Aucun secteur économique n’a échappé au séisme sanitaire qui ébranle la planète, celui du spectacle n’échappe pas à la règle. A l’approche du déconfinement, les directeurs de La Coursive et de La Sirène à La Rochelle témoignent de leurs difficultés.
Le site internet de La Coursive annonce clairement la couleur : Information Covid-19 et saison 2019 -2020. Le message barre littéralement la page d’accueil de la scène nationale de La Rochelle au sens propre comme au figuré.
Comme partout dans le pays, il n'y a pas un spectateur en salle et pas un artiste sur scène depuis la mise en place du confinement, le 17 mars dernier.
"Nous avons dû annuler vingt deux spectacles pour un total de soixante et une représentations" indique Franck Becker, le directeur de La Coursive. "Quatorze mille à quinze mille places ont été annulés et doivent être remboursées d’ici le mois de juin, si on les ajoute à celles qui devaient être vendus dans les mois à venir, plus les résidences d’artistes et les prestations diverses, comme l’accueil des galas de danse, que nous vendons habituellement, cela représente 500.000 euros de recettes perdues" précise-t-il.
La situation est d’autant plus délicate que La Coursive, même si elle est subventionnée comme toutes les scènes nationales, génère 35% de ses recettes propres, contre 20 à 25% maximum pour l’ensemble des structures identiques.
Une crise dont les conséquences vont se mesurer sur au moins trois ans
Sur le front de l’emploi, la situation n’est pas reluisante non plus. En temps normal 35 personnes travaillent au 4, rue Saint Jean du Pérot, elles sont désormais une poignée les autres sont en chômage partiel. Et puis il y a la trentaine d’intermittents eux aussi à l’arrêt. Des collaborateurs occasionnels qui gagnent également leur vie sur les festivals de la région… annulés eux aussi."Ce qui est inquiétant c’est que c’est tout un écosystème qui est touché par cette crise du Coronavirus, un écosystème déjà fragilisé depuis plusieurs années" souligne Franck Becker qui dirige également le théâtre de la Coupe d’Or à Rochefort. "Ce manque à gagner risque d’être fatal à certaines compagnies indépendantes" précise t’il. "En tant que scène nationale, La Coursive se doit de verser une partie de son budget à la création de spectacles dans le cadre de la politique de coproduction. Le problème, c’est que si nous sommes contraint économiquement, les 150.000 ou 200.000 euros que nous consacrons normalement à cette activité, ne pourrons pas l’être et du coup, ces compagnies vont en faire les frais." "Notre avenir dépend les uns des autres" conclue Franck Becker. "Certains de ces de ces artistes et intermittents risquent de perdre leur statut" et c’est toute une partie de la chaîne de création qui pourrait bien être impacté comme sous l’effet d’un sinistre jeu de domino. "On est sur une crise dont les conséquences vont se mesurer sur au moins 3 ans".
Des spectacles oui, mais quand et dans quelles conditions ?
La seule bonne nouvelle, c’est qu’avec l’aide d’une partie de ses équipes encore sur le pont, Franck Becker est parvenu à reporter sur la saison prochaine une vingtaine de spectacles sur les 22 annulés cette année. De quoi redonner du baume au coeur aux nombreux abonnées et autres fidèles de La Coursive. il reste bien sûr à déterminer un point essentiel : les modalités de la reprise d’activité.Et de ce côté-là "on est dans le flou complet" déplore David Fourrier, le directeur de la salle de musiques actuelles La Sirène à La Rochelle. "Nous n’avons pour le moment aucune indication du ministère de la culture, concernant l’après déconfinement". "Qu’est ce qu’on fait demain, à partir du 11 mai ?" S’inquiète-t-il. "On ne sait pas dans quelles conditions nous pourrons accueillir notre public, s’il va falloir porter des masques, respecter des consignes de distanciation sociale en plaçant un spectateur tous les deux sièges, par exemple, ce qui bien sûr aura des conséquences sur les recettes" s’interroge le Directeur de la Coursive. "Réduire les jauges et respecter les distances de sécurité, cela risque d’être compliqué pour nous dans une fosse où les spectateurs ont l’habitude d’être collés les uns aux autre" raille celui de la Sirène. Et puis se pose aussi la question de l’autre public de La Sirène, celui qui loue les locaux de répétition situés au sous-sol de la salle de concert ainsi que le studio d’enregistrement. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, les calendriers et la disponibilité des artistes viennent compléter le tableau !
Faute de réponse et face à des impératifs de réservations certains professionnels du secteur ont décidés purement et simplement de rouvrir leur salle en … janvier prochain.
Casse-tête chinois
"C’est ce que vient d’annoncer par exemple le théâtre de Clamart" précise Franck Becker. "Nous avons beaucoup d’incertitude sur les dates de reprises" confirme de son côté le patron de la Sirène. "Pourra-t-on reprendre en octobre ? C’est la grande question ? On imagine également une possible reprise en janvier", confie-t-il.La situation vire au "casse-tête chinois" lâche David Fourrier qui doit gérer de concert deux calendriers : un pour une reprise à l’automne, l’autre pour le début d’année 2021.
"Avec une bonne partie des artistes français on a déjà pu recaler des concerts, programmés au printemps, au mois d’octobre prochain, c’est le cas par exemple avec le groupe l’Epée". Mais l’exercice se complique avec les artistes étrangers.
"Nous ne reverrons pas de sitôt les artistes américains, ça c’est une certitude et nous sommes par ailleurs tributaire du marché du disque. Ce qui veut dire que certains artistes devaient tourner en concert pour promouvoir leur dernier album. Et avec la crise sanitaire ces calendriers ont été bousculés ce qui fait que beaucoup de dates se décalent de trois à six mois !", souligne le directeur de La Sirène. "C’est tout l’échiquier qui est déstabilisés" résume t’il, "on marche sur des oeufs".
Mais l’artiste qui devait partir en résidence à Florence en Italie, il y a quelques semaines veut rester optimiste : "on se dit que cela va forcément évoluer, d’ailleurs je suis actuellement en train d’écrire. La situation influence mon travail, c’est une bonne chose. Je pense que, plus que jamais, les gens auront besoin de s’évader après le déconfinement".