Tempête sur la Manche : le port du Havre avait-il le droit de refuser d'accueillir un chalutier cherbourgeois ?

Le chalutier Maranatha II pêchait au large du Havre vendredi 18 février quand la tempête Eunice balayait la Manche. Le deuxième port français aurait refusé de l'accueillir. Le navire cherbourgeois s'est alors dirigé vers Honfleur.

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En l'espace d'un weekend, le nord de la France a été secoué par deux tempêtes successives. Franklin a entraîné ce lundi matin d'importantes perturbations sur la circulation des trains régionaux mais aussi sur certains ouvrages comme les ponts de Normandie et de Tancarville. Plus de 16 000 foyers sont privés d'électricité, selon Enedis. Plusieurs d'entre eux n'ont plus de courant depuis vendredi. Eunice, la grande sœur de Franklin, a laissé des traces sur les équipements mais aussi dans les mémoires.

Des coups de vent, le capitaine du Maranatha II, en a vu beaucoup au cours de sa longue carrière. "Je n'ai pas peur à la mer, jamais", lance Laurent Ruen. Pour autant, il reste conscient des dangers et des ses responsabilités. "J'ai emmené du monde, il faut que je les ramène. J'ai toujours ramené mon équipage et j'aimerais bien aller jusqu'au bout comme ça." Alors, ce vendredi 18 février, alors que la tempête Eunice souffle à plein poumon sur la Manche avec des vents de 70 nœuds (près de 130 km/h), l'heure n'est plus à la pêche mais à la quête d'un abri. A 20 milles du Havre, c'est tout naturellement que le capitaine Maranatha II prend contact avec l'un plus gros ports français. Quelques minutes après un premier appel, le couperet tombe : "vous ne pouvez pas entrer".  

Quand Le Havre porte mal son nom ?

L'ordonnance d'août 1681 de Colbert aussi appelée code de la Marine donne la définition suivante : "Le port ou le havre sont synonymes, c'est un lieu où mouillent les vaisseaux et où ils sont en assurance contre les tempêtes et les vents." Si aujourd'hui, le texte n'a plus de valeur légale, ses grands principes ont été intégrés dans notre droit contemporain : le port reste un endroit où un bateau et son équipage peuvent se mettre à l'abri, notamment lorsque la tempête fait rage. Mais ce vendredi 18 février, Le Havre semblait porter bien mal son nom. "C'est la première fois !", affirme Laurent Ruen, "il n'y a pas beaucoup de monde à qui c'est arrivé, à part en Angleterre où certains se sont faits refouler mais c'est tout."

La loi prévoit pourtant des exceptions. L'autorité portuaire peut refuser d'accueillir un navire qui n'est pas en règle administrativement (absence d'assurance ou de certificat de garantie) ou fait l'objet d'un avis d'expulsion d'un autre Etat membre de l'Union européenne. L'article L5241-4-5 du code des transports stipule également que "l'autorité administrative refuse l'accès aux ports à tout navire présentant un risque élevé pour la sécurité maritime, la sûreté maritime ou pour l'environnement." Le Maranatha II présentait-il une de ces caractéristiques ?

Trop de vent pour ouvrir le sas

Pour le propriétaire du bateau, l'Armement cherbourgeois, ce n'était absolument pas le cas. Sophie Leroy, la directrice de l'entreprise alertée par son capitaine, contacte à son tour le port du Havre. "Ils m'ont confirmé qu'ils ne feraient pas rentrer le bateau parce qu'il n'y avait plus de place et que les conditions météorologiques ne leur permettaient pas d'ouvrir le sas", raconte l'armatrice, qui s'indigne : "Au moment où on leur demandait de rentrer, il y avait un navire de 400 mètres qui se faisait hélitreuiller un pilote à bord pour pouvoir rentrer. Lui, il n'y a pas eu de problème. Une heure avant, il y a des navires de pêche étrangers qui sont rentrés et n'ont pas eu de problème non plus."

Sophie Leroy encaisse mais ne plie pas. "J'ai prévenu le port du Havre que j'allais appeler le Cross Jobourg, que j'avais un bateau de 22 mètres avec cinq hommes d'équipage avec 70 nœuds de vent qui attendaient de se mettre à l'abri et que je ne trouvais pas la situation normale."  Le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross) travaille sous l'autorité du préfet maritime, représentant de l'Etat. Or, selon le code des transports, c'est l'Etat qui "détermine les conditions d'accueil des navires en difficulté". L'article L5331-3 stipule ainsi que "l'autorité administrative enjoint s'il y a lieu à l'autorité portuaire d'accueillir un navire ayant besoin d'assistance. Elle peut également, s'il y a lieu, autoriser ou ordonner son mouvement dans le port".

Noyer le poisson pour le débarquer ?

Mais cette fois-ci, l'Etat n'a pas enjoint le port à ouvrir ses portes au chalutier cherbourgeois. Et le bateau de se rabattre sur le port de Honfleur.  "Je trouve ça aberrant et scandaleux de laisser un bateau dans une cette situation", tempête Sophie Leroy, "Franchement, je pensais que le Cross avait autorité sur le port du Havre." L'autorité de l'Etat est bien réelle dans ce domaine, mais elle s'appuie sur la réalité de la situation pour s'exercer. "Les conditions de sécurité étant difficiles et le Maranatha ne manifestant pas d'urgence à se mettre à l'abri dans un lieu où il ne pourrait débarquer, l'intervention du Cross a permis de dégager la solution de Honfleur, visiblement mieux adaptée", indique ainsi la préfecture maritime en réponse à la demande d'explication formulée le jour-même par le comité régional des pêches.

Au Havre, le commandant du port, Nicolas Chevry, est formel : "Si on avait eu une demande de la part du navire ou du Cross de mettre le bateau en sécurité dans le port, on lui aurait trouvé un poste à quai. On n'a jamais refusé au Havre d'accueillir un navire en difficulté." Car selon l'autorité portuaire havraise, la nature de la demande formulée par le Maranatha II en début d'après-midi était toute autre. "Le bateau nous a demandé de rentrer dans le bassin Bellot pour débarquer les produits de sa pêche." Or, à ce moment de la journée l'opération est impossible. "Avec la surcote de la marée, l'eau est passée par-dessus les portes de l'écluse et il n'était plus possible de la manœuvrer jusqu'à 16 heures. Les conditions de mer et de vent dans l'avant-port ne permettaient pas de lui donner un quai pour faire cette opération en toute sécurité (...) On aurait mis en danger à la fois le navire et l'équipage en faisant cela", plaide le commandant de port.

Une mise en sécurité possible au Havre

"Effectivement, on avait prévu de débarquer le bateau au Havre", reconnait Sophie Leroy, l'armatrice cherbourgeoise, avant de se défendre : "mais si le port du Havre nous avait dit : vous ne pouvez pas débarquer mais vous pouvez vous mettre à un endroit, le bateau n'aurait pas débarqué." Au Havre, on indique avoir proposé au Maranatha II d'attendre dans l'avant-port jusqu'à 16 heures, le temps que l'écluse soit de nouveau manœuvrable. Une solution de mise en sécurité dans la partie aval a même été étudiée et trouvée, assure le commandant. "Mais il (le bateau cherbourgeois) ne nous a pas demandé un poste en sécurité. Il a préféré aller à Honfleur où il a débarqué sa pêche", raconte Nicolas Chevry, "Comme le Cross, on l'a suivi au radar. Il ne nous a fait part d'aucune difficulté." Et de noter, non sans une certaine ironie : "il est reparti d'Honfleur vers 23 heures, alors que la situation était peut-être pire qu'en début d'après-midi, du moins pas vraiment meilleure.

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