Les élections des chambres d’agricultures se terminent ce 31 janvier. C’est un événement important pour le monde agricole et les enjeux sont nombreux : crise agricole, changement climatique, grande distribution, place de l’agriculture biologique. Découvrez nos explications et notre débat en vidéo.
En Normandie, il suffit de traverser la région pour constater que l’agriculture occupe une place importante dans le paysage. Et ce n’est pas qu’une impression : les surfaces agricoles destinées à l’élevage ou aux cultures représentent 70 % du territoire, c’est l’emprise agricole la plus importante en France.
D’après la Chambre d’agriculture, l’image d’Épinal de la Normandie productrice de beurre et de camembert correspond bien à la réalité : la région est la première productrice de fromage de vache, de beurre et de crème. Selon cette même source, elle est aussi la première productrice de lin textile, de pommes à cidre et compte le plus grand nombre de chevaux.
>>Pour en savoir plus sur l’agriculture en Normandie : Ce qu'il faut savoir sur l’agriculture en Normandie, entre pratiques intensives et raisonnées.
Ces chiffres ne suffisent pourtant pas à cacher les évolutions et les difficultés du secteur : la Normandie n’échappe pas à la métamorphose du paysage agricole français. Selon le Ministère de l’agriculture, en 1970, la région comptait 115 000 fermes, en 2020, elles n’étaient plus que 26 000. Par ailleurs, que ce soit en Normandie, ou dans le reste de l’hexagone, les agriculteurs doivent faire face à de nombreuses difficultés, comme en témoigne cet article.
Que ce soit pour organiser le développement de la production agricole ou pour venir en aide aux acteurs de la filière, les Chambres d’agriculture sont un acteur essentiel du secteur. Si l’élection des représentants de cette assemblée qui a lieu en ce moment ne fait pas la une des médias, ce rendez-vous reste un événement important pour le monde paysan.
À cette occasion, France 3 Normandie se mobilise : retrouvez notre émission “Dimanche en Politique” spéciale agriculture présentée par Franck Besnier.
Au programme, un débat entre nos invités :
- Anne-Marie Denis, Présidente de la FRSEA.
- Stéphane Bourlier, porte-parole de la confédération paysanne du Calvados.
- Yannick Bodin, Président de la coordination rurale en Normandie.
Retrouvez l’essentiel du débat et des enjeux de cette élection dans la suite de cet article.
La chambre d’agriculture, qu'est-ce que c'est ?
En France, les chambres d’agriculture sont reparties sur tout le territoire : une chambre par région, une par département et une chambre nationale qui rassemble des élus de la France entière. En Normandie, entre la chambre régionale et les sections départementales, ce sont plus de cinquante sièges qui sont à pourvoir. Les chambres sont renouvelées tous les 6 ans, elles sont élues au suffrage universel par les professionnels du monde agricole dépendant de la MSA (mutualité sociale agricole).
Cette institution, représentative du monde agricole, rassemble des exploitants, des propriétaires, des salariés et des groupements professionnels. Si les chambres d’agriculture ont un rôle important de lobbying auprès des décideurs, cette assemblée, elle-même, est composée d’élus qui portent différentes visions de l’agriculture, notamment les syndicats.
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Sébastien Windsor, qui occupait le siège de président de la Chambre d’agriculture de Normandie était aussi le président de la chambre nationale. Diplômé de l'école des mines de Nancy, il est cogérant d’une entreprise agricole spécialisée dans la culture des céréales en Seine-Maritime. Il siège également au CESE : une assemblée consultative qui représente la société civile et qui conseille le Gouvernement et le Parlement.
Au total, en France, les Chambres d’agriculture rassemblent 3 200 élus, elles représentent et accompagnent 416 000 exploitations.
Sur le site officiel, on peut lire que les principales missions sont :
- le conseil aux entreprises agricoles et aux collectivités.
- porter la parole des agriculteurs auprès des pouvoirs publics
- accompagner les projets de développement et d’aménagement du territoire.
- jouer aussi un rôle dans la recherche et dans la transmission des nouvelles pratiques agricoles.
À titre d’exemple, ce sont les chambres d’agriculture qui développe la marque “Bienvenue à la ferme”, un label qui met en valeur les produits fermiers et l’accueil du public au sein des exploitations.
Plus d'infos sur la Chambre d'agriculture en vidéo :

Les grands enjeux de cette élection
Quand on évoque la question de l’agriculture avec les Normands, on se rend vite compte que la population a plutôt tendance à soutenir les femmes et les hommes qui font vivre le monde rural. Le public est sensible aux difficultés du secteur et déclare vouloir acheter des produits sains et locaux. Les difficultés financières, les marges qui diminuent sont aussi au cœur des discussions. Un ensemble d’enjeux qui vont influencer les votes aux élections des Chambres d’agriculture et qui ont été évoqués dans notre émission spéciale.
Quel modèle pour l’agriculture de demain ?
Le monde agricole est donc en perpétuelle évolution, il est aussi très dépendant de l’agro-industrie. C’est elle qui dicte les prix d’achat (du lait, des céréales, etc…), mais aussi le prix de vente de l’ensemble des produits nécessaires aux cultures : pesticides, semences, engrais ou encore médicaments pour le bétail. Pour Yannick Bodin, président de la coordination rurale de la Manche, il faut revoir la répartition des marges.
Entre 2001 et 2022, la marge de la grande distribution a augmenté de plus de 190 % et de 64 % dans l’agro-industrie, mais elle a diminué de 4 % pour les agriculteurs.
Yannick BodinPrésident de la coordination rurale de la Manche
Selon le syndicaliste, sur un caddie de supermarché d’une valeur de 100 euros, 7 euros seulement iront aux agriculteurs.
Sur la question des pesticides qui revient régulièrement dans le débat public, Anne-Marie Denis, présidente de la FRSEA, défend une agriculture “raisonnée”. Le syndicat normand met en avant une diminution du recours aux pesticides et une réduction de l’utilisation des médicaments pour l’élevage, mais sans aller jusqu'à une interdiction pure et simple qui mettrait en danger les exploitations.
Sur les produits phytosanitaires, il faut prendre du temps (...) mais les agriculteurs en sont les premières victimes, nous avons tout intérêt à en mettre moins
Anne-Marie DenisPrésidente de la FRSEA Normandie
Pour avancer sur le sujet, la syndicaliste met en avant la recherche et la mise en place de nouvelles pratiques.
S’adapter aux changements climatiques
Un des grands sujets qui touche le monde agricole, c’est aussi l’adaptation au changement climatique, l’actualité récente en témoigne : catastrophes naturelles (inondations, sécheresse, etc…) ou encore la météo qui ne permet pas toujours d’obtenir les rendements attendus
Pour Stéphane Bourlier, porte-parole de la Confédération Paysanne dans la région, le problème n’est pas nouveau. Il rappelle que son syndicat défend une ”agriculture paysanne” plus respectueuse de l’environnement, mais qui s’adapte aussi plus facilement aux aléas climatiques.
Quand il n’y a plus de haies, qu’il n’y a que des grandes parcelles, l’eau n’est plus retenue. Toutes nos propositions visent à répondre à ce problème.
Stéphane BourlierPorte-parole de la Confédération Paysanne
On le voit quand on regarde ce débat entre les trois syndicalistes : lors de ces élections à la Chambre de l’agriculture, ce sont différentes visions de l’agriculture moderne qui s’affrontent.
Laisser de la place aux jeunes
Point important enfin pour l’avenir de l’agriculture dans la région : la place des jeunes agriculteurs, et leurs difficultés à s'installer.
Anne-Marie Denis constate que les lycées agricoles sont pleins, ce qui témoigne de l'intérêt des jeunes pour le secteur. Mais la syndicaliste insiste sur sa volonté d’installer des jeunes qui vivent leur métier dans de bonnes conditions, de confort et financièrement.
Il faut avoir un revenu juste face au travail fourni.
Anne-Marie DenisPrésidente de la FRSEA Normandie
Mais pour s’installer en tant qu’agriculteur, il faut d’abord acquérir des terres. Sur ce sujet, c’est la Safer qui encadre l’acquisition des parcelles agricoles : cette institution créée pour réorganiser les exploitations afin de les rendre plus productives à une influence controversée sur l’installation des jeunes.
Yannick Bodin en a lui-même été témoin lorsque les 15 hectares de terres qui auraient pu permettre à un jeune de s’installer ont été finalement attribués pour l’agrandissement d’une exploitation déjà existante de 140 hectares.
On veut de nouveaux agriculteurs, mais tous les moyens ne sont pas donnés pour leur permettre de s’installer.
Yannick BodinPrésident de la coordination rurale de la Manche
Pour Stéphane Bourlier, il faut revoir les priorités de la Safer, permettre les installations sur des petites surfaces et favoriser les fermes collectives.
Les agriculteurs sont de plus en plus isolés dans les campagnes, il faut des projets collectifs.
Stéphane BourlierPorte-parole de la Confédération Paysanne