Chasse : réguler la population de sangliers, un défi pour la survie des forêts et des terres agricoles

Depuis les années 1970, le nombre de sangliers a été au moins multiplié par 20 en France. En cause notamment : le réchauffement climatique. La chasse reste le principal levier pour éviter la prolifération de ces animaux sauvages.

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En plein cœur de l’hiver, un dimanche matin pluvieux, rythmé par les rafales de vent, Alain Pelletier a donné rendez-vous à une quarantaine de chasseurs à Incheville (Seine-Maritime), dans la forêt d’Eu.

Pour le vice-président de la Fédération de chasse de Seine-Maritime, la journée commence toujours de la même façon. Un briefing pour rappeler à tous les consignes de sécurité.  "Vous ne quittez pas votre poste pendant la battue, même si un animal est blessé", rappelle Alain Pelletier.

Un objectif de 8 sangliers par journée de chasse

Tous ont en tête les objectifs fixés par le plan de chasse : "dans ce massif forestier, nous devons abattre en moyenne 100 sangliers chaque année" explique Alain Pelletier, "cela fait une moyenne de huit par journée de chasse".

Ce nombre est déterminé en fonction des dégâts constatés notamment dans les parcelles agricoles. Chasseurs, associations de protection de la nature, forestiers, collectivités locales et services de l’Etat se concertent régulièrement pour établir un schéma départemental de la chasse sur six ans.

Illustration de sols retournés par les sangliers en recherche de nourriture en forêt de Bord Louviers (Eure) © FTV

"Si on rate son tir, toute la horde s’enfuit" 

Mais la réalité des journées de chasse complique souvent l’exercice. Ce dimanche de décembre, la tempête joue les trouble-fêtes.

"Engoncés dans nos vêtements, le vent nous empêche d’entendre les rabatteurs et le bruit du gibier" confie Hervé Chrétien, chasseur depuis 40 ans. "Les sangliers se déplacent souvent par 10 ou 12. C’est plus difficile qu’un animal solitaire comme le chevreuil. Quand on tire, si on rate son coup, toute la horde s’enfuit".

Ce jour-là, seul un sanglier sera abattu. Un bracelet est placé sur l’animal pour l’identifier. Coût du précieux bijou : 50 euros, à la charge des chasseurs. Tuer un gros gibier a donc un prix. Cette somme participera à la prise en charge des dégâts causés par les sangliers. Car depuis 1968, la loi impose aux fédérations de chasse d’indemniser les agriculteurs dont les cultures ont été saccagées par les suidés.

1,4 million d'euros d’indemnisation

En 2023, la Fédération de chasse de Seine-Maritime a ainsi déboursé 1,4 million d’euros pour compenser les pertes des cultivateurs. Cela représente près de la moitié de son budget. Les montants d’indemnisation sont établis en fonction du prix des denrées alimentaires : si le cours du blé ou du lin monte, la facture sera plus élevée pour les chasseurs. Certaines fédérations tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme car leurs comptes sont dans le rouge.

Ce n’est pas encore le cas en Seine-Maritime. Mais le budget consacré à la prise en charge des dégâts agricoles ne cesse d’augmenter. Le seuil à partir duquel les agriculteurs peuvent bénéficier d’une indemnisation a été abaissé. Conséquence : les dossiers se multiplient.

Voyez le reportage complet réalisé par Emmanuelle Partouche, Eric Pierson, Didier Meunier, Ivan Waskovit et Maxime Besnard (montage : Stéphanie Pierson) :

30% du territoire n’est pas chassable

José Doméné-Guérin, président de la Fédération de chasse de Seine-Maritime, regrette un paradoxe. 

30% du territoire de la Seine-Maritime n’est pas ou peu chassé par idéologie, parce que ce sont des zones industrielles ou des falaises. Nous ne pouvons pas chasser sur ces zones mais nous devons quand même indemniser les dégâts à proximité.

José Doméné-Guérin, président de la Fédération de chasse de Seine-Maritime

Marécages inaccessibles, bois privés où le propriétaire refuse de chasser, zones urbaines, les lieux où le sanglier a la belle vie sont nombreux.

En 2024, en Seine-Maritime, 12 000 sangliers ont été "prélevés" comme le disent les chasseurs. C’est deux fois plus qu’il y a 10 ans. Et pourtant selon José Doméné-Guérin : "même avec ce doublement nous ne sommes pas certains de prélever l’accroissement de la population".

D’après le rapport parlementaire d’Alain Perea et Jean-Noël Cardoux de 2019, le nombre de sangliers a été multiplié par 20 depuis les années 1970. Un chiffre approximatif car il est calculé en fonction des suidés abattus.

D'après l'ONF, la moitié des surfaces en forêt domaniale en France souffre d'un déséquilibre en ongulés. (sangliers, cervidés, chevreuils) © ONF

Des territoires en déséquilibre

Désormais, au moins un million de ces cochons sauvages peuplerait nos campagnes mais aussi nos villes. Sur les réseaux sociaux, les photos et vidéos donnent régulièrement à voir les sols retournés par les sangliers comme en cette fin décembre à Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime), où le parc entourant l’école des Compagnons du devoir a été fouillé par des groins affamés.

A une centaine de kilomètres plus au sud, dans l’Eure, en forêt domaniale de Bord Louviers, Thibault Hussonnois, technicien forestier à l’Office national des forêts, relève lui aussi les nombreux indices de présence des sangliers. Outre les sols retournés, ce sont surtout les jeunes plants arrachés qui lui posent problème.

Cette parcelle a dû être plantée deux fois en forêt domaniale de Bord Louviers (Eure). Les sangliers avaient arraché l'essentiel des plants de pins laricio. Un surcoût majeur pour l'ONF. © FTV

Le forestier nous emmène dans une parcelle de pin laricio. Une essence privilégiée pour faire face au réchauffement climatique : "nous avons planté une première fois en 2020. 70 à 80% des plants ont été arrachés par les sangliers à la recherche de nutriments dans les racines notamment. Nous avons dû la replanter l’année suivante ce qui a doublé le coût pour le renouvellement de cette parcelle".

Maintenir la forêt : un défi coûteux

Dans cette forêt, près de 10% des surfaces sont consacrés à la régénération. "L’objectif principal du forestier est de faire pousser des arbres. Cette parcelle arrivera à terme dans 80 ans. D’ici là, il faut réguler les populations de gibier afin d’éviter les différents dégâts sur nos futurs arbres" poursuit Thibault Hussonnois.

Cette clôture électrique de 80 cm de haut vise à repousser les sangliers pour protéger une parcelle de plantation en forêt domaniale de Bord Louviers (Eure). © FTV

A quelques mètres de là, dans une autre parcelle qui sera plantée prochainement, Thibault Hussonnois a installé une clôture électrique avec le soutien financier des chasseurs locaux. Des barrières plus hautes sont régulièrement implantées en forêt par l’ONF.

Ces dispositifs pour éloigner les sangliers renchérissent le coût des plantations. En moyenne, il faut compter 6 à 8 000 euros par hectare et 2 000 euros de plus avec ces grillages.

Thibault Hussonnois, technicien forestier à l’Office national des forêts

Sangliers mais aussi cervidés et chevreuils, les destructeurs potentiels de la forêt sont nombreux. "Le retournement du sol par les sangliers à la recherche de nourriture n’est pas problématique en soi" précise Antoine Cambien, responsable du service chasse à l’agence ONF de Rouen. "Lorsque cela reste dans des proportions raisonnables, ça permet de travailler le sol. En forêt domaniale de Bord Louviers comme d’autres en France, les sangliers sont en surpopulation. Ce qui génère des problématiques pour le renouvellement forestier".

D’après l’ONF, plus de la moitié des surfaces des forêts domaniales sont dans cette situation de déséquilibre à cause d’une trop forte présence de cerfs, de chevreuils, de biches et de sangliers.

Les raisons de la prolifération

Pourquoi le nombre de sangliers a-t-il explosé ces cinquante dernières années? Plusieurs facteurs sont avancés. D’abord, un facteur ancien : dans la première moitié du XXème siècle, le loup et le lynx, principaux prédateurs du sanglier, ont disparu du territoire français.

Ensuite, avec le remembrement agricole, les parcelles se sont agrandies, devenant de vastes terrains de liberté pour les sangliers où les chasseurs ne peuvent pas aller. Le développement de la culture du maïs a été également synonyme d’alimentation abondante pour l’animal.

Sans compter le réchauffement climatique. 

On a moins d’hivers rigoureux, des femelles qui font plus de jeunes, moins touchés par la mortalité naturelle. On a plus de production de fruits forestiers car un arbre stressé par la chaleur aura tendance à produire davantage de fruits. Plus d’alimentation, cela signifie plus de reproduction.

Antoine Cambien, responsable chasse - ONF Rouen

La chasse, principale solution

Autre facteur selon lui : la gestion de cette espèce par les chasseurs. "Il y a eu dans les années 1980 une gestion conservatrice de ce gibier qui était plus rare, Aujourd’hui, les facteurs ont changé. On a une population très présente et la gestion tarde à s’inverser. On n’est plus dans la gestion du manque mais dans la gestion de l’abondance. Il faut mettre en place des mesures qui permettent de revenir à une situation viable pour la forêt et pour les cultures agricoles".

Le président de la Fédération de la chasse de Seine-Maritime le reconnaît. "Le chasseur est par nature conservateur. Il veut du gibier. Mais il faut augmenter nos prélèvements".

En Seine-Maritime, 12 000 sangliers ont été prélevés en 2024, c'est deux fois plus qu'il y a 10 ans. © FTV

Pour y parvenir, désormais, le sanglier est chassable toute l’année, du 1er janvier au 31 décembre, au-delà donc des périodes de chasse officielles, moyennant certaines demandes de dérogation.

La préfecture de Seine-Maritime a également autorisé ponctuellement le tir de nuit. Les 20 et 21 février 2024, dans le secteur des Loges, près d’Etretat, des louvetiers du département - des chasseurs d’animaux nuisibles - ont tué 13 sangliers à l’aide de carabines dotées de visée nocturne. Un prélèvement qui s’ajoute au tableau des chasseurs locaux en augmentation.

En ville, où le sanglier a fait son entrée et n’hésite plus à s’approcher des maisons et des établissements scolaires, plusieurs communes autour de Rouen ont fait le choix d’installer des cages de piégeage, là où les tirs sont impossibles. Une mesure pas toujours très bien perçue, qui révèle le nécessaire équilibre entre bien-être animal et sécurité des populations.

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