projet aurait été accepté ? Avec la plateforme du Pass Culture, c'est plus simple.", constate Stéphanie Quenet.

 * (Direction régionale des affaires culturelles)

Pass culture : Philippe Géhanne lors d'une intervention musicale au collège Gisèle Guillemot, à Mondeville (Calvados) © Droits réservés

Depuis sa création en 2022, la part collective du pass séduit. Chaque année, les enseignants réservent via une plateforme une activité d’éducation artistique et culturelle. À raison de 25 € par an pour les élèves de collège, 30 € pour les élèves de seconde et de CAP, et 20 € pour les élèves de première et de terminale.

Le musicien, Philippe Géhanne, va pouvoir déclarer ses heures pour son statut d'intermittent. Mais il s'en est fallu de peu.

Une perte en cascade pour les structures culturelles et les artistes

Jeudi 30 janvier, une musique stridente se fait entendre dans les couloirs des établissements scolaires et culturels. "La plateforme de réservation, Adage, va fermer vendredi, entend-on de manière informelle. Les professeurs nous appellent, inquiets. C'est un peu la panique. Pendant quatre heures, nous nous connectons pour valider toutes nos pré-réservations, soit 2 500 places pour des collégiens et lycéens, jusqu'en juin", raconte Virginie Pencole, secrétaire générale de la Comédie de Caen.

"La plateforme, se déconnecte, sature, car visiblement nous ne sommes pas les seuls à vouloir sauver la saison pour les jeunes. Vendredi, nos doutes se confirment. On vérifie à nouveau, nos places sont "en cours de validation" mais pas validées".

Au total, nous perdons 1 070 places soit près de 9 000 euros de billetterie. Nous allons peut-être devoir annuler la tournée d'une compagnie - soit 18 dates - qui devait se rendre dans les collèges et lycées de Caen, situés en zone prioritaire. C'est primordial d'intervenir dans les quartiers, en zone rurale et dans tous les établissements du territoire normand. Nous proposons des résidences d’artistes, des ateliers de pratique et des spectacles in situ parce que nous faisons une vraie mission de service public. Cette décision si soudaine est incompréhensible.

Virginie Pencole, secrétaire générale de la Comédie de Caen

La raison est financière. Le ministère de l'Éducation, qui gère la part collective du pass culture, explique "qu'au regard de la situation budgétaire, il a été demandé aux services académiques et aux chefs d'établissement d'inciter les établissements n'ayant pas encore réservé d'action pour l'année en cours à le faire pour bloquer les crédits : 50 millions d'euros jusqu'en juin". Le plafond a donc vite été atteint vendredi.

Sur la forme, comme sur le fond, le monde culturel reste néanmoins abasourdi. Beaucoup ont entendu le discours de Rachida Dati, la ministre de la Culture, rappelant son plan Culture et ruralité, lors de ses vœux, deux jours avant, le mercredi 29 janvier, avec "son souci d’aller à la rencontre des publics qui ne viennent pas forcément dans nos lieux, notamment parce qu’ils en sont éloignés".

L'accès à la culture dans les territoires éloignés, remis en question ?

À Vire justement, dans la circonscription d'Elisabeth Borne, la ministre de l'Education nationale, la direction du CDN le Préau espère trouver des solutions avec les établissements scolaires. "Nous représentons la seule offre culturelle labellisée "théâtre contemporain" à 45 minutes à la ronde. Nous  travaillons depuis six mois avec les enseignants pour élaborer des parcours éducatifs et culturels sur des sujets de société. Et c'est un coup d'arrêt", précise Marine Costard, directrice des relations avec les publics et communication. 

© OLEKSANDR KOSMACH

Avec le pass Culture, le Préau de Vire organise chaque année des ateliers de pratiques et des résidences, au sein d'une vingtaine de collèges et lycées. Les élèves peuvent aussi assister à des représentations. Notamment lors de leur temps fort, en mai, avec le festival "À VIF", destiné aux adolescents.

"Pendant une semaine, nous proposons 4 spectacles soit 20 représentations dont 16 sont réservées aux scolaires et 95% financées par le Pass culture", précise Jeanne Daudel, la directrice administrative et financière du Préau, qui fait les comptes depuis deux jours.  

L'impact ? Une perte de 56% des réservations scolaires jusqu'en juin. Cela veut dire que 1 600 élèves ne vont pas pouvoir bénéficier de nos propositions artistiques, spectacles, ateliers ou résidences, comme c'était prévu. Pour les compagnies artistiques, c'est énorme. Douze projets vont être concernés.

Jeanne Daudel, la directrice administrative et financière du Préau à Vire

La direction du Préau ne se résout pas à perdre ce lien avec les écoles du territoire. Le constat reste amer mais l'espoir demeure de trouver une solution avec les établissements scolaires. "Nous n'imaginons pas faire le festival "À VIF", sans les élèves. C'est parfois leur seule sortie de l'année. Dans un premier temps, nous appelons donc nos partenaires un par un pour voir ce que l'on peut faire. Puis, nous solliciterons les pouvoirs publics, s'il le faut".

Pendant une semaine, Le festival "A VIF" proposons 4 spectacles soit 20 représentations dont 16 sont réservées aux scolaires et 95% financées par le Pass culture." © Droits réservés

Réouverture de la plateforme "dans les prochains jours"

Les syndicats d'enseignants, aussi, montent au créneau et réclament, dans un communiqué, publié ce mardi, "le maintien des financements de tous les projets culturels lancés pour l'année scolaire 2024/2025". 

Partout, la contestation gronde et se fait entendre jusqu'à l'Assemblée nationale. L'après-midi même, devant les députés, la ministre Elisabeth Borne, si attachée à Vire, a dû rassurer, en annonçant la réouverture de la plateforme Adage, "dans les prochains jours. Tous les projets culturels validés ou pré-reservés lancés par les enseignants pour l'année scolaire seront financés".

Depuis 2022, le succès du Pass Culture est incontestable. 80% des élèves du secondaire ont poussé la porte d'un théâtre, d'un musée ou d'un lieu de mémoire grâce à ce dispositif, l'an dernier. Ce succès, il faut le conforter.

Élisabeth Borne, ministre de l'Education nationale

A l'Assemblée nationale, le 4 février 2025

Une réforme du pass Culture en 2025 ? 

Mais le débat se poursuit, au sein de l'exécutif. La part individuelle, gérée par le ministère de la Culture est, elle aussi, dans le collimateur. Le gouvernement dit "étudier" sa suppression pour les moins de 17 ans.

Toujours lors de ses vœux, Rachida Dati avait d'ailleurs indiqué vouloir "engager une réforme du pass Culture, en assumant d’avoir un regard critique sur ce qui ne marche pas, et constructif pour en améliorer le fonctionnement."  Avant de conclure et de se réjouir à propos du "dernier bilan qui indique +30 % pour le spectacle vivant sur le Pass Culture !".

C'est peut-être ça le problème. Ce pass, qui se vante sur son site de concerner 4 millions d'utilisateurs de 15 à 20 ans, s'avère victime de son succès. Surtout en pleine crise budgétaire. 

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