Grande figure de la communauté afro-américaine, Charity Adams voit son histoire remise en lumière à l'occasion d'un film diffusé sur la plateforme de streaming Netflix. La première femme noire officier de l'US Army fut à la tête d'un bataillon de 855 soldates qui débarqua dans l'agglomération rouennaise au printemps 1945.
La ville de Petit-Quevilly s'est emparée d'une page oubliée de son histoire. La découverte remonte à une dizaine d'années. Michel Croguennec, archiviste dans la commune, tombe sur une photo en noir et blanc dont la scène l'intrigue. Il y voit une femme noire de l'armée américaine devant un bâtiment emblématique de la commune.
J'ai tout de suite reconnu l'ancienne usine de la Foudre qui deviendra par la suite la caserne Tallandier. Cela m'a beaucoup étonné de voir ces soldats. Que faisaient-ils devant l'entrée du bâtiment ? J'ai commencé à tirer le fil et j'ai découvert l'histoire.
Michel Croguennec, archiviste au Petit-Quevilly
855 postières afro-américaines commandées par une femme officier
Cette histoire, c'est celle d'un régiment de 855 postières afro-américaines, seules combattantes de l'US Army engagées en dehors des États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces femmes avaient pour mission de trier les lettres et de les envoyer aux troupes américaines qu'elles suivaient sur le front.
À la tête du 6 888th Central Postal Directory Batallion, Charity Adams, première femme noire nommée officier de l'armée américaine. C'est elle qui figure au centre de la photo retrouvée par Michel Croguennec. "J'ai redécouvert une page de l'histoire complètement oubliée de la mémoire communale. J'en ai parlé à quelques Quevillais qui se souvenaient de cette présence. J'ai ensuite contacté les archives de l'armée américaine qui m'ont apporté des informations supplémentaires", détaille Michel Croguennec.
J’ai regardé Messagères de guerre ce soir sur Netflix, un très bon film qui met en lumière un bataillon de femmes afro-américaines durant la Seconde Guerre mondiale.
— Maxime Franck 🎬 (@MaximeFranckk) January 12, 2025
Je recommande! pic.twitter.com/14egdXC57X
À partir de 1945, ces postières suivirent les soldats américains sur le front allié en Europe. Comme les secrétaires, les standardistes, les conductrices de camions ou les mécaniciennes, elles forment les unités non-combattantes de femmes destinées à faire face au manque de soldats américains. Leur quotidien est raconté dans un film intitulé "Messagères de guerre" et actuellement disponible sur la plateforme Netflix.
6 millions de lettres et de colis traités par mois
D'abord envoyé pendant deux mois à Birmingham en Angleterre, le régiment suit l'avancée des troupes en Europe et s'installe dans l'agglomération rouennaise en mai 1945. Ce sera dans l'ancienne caserne de la Foudre. Durant leur séjour quevillais, les postières ont pour mission de trier et d'expédier 6 millions de lettres et colis par mois, envoyés aux troupes américaines. La cadence est infernale. Elles travaillent 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.
"À la Libération, l'armée américaine a réquisitionné le bâtiment. Quand le régiment est arrivé, il avait besoin de place. Il avait été mis à sa disposition de grands plateaux avec des tables pour le tri et dans les étages, des chambrées avaient été aménagées", précise Michel Croguennec.
Cantonnées à leur dur labeur et cloîtrées la plupart du temps dans leur caserne, ces femmes n'avaient que de rares occasions de sortir en ville. Mais quand cela devenait possible, leur présence intriguait et attirait l'attention des soldats américains stationnés dans la région. C'est la raison pour laquelle les femmes du 6 888th Control Postal Directory Batallion suivront un temps des cours de self-défense pour calmer les ardeurs de leurs compatriotes militaires.
Les postières, stars du défilé des fêtes Jeanne d'Arc à Rouen
Peu après leur arrivée sur le sol normand, elles susciteront également la curiosité de la population locale lorsqu'elles défilèrent à Rouen pour les fêtes Jeanne d'Arc les 26 et 27 mai 1945. "Elles ont marqué les esprits. Alors qu'elles vivaient la ségrégation dans leur pays, elles ont découvert en France les dancings où elles pouvaient côtoyer des Blancs", souligne l'historien Thierry Chion. "Elles goûtaient pour la première fois à la liberté".
Le 19 août 1945, l'une d'entre elles épouse un soldat américain à Rouen. Il s'agit du 1er mariage entre troupes noires sur le théâtre d'opération européen. En novembre 1945, le régiment quitte Petit-Quevilly pour Paris et ne reviendra qu'en mars 1946 aux États-Unis, apportant la preuve, s'il le fallait, qu'une femme noire pouvait aussi bien servir son pays qu'un homme blanc.
🕊️CÉRÉMONIE EN HOMMAGE À CHARITY ADAMS🇺🇸
— Petit-Quevilly (@Petit_Quevilly) June 26, 2023
➡️Charlotte Goujon, maire, et le conseil municipal de Petit-Quevilly ont le plaisir de vous convier à la cérémonie hommage à Charity Adams ce 28 juin à 12h30 à l'Hôtel de ville en présence de la délégation américaine 6888th Legacy Tour ! pic.twitter.com/4OUzCLiTEl
De nos jours, le souvenir de ces "messagères de guerre" demeure à Petit-Quevilly. Le 28 juin 2023, la commune se fait reconnaissante en donnant à l'une de ses rues le nom de Charity Adams. Une cérémonie en présence de descendants de ce bataillon qui aura écrit une page de l'histoire de la ville en à peine cinq mois.