Enfants en danger : "La justice des mineurs est confrontée à l'une des crises les plus graves de son histoire"

À Rouen, l'Ordre des avocats tenait, lundi 3 février 2025, une conférence exceptionnelle pour alerter sur l'état de la justice des mineurs. Son message : le manque criant d'effectifs est une menace à la mission publique de protection de l'enfance.

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Franck Langlois, bâtonnier du barreau de Rouen, a convié lundi matin une vingtaine de ses confrères, la presse, mais aussi le procureur de Rouen et le président du tribunal de grande instance. 

Avocats et magistrats tirent la sonnette d'alarme

Une invitation solennelle, à une date qui n'a pas été choisie au hasard, presque 80 ans jour pour jour après l'Ordonnance du 2 février 1945, qui a créé la fonction de juge des enfants. 

"La justice des mineurs est confrontée à l'une des crises les plus graves de son histoire", lance immédiatement le bâtonnier devant son auditoire.

De gauche à droite : Matthieu Duclos, Président du TGI de Rouen ; Franck Langlois, bâtonnier du barreau de Rouen ; Sébastien Langlois, procureur de la République de Rouen. © Medhi Weber

Et pour cause, depuis des mois, les juges des enfants de Rouen sont submergées (ce sont toutes des femmes) par les dossiers de mineurs en danger. En moyenne plus de 600 par cabinet.

Alors qu'il en faudrait presque deux fois moins pour pouvoir tous les traiter correctement, selon Franck Langlois. 

Des conséquences graves pour les mineurs en danger

Cette surcharge de travail est d'abord une vraie menace en premier lieu pour les enfants en danger que la justice a pour mission de protéger. Face à l'explosion des procédures, les juges mettent parfois plusieurs mois à rendre leurs décisions.

Un laps de temps durant lequel aucune mesure ne peut être prise. Avec le risque que des mineurs continuent d'être victimes de violences au sein de leur foyer.

En France, fin 2023, on estimait ainsi que plus de 3 300 enfants en danger étaient maintenus dans leur famille faute de place d'accueil disponible (sondage réalisé par le Syndicat de la magistrature en septembre 2023). 

"Les juges vivent tous les jours avec la crainte de passer à côté d'une situation grave", explique Matthieu Duclos, président du tribunal de grande instance de Rouen.  

Et les conséquences pour les justiciables ne s'arrêtent pas là.

De plus en plus de décisions sont rendues sans audience, et de nombreux jugements sont rendus sans être motivés, par manque de temps. [...] Rappelons pourtant qu'enlever un enfant à sa famille n'est pas un acte anodin et que l'accès au juge est fondamental.

Franck Langlois, bâtonnier du barreau de Rouen

Résultat : certains parents ne se feront jamais expliquer de vive voix les raisons qui poussent la justice à leur retirer la garde de leur enfant. Une démarche pourtant essentielle pour espérer que le placement soit accepté par la famille, pour le bien du mineur. 

Une fois placés, les enfants devront d'ailleurs attendre entre 12 et 18 mois pour repasser devant un juge et faire connaître l'évolution de leur situation personnelle. Idéalement, ce délai devrait être de six mois. 

Retrouvez le reportage de Quentin Bral et Didier Meunier :

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Enfants en danger : la justice tire la sonnette d'alarme ©FTV/Didier Meunier

Comment expliquer cette situation ? 

Depuis des années, magistrats et avocats travaillant sur la protection des mineurs alertent sur la lente dégradation de leur juridiction.

En France, le nombre d'enfants protégés par la justice a été multiplié par deux en 20 ans. Malheureusement, les moyens humains n'ont jamais suivi.

Sébastien Gallois, procureur de la République de Rouen

La situation est particulièrement marquée à Rouen. Ces dernières années, le parquet a enregistré une hausse annuelle des violences intrafamiliales sur mineurs de plus de 10%. C'est deux fois plus que la moyenne nationale. 

Selon Sébastien Gallois, il y a d'abord indéniablement une augmentation de la violence au sein des foyers, mais ce n'est pas le seul facteur. Dans notre département, les professionnels de l'enfance sont aussi de plus en plus vigilants, et signalent un nombre croissant de situations qui n'étaient jamais mises au jour auparavant.  

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Sébatien Gallois, procureur de Rouen, explique les raisons de l'augmentation du nombre de dossiers de violences intrafamiliales sur mineurs. ©Didier Meunier

Les services de protection de l'enfance de la Seine-Maritime ont d'ailleurs vu leurs effectifs et leurs moyens considérablement augmenter. En tout, cela représente une hausse de près de 60 millions d'euros depuis 2019, pour un budget d'environ 240 millions d'euros aujourd'hui. C'est l'un des départements de France qui a fait les plus gros efforts financiers en la matière. 

De l'argent en particulier investi dans le secteur de la prévention, pour la cellule de recueil des informations préoccupantes (la CRIP) dont le fonctionnement s'avère très efficace ces dernières années. 

Et forcément, avec des services sociaux qui reçoivent et traitent plus de signalements, le Département en fait remonter un plus grand nombre à la justice. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle en théorie. 

Le problème, c'est donc l'engorgement de la juridiction, en particulier si en aval des décisions des juges, les conditions de placement des enfants ne permettent de clôturer les dossiers, comme l'explique Maître Sandra Molinera, avocate au barreau de Rouen, en partie spécialisée sur les mineurs en danger.

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Interview de Maitre Sandra Molinero, sur la Justice des mineurs ©Didier Meunier

Quelles solutions pour fluidifier la justice des mineurs ? 

Pour les avocats comme pour les magistrats, il faut d'urgence renforcer les effectifs. Et en particulier créer un sixième cabinet de juge pour enfants à Rouen, afin de répartir la charge de travail.

Cette requête formulée depuis des années au ministère de la Justice est restée lettre morte jusqu'à aujourd'hui. 

Le Président du Tribunal de Grande Instance de Rouen, Matthieu Duclos, milite depuis des mois pour la création d'un sixième cabinet de juge pour enfant dans sa juridiction. © Medhi Weber

"Mais il faut aussi que l'on arrive à réduire les flux, nuance Matthieu Duclos, président du TGI de Rouen, en faisant en sorte qu'un certain nombre de situations qui sont aujourd'hui conduites devant le juge restent sous le contrôle du conseil départemental. Parce que nous ne sommes aujourd'hui plus en capacité de les absorber." 

Bref, tenter de ne judiciariser que les dossiers qui le nécessitent impérativement par leur urgence ou leur gravité, et régler les autres à l'amiable. Ce qui implique un changement de paradigme dans tout le secteur.

Mais il en va de la survie de cette justice des mineurs, aujourd'hui submergée, et de son efficacité à réaliser sa mission : la protection d'enfants en danger.  


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